<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Ric, mandat impératif,  démocratie 3,0.
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Ric, mandat impératif, démocratie 3,0.

par | La folle histoire des élections, N°11 Histoire Magazine

Pistes et mirages de la reconquête civique 

Article publié dans Histoire Magazine N°11

La volonté de faire diminuer l’abstention semble devenue un marronnier de la pensée politique aussi présent et volubile dans la bouche ou sous la plume des analystes qu’il est modeste dans ses résultats. Après tout, pour une classe politique l’abstention est un risque et une opportunité dans le même mouvement. Un risque, car à avoir une légitimité par défaut on s’expose à des oppositions, des révoltes et à une tension sociale rendant le fait de gouverner impossible. Mais également une opportunité, car malheureusement le fait d’avoir le pouvoir n’implique pas systématiquement de se poser les questions de son usage pour le bien commun. On peut gouverner sans se poser la question de sa légitimité à gouverner.
Dans l’optique où l’on considère sincèrement l’abstention comme un problème et non comme une posture singeant l’affliction de la voir monter, plusieurs solutions ont été avancées qu’il convient d’analyser comme de critiquer.

Nous ne pourrons peut-être pas être exhaustifs sur les moyens allégués pour faire revenir les citoyens aux urnes, mais nous pourrons traiter les principaux et en tous cas évaluer les gammes de solutions au retrait civique. Pour la compréhension de tous, nous classifierons les différents moyens de lutter contre l’abstention selon leurs finalités. Celles-ci nous apparaissent au nombre de trois allant crescendo dans leurs aspects révolutionnaires. Il s’agit de restaurer l’instrument du vote. Soit de commencer une politique de reconnaissance à travers un travail sur la notion de représentativité soit encore d’acter et de légitimer un pouvoir populaire direct.

Restaurer le vote dans ses prérogatives communément admises est généralement le type de solution sur lequel s’accordent politiques et commentateurs. Ces idées, issues de la tradition réformiste, n’ont pas vocation à changer l’équilibre institutionnel. Elles se divisent en deux grandes familles, celles de la restauration des modalités du vote traditionnel et celles de la démocratie 3.0.
Parmi les idées, la plus évidente est de faire du vote non un droit optionnel, mais un devoir obligatoire contrôlé et sanctionné. C’est le vote obligatoire. Cela existe en Belgique depuis 1893. L’abstention est sanctionnée par des peines allant de la réprimande à la contravention (25 euros) en cas de récidive. Le vote obligatoire existe en France pour les sénatoriales où les grands électeurs ne peuvent se dérober sous peine de cent euros d’amende. Dans un pays où le corps électoral est de 45 millions de personnes, essayer de sanctionner tous les contrevenants immobiliserait l’appareil d’État pour des résultats aléatoires. Une modulation de ce principe avait donné lieu en Russie au vote dit « contre tous » soit la possibilité de voter contre tous les candidats dans le cadre d’un vote obligatoire. Si les votes « contre tous » étaient majoritaires, l’élection était annulée. Cette disposition datant de 1993, disparue en 2006 avant d’être réintroduite en 2014 pour les élections locales, a pour but de répondre à la baisse de l’offre politique, mais peut faciliter les bourrasques de colère électorale.
Plus simplement, ne faut-il pas faciliter l’acte de vote en le rendant plus indolent dans la vie quotidienne du citoyen ? On pourrait à l’image des anglais déplacer le jour du vote du dimanche au jeudi. Il est possible également d’utiliser le vote par anticipation comme aux États unis autrement dit d’ouvrir les bureaux de vote pendant plusieurs jours avant le vote et les résultats n’étant calculés que le jour du vote officiel. Le gouvernement Macron voulait utiliser cette solution avec des machines à voter dans certaines villes, mais le Sénat s’est opposé. Il en est de même pour le vote par correspondance qui, s’il fut permis entre 1946 à 1975, fut interdit en raison du trop grand nombre de fraudes. Après les municipales de 2020, le gouvernement a demandé l’étude sur le retour de cette procédure qui fut écartée par le Sénat. Il est à noter que voter depuis chez soi ne donne pas de garantie de sincérité au scrutin tant des pressions peuvent s’exercer sur l’électeur.

Pour rendre son sens à l’acte de vote, il peut être également intéressant de changer le mode de scrutin. Le mode de scrutin n’est pas un absolu. Il n’y a ni de bons ni de mauvais modes de scrutins. Tout dépend ce que l’on recherche comme effet.

Un scrutin « guillotine » ne sera pas très représentatif, mais donnera des majorités confortables et solides. Un scrutin proportionnel pourra créer des majorités fragiles, mais représentatives de toutes les sensibilités. Il est possible de combiner les deux en une proportionnelle à correctif majoritaire qui permet à la liste gagnante d’obtenir la moitié de l’assemblée dont le reste sera distribué à la proportionnelle. Cela a deux inconvénients, écarter la notion de circonscription électorale et donner une avance très importante aux listes gagnantes.

Plutôt qu’investir dans l’acte de vote, les partisans de la démocratie 3.0 cherchent eux à inclure celui-ci dans la vie numérique. Le scrutin se déroule à distance, depuis chez soi ou depuis son smartphone, en se connectant à un site. Il est d’ailleurs déjà permis de voter par internet pour les élections des représentants des Français de l’étranger. Mais le Sénat avait souligné qu’il manquait trois conditions pour mettre en place une plateforme de vote en ligne : être en mesure de contrer les cyberattaques, s’assurer de l’identité et du consentement des électeurs et garantir l’accessibilité du dispositif. L’exemple des présidentielles américaines a laissé un goût amer aux espérances numériques de la démocratie 3.0. déjà douchées par les manipulations de la colère des Printemps arabes et par les scandales du Big data dont le plus connu est Cambridge Analytica.

Plus radical dans l’approche du phénomène de grève ou de désertion civique, il existe des partisans de ce que nous nommerons faute de mieux une politique de la reconnaissance, autrement dit le fait de tenter une innovation institutionnelle en assumant que les instruments traditionnels de la démocratie représentative sont sinon obsolètes du moins dépassés ou, à minima, incomplets.
La première mesure dans ce sens serait la validation du vote blanc. Demandée par plusieurs politiques, elle implique que les bulletins blancs glissés dans l’enveloppe, ou les enveloppes vides qui sont comptabilisés à part des nuls depuis 2014 soient comptabilisés dans les suffrages exprimés et donc influent sur la définition de la majorité électorale. Le problème est que pour l’élection présidentielle, c’est la majorité absolue qui fait l’élection. Là nous touchons aux limites du vote blanc. Dans les élections locales, il peut rendre le passage des quorums plus difficile et donc nuire à la représentativité. Et dans les élections présidentielles, le vote blanc peut nuire à la légitimité de l’élection en faisant passer la majorité absolue à une majorité relative comme en Suède ou en Suisse. Reste l’hypothèse d’école du vote blanc majoritaire qui équivaut dans certains pays à un vote contre tous qui entraîne l’annulation de l’élection et l’interdiction de se représenter.
Plus techniques sont les techniques dites de votes pondérés. Il n’y a pas le lieu ici d’entrer dans les débats, passionnants, mais parfois byzantins, des différentes techniques. Pour résumer, disons que le vote pondéré a pour objectif de prendre en compte la subtilité des choix de l’électeur et refuse de l’enfermer dans un choix binaire. Il s’agit lors d’une élection pour une personne ou une idée de donner un « poids », soit à chaque candidat, soit à celui pour (ou contre) lequel on vote, au lieu de voter systématiquement en positif pour un seul. Lorsque l’électeur peut donner n’importe quel poids (dans l’échelle considérée) à n’importe quel candidat, on parle de vote par évaluation, ou vote par valeurs. Si cette solution apparaît intellectuellement séduisante, ces modalités de mises en œuvre, dans un pays pourvu d’un grand corps électoral, apparaissent complexes et le temps nécessaire pour que ces procédures soient adoptées par le corps social les rend problématiques.

Plus archaïque, au sens de revenir aux sources et à la permanence du fait démocratique, beaucoup d’essayistes insistent depuis des années sur le retour du tirage au sort selon le modèle antique.

Les Anciens voyaient ce mode de désignation comme équitable, ce qui n’est plus aussi évident pour la mentalité moderne, et des populations de votants moins homogènes. Mais il est possible d’au moins l’utiliser dans une part de certaines assemblées. On pense au Sénat par exemple. Il y a deux principales utilités qui sont : de fluidifier la circulation élitaire qui pose un véritable problème en Occident en général et en France en particulier, et également de relativiser la méfiance devenant atavique sur les procédures électorales. On peut rappeler qu’il existe un obstacle capacitaire, mais celui-ci peut être écarté par une étude des aptitudes des différents candidats.
Toutes ces idées dans l’air du temps sont liées à la volonté d’améliorer voire de révolutionner la représentation, mais elles passent encore par la médiation des institutions. Certaines idées encore plus radicales, dans le sens de prendre le problème à sa racine, préconisent de restaurer le pouvoir populaire.
La première de ces idées est la reprise de l’ancien mandat impératif selon lequel il serait possible de destituer un élu qui viole ses engagements faits au peuple. Interdit par la constitution française en son article 27 son retour dans le débat public souligne le malaise des Français face à leur classe politique.
Plus opératoire est le référendum d’initiative citoyenne, le RIC, qui fut la revendication majeure du mouvement des gilets jaunes. Il y a quatre types de RIC. Le constituant qui écrit des parts de la constitution, l’abrogatoire qui annule une loi ou un règlement, le législatif qui vote une loi et enfin le révocatoire pour interrompre un mandat. Pratiqué dans certains états américains et librement inspiré des votations suisses, le RIC semble assez proche de l’esprit de la Vème République qui avait à ses débuts la volonté de voir le souverain élu s’adresser au peuple directement à intervalles réguliers. Les succès relatifs des votations suisses semblent en prouver l’efficacité. La seule véritable embûche est que l’histoire politique française voit rarement un camp accepter sereinement sa défaite.
Ce sont les principales idées qui hantent le débat public officiel ou souterrain, dans notre pays et en Occident, sur les questions de l’abstention. Pour chacune nous avons essayé d’en présenter avantages et limites sans prétendre à l’exhaustivité. Toutefois, il nous faut leur adresser à toutes des critiques de fond d’ordre général pour cerner la situation de gravité de notre état civique.
Il y a plusieurs critiques de fond à ce mouvement des idées, en lui-même positif, car voulant renforcer, stimuler voire régénérer la démocratie. Ces critiques générales sont de trois ordres, philosophique, sociologique et politique.

Il est politiquement difficile de renforcer et de protéger les acquis de la démocratie quand on ne se rend pas compte que le principe actif de la liberté nationale qui est la souveraineté est mis en coupe réglée par des forces privées ou semi-privées comme les organisations internationales, les ONG, les maffias et les multinationales. Parmi celles-ci de nombreuses impulsent des principes destructeurs de la démocratie tels : le management public, la gouvernance, l’expertocratie, etc.

De surcroît l’esprit des temps présents n’est pas au civisme et peut-être que notre siècle verra l’une des plus belles créations de l’Occident, la notion de citoyenneté, disparaître. Nous sommes en face d’un individualisme sans individus réellement individués, donc normés de l’extérieur. Un individualisme sans culture ni colonne vertébrale qui éloigne du citoyen tel que nous l’entendions. Au-dessus du peuple les élites sont dans un processus d’enfermement et d’affaiblissement où domine l’entre soi. Comment impulser une éducation à la liberté au XXIe siècle, devrait redevenir un sujet central de l’éducation pour tous.
Enfin de nouveaux pouvoirs sont apparus depuis le temps où nous dissertions sur leurs études et leurs séparations. Le pouvoir de normer les consciences à travers les médias. Le pouvoir de faire pression sur l’individu par le tissu économique et l’ensemble des pouvoirs constabulaires (sécuritaires) et militaires. C’est en prenant en compte ces facteurs que nous verrons que la représentativité est nécessaire, mais seulement si elle se couple avec l’effectivité des décisions publiques. C’est ce double sentiment de voir sa vie changer et de se voir reconnu qui fait des expériences comme celle du Brexit et c’est d’avoir vu par exemple un référendum trahi (29 mai 2005) qui a déchiré notre pacte social qui continue de se décomposer depuis cette date.
C’est à une réflexion de fond que nous devons nous atteler pour bien cerner ces problèmes, et pour les résoudre si nous voulons voir la démocratie perdurer. Les questions d’isonomie (égalité devant la loi) et d’isocratie (accès égal à la parole) telles que les Anciens les ont pensées n’ont pas fini de nous guider sur les traces du citoyen démocratique. Cet homme, le pire, à l’exception de tous les autres. •

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À propos de l’auteur
Pierre-Yves Rougeyron

Pierre-Yves Rougeyron

Pierre Yves Rougeyron, historien des idées politiques, spécialiste en intelligence économique, Président du Cercle Aristote, directeur de la revue Perspectives Libres.
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