<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Sur les traces de Colette : à quelques encablures de Paris  une halte en Puisaye par Sylvie Bigar
Temps de lecture : 5 minutes
Photo :
Abonnement Conflits

Sur les traces de Colette : à quelques encablures de Paris une halte en Puisaye par Sylvie Bigar

par | N°11 Histoire Magazine, Voyage

Article publié dans Histoire Magazine N°11

En Bourgogne, mais à mille lieues de la région des grand crus, somnole un village champêtre nommé Saint-Sauveur-en-Puisaye. C’est là qu’en 1873 naquit Sidonie Gabrielle Colette, mon écrivaine favorite.
Depuis 2016, sa maison natale est ouverte au public. Grâce à l’énergie passionnée de l’association « La Maison de Colette » dirigée de plume de maître par le professeur de Lettres modernes Frédéric Maget, elle a pu être rachetée, puis rénovée dans les moindres détails. Mais la crise sanitaire et ses fermetures des lieux de culture ont rendu sa situation bien précaire.
La postérité la connaît sous le simple nom de Colette, mais cette femme, souvent décrite comme la plus grande écrivaine de son temps, était tout sauf simple. Avec à son actif plus de cinquante romans, d’innombrables nouvelles, des essais et des articles, Colette aura été tour à tour mime, danseuse de cabaret, actrice et même marchande de produits de beauté. Passionnée et sensuelle, elle aima certes les hommes, mais les femmes aussi.

Le jardin du bas.

« Les hommes sont impossibles, disait-elle, et d’ajouter, les femmes aussi. »
Aux États-Unis où je réside, Colette s’est fait connaître du grand public en 1951, lorsqu’elle choisit Audrey Hepburn pour incarner le rôle de Gigi, dans la pièce adaptée de son roman du même nom et montée à Broadway. Mais c’est grâce à ma mère, qui fit ses classes au Lycée Molière à Paris avant d’intégrer la Sorbonne, et à sa passion pour la littérature que j’ai découvert l’auteure.
Le lyrisme de Colette, l’harmonie rythmée de sa prose et sa passion d’épicurienne pour la nature m’ont marquée. Décrivant son enfance dans La Maison de Claudine, elle écrit : « L’odorat subtil de ma mère inquiète découvrait sur nous l’ail sauvage d’un ravin lointain ou la menthe des marais masqués d’herbe. »

Le matin de mon arrivée, Frédéric Maget m’attend à Joigny, à une heure et quart de train à peine de Paris, prête à explorer ce paysage et à me laisser guider par la main sûre de l’auteure. Une petite demi-heure en voiture au travers des « bois qui sentent la fraise et la rose, ces étangs comme des clairières dans leur écrin de verdure, les marais, les prairies gorgées d’eau » (Vrilles de la Vigne), et nous arrivons à Saint-Sauveur, en plein jour de marché. Devant les maisons en pierre aux toits de tuiles, des étalages chargés d’asperges blanches, les premières cerises et, posées sur le trottoir, des cages où somnolent des poules pondeuses.

La salle à manger.

À la rue Colette, preuve du statut bourgeois de sa famille, la maison au toit d’ardoises de Colette sort du lot. Née ici même, l’auteure y vit jusqu’à l’âge de 18 ans, moment charnière de sa vie, puisque la ruine de ses parents force la famille à mettre la maison bien-aimée en location et à vendre son contenu aux enchères. La maison et ses jardins continueront à hanter l’œuvre de Colette, non seulement à travers ses souvenirs précis, mais aussi comme métaphore du paradis à jamais perdu.

Après avoir lu Claudine à l’École, La Maison de Claudine et Sido, la visite de la maison natale a quelque chose de surréel.

On entre chez les Colette, non au musée : la table est mise, la chocolatière sur la table de nuit de Sido attend l’araignée gourmande assoupie contre une poutre, la glycine « centenaire » continue d’accrocher la grille au fond du jardin. La famille va arriver d’une minute à l’autre, c’est évident. Chaque détail de ce décor si vivant, du papier peint aux boiseries, aux livres sur les étagères, trouve sa source dans ses écrits.

« Avec l’aide d’artisans qui ont accepté de travailler avec d’anciennes méthodes, nous avons recréé le décor de l’enfance heureuse de Colette », dit Frédéric Maget. «Grâce à elle, nos visiteurs voyagent dans le temps. »

Le lendemain, je grimpe au sommet du village pour visiter le Musée Colette niché dans son château, et salue son donjon du 11ème siècle : « La tour sarrasine, basse, toute gainée de lierre », décrit-elle dans Claudine à l’École.

La chambre de Sido.

Le ronronnement doux de sa voix basse au travers des haut-parleurs m’accompagne, alors que je longe les murs couverts de photos. Et quelle émotion, à la vue de la reconstitution de sa chambre dans l’appartement du Palais-Royal où elle vécut, paralysée par l’arthrose, les seize dernières années de sa vie, perchée sur ce qu’elle appelait le divan-radeau.

Plus tard, je suis le « sentier littéraire » à travers le village à la recherche des maisons qui jalonnent ses écrits. Colette aimait la bonne chère et surtout les plats du terroir français. Elle aurait approuvé ma démarche gourmande, mon choix d’une gougère aérienne et bien dorée dégustée dans une pâtisserie locale.

Plus tard encore, j’entre dans l’immeuble austère qui abrite toujours l’école communale. En l’honneur de la célèbre élève, une pièce a été transformée en salle de classe de la fin du 19ème siècle : anciens encriers sur chaque pupitre, cahiers et uniformes d’époque. Une fois de plus, je m’attends à voir apparaître le fin minois de Colette, juste derrière le tableau noir peut-être ?
Il est temps de filer parcourir les bois alentour. Je me dirige vers « l’église sans clocher », longe le lavoir du Petit-Saint-Jean où j’imagine les femmes bavardant, penchées sur leur lessive. Juste quelques pas de plus et je m’enfonce dans la campagne bercée par une douce brise. Après quarante-cinq minutes de balade, j’émerge en face de l’église de Moutiers-en-Puisaye, un édifice si petit qu’il pourrait passer pour une maison de poupée. Mais à l’intérieur, de magnifiques fresques rehaussées d’ocre de la région dévoilent toute la grandeur de l’histoire biblique.

Colette adorait la poterie naïve de sa région, « les cruches ventrues, insolemment sexuées étaient pétries et cuites à la Bâtisse », se souvient-elle dans Ces dames anciennes. Aujourd’hui, la douzième génération de la famille Cagnat-Solano gère la Poterie de la Bâtisse. J’admire la reconstitution des ateliers d’époque et l’immense four qui date du 13ème siècle.

De retour à Saint-Sauveur, je contemple une dernière fois l’ancienne maison de Colette, avec ses volets gris et « son perron [qui] boit [e], six marches d’un côté, dix de l’autre » à cause de la pente. En 1922, elle écrit : « Maison et jardin vivent encore, je le sais. » Un siècle plus tard, grâce aux Amis de Colette, la propriété revit. •

La maison de Colette.
10 rue Colette
89520 Sauveur-en-Puysaye.
https://maisondecolette.fr

Journaliste et écrivaine, Sylvie Bigar vient de publier chez Hardie Grant, maison d’édition australienne, Cassoulet Confessions. Un récit de papilles et de mémoire, de vie avec ses joies, ses peines, ses secrets… et la cuisine, convoqué par le célèbre cassoulet de Carcassonne ! 

Mots-clefs :

À propos de l’auteur
Sylvie Bigar

Sylvie Bigar

Journaliste et écrivaine, Sylvie Bigar explore le monde grâce à ses trois passeports à la recherche de délices culinaires méconnus et de destinations insolites. Elle vit à New York et écrit notamment en anglais pour Forbes.com, le Washington Post, le New York Times, Saveur, Food & Wine, et Edible Magazine. À partir de ses passions, les voyages, la cuisine, et l’histoire, elle vient de publier chez Hardie Grant, maison d’édition australienne, Cassoulet Confessions. Un récit de papilles et de mémoire, de vie avec ses joies, ses peines, ses secrets… et la cuisine, convoqué par le célèbre cassoulet de Carcassonne ! Avec le chef étoilé Daniel Boulud, elle a écrit Ma cuisine française, et reçu deux Travelers’ Tales Solas Awards qui récompensent les meilleurs articles de voyage. Son essai sur la Martinique d’Aimé Césaire, Beneath Martinique’s Beauty, guided by a Poet, a été publié dans Footsteps, une anthologie publiée par le New York Times qui explore les relations des auteurs emblématiques avec les sites du monde entier.
La Lettre Conflits

La newsletter d’Histoire Magazine

Voir aussi