Rédigées au jour le jour, ou presque, ces pages présentent les étapes de la mission d’un navire commandé par un ancien officier, Sébastien Lemoine, que l’auteur a eu sous ses ordres quelques années auparavant, sur le trois-mâts La Boudeuse, et qu’il avait perdu de vue. Outre l’évocation de ces retrouvailles, avec des rôles alors inversées, l’écrivain de Marine Patrice Franceschi présente les onze marins noms, grades, fonctions et situations familiales qui composent le petit équipage et avec lesquels il va partager le huis-clos du navire. Son intégration au sein de ce groupe est délicate, l’auteur ayant le sentiment d’entrer dans son intimité «comme par effraction ». Il parvient toutefois, en marge de ses moments d’écriture « à la table de la passerelle », à se faire accepter par cette microsociété et à saisir les souhaits, les projets et les inquiétudes d’hommes qui n’en sont pas à leur première mission.
Quittant Saint-Pierre-et-Miquelon pour se rendre au Groenland, à travers brumes et tempêtes, le navire pénètre dans les fjords glacés, croise de nombreux et impressionnants icebergs. Là, les responsables de la mission se livrent à divers exercices allant de la recherche de pêcheurs perdus en mer au remorquage d’un navire en perdition en passant par le secours à des naufragés ou à divers incidents à bord, comme des incendies.
Entre Terre-Neuve et le cercle Arctique, Patrice Franceschi scande son « livre de bord » de remarques sur un espace en cours de transformation, en raison notamment des effets du changement climatique qui ouvre de nouvelles routes maritimes. Il est également très sensible aux bouleversements sociaux qui affectent les Inuits dans ces territoires longtemps peu visités du Groenland, quatre fois la taille de la France pour 58 000 habitants. Il observe et note avec finesse le passage « d’un monde à l’autre » à l’occasion d’une escale dans le port de Nuuk, nous faisant partager, chemin faisant, ses impressions de lectures anciennes ou en cours. La rencontre avec un patrouilleur danois, le Knud Rasmussen, lui permet de comparer l’état des bâtiments des deux marines engagés dans ce genre de mission. Les temps forts de celle-ci sont en partie communiqués par le capitaine aux familles de l’équipage et à des élèves d’une école de Miquelon à laquelle le navire est associé. Des fragments de ces lettres électroniques adressées chaque soir par le commandant sont reproduits par l’auteur qui songe à de prochaines campagnes, en mer ou non, redoutant le moment de sortir de la bulle dans laquelle il était enfermé, et le lecteur avec, pour retrouver les « nouvelles dérisoires du monde. »
Patrouille au grand-nord
par Patrice Franceschi
Editions Grasset
232 p. 2022 19.50 €