<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Les crimes d’HITLER contre des personnes : Une piste nouvelle et féconde
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Photo : Adolf Hitler en conversation avec l'ambassadeur italien Galeazzo Ciano le 22 mai 1939. Crédit photo ÖNB
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Les crimes d’HITLER contre des personnes : Une piste nouvelle et féconde

par | À la une, La Révolution française- Du mythe à la réalité, Livres, N°15 Histoire Magazine

Article du N°15 Histoire Magazine La Révolution française
Q u’Hitler ait été un assassin n’est plus à démontrer. Mais si ses meurtres de masse (Juifs, Tziganes, prisonniers soviétiques, etc.) font l’objet de nombreux travaux, il n’existe encore aucun livre sur les assassinats de personnes qu’il a ordonnés. Celui qui paraîtra le 20 février aux éditions du Cerf sera le premier.

Tout n’est pas entièrement nouveau. De l’hécatombe du 30 juin 1934 connue sous le nom de nuit des Longs couteaux jusqu’au suicide imposé à Rommel le 14 octobre 1944, beaucoup a été écrit. Mais quand on entreprend de collecter ces épisodes, on en trouve beaucoup d’autres, et on comprend mieux la logique des ordres de liquidation.

Le constat le plus surprenant porte sur la naïveté des observateurs : alors que le dictateur allemand est connu pour son mépris de la vie humaine, son recours fréquent à une milice sans scrupules, les SS, et sa propension à mentir avec le soutien d’une presse domestiquée, le nombre de décès de personnes qu’on ne savait pas malades sans que le pouvoir soit soupçonné, sinon parfois très fugitivement, est considérable. Même les procès d’après guerre, à l’Est comme à l’Ouest, sont instruits sans grande curiosité et sans grand souci de découvrir à quel niveau de la chaîne hiérarchique un ordre fatal a pu être donné.

Remarquable par exemple est la naïveté, ou la timidité, du gouvernement français. Car l’un des plus brillants généraux de la Première Guerre mondiale est tué à Paris sous l’Occupation et l’accusation française à Nuremberg, dont le membre aujourd’hui le plus connu s’appelait Edgar Faure, n’a jamais évoqué ce cas. Il s’agit d’Henri Mordacq (1868-12 avril 1943), chef du cabinet militaire de Clemenceau (donc artisan majeur de la victoire et du traité de Versailles), mystérieusement tombé dans la Seine depuis le pont des Arts. Il en avait sauté volontairement selon la presse de l’occupant, qui lui attribue à la fois des ennuis d’argent et de santé. Or le nazisme camoufle volontiers ses meurtres en suicides, et le livre en donne de nombreux exemples. Les descendants du général accumulent aujourd’hui les preuves d’un crime… et le gouvernement français actuel, mieux vaut tard que jamais, serait fondé à soulever la question. Quant au niveau de la décision, il relève de l’évidence. Tout occupées à pourchasser les résistants organisés, dont Mordacq n’était pas, les autorités allemandes de Paris n’avaient aucune raison de s’en prendre à ce retraité. En revanche, c’est le cas de le dire, il était pour Hitler une cible logique, tant dans sa lutte au long cours contre les séquelles de 1918 que dans ses efforts pour maintenir Pétain à la tête du régime de Vichy, tout en lui faisant comprendre que la moindre désobéissance serait impitoyablement sanctionnée. De surcroît, Mordacq était fiché par erreur comme juif dans les dossiers de la Gestapo, ce qui rapproche son cas de celui de Georges Mandel, assassiné le 7 juillet 1944 par un baroudeur français inféodé aux Allemands. Soucieux de se concilier la France après l’avoir soumise, Hitler respectait la figure de Clemenceau comme celle de Napoléon. Il fait enlever comme otage son fils Michel, mais l’épargne finalement. En revanche, l’entourage juif, ou présumé tel, du Tigre, ne doit pas survivre.

L’image des SS est ici affinée. Une milice créée par et pour Hitler, mais devenue tellement puissante et ramifiée qu’elle tend à apparaître comme un État dans l’État, et son chef Himmler comme l’alter ego du dictateur, voire son rival, surtout à la fin. La soumission d’Himmler est totale (notamment lorsque des missions d’assassinat lui sont confiées). Il apparaît également qu’Hitler faisait transiter ses verdicts de mort par d’autres hommes de confiance comme Bormann, Bouhler ou Freisler.

Le goût nazi du secret et le recours quotidien au mensonge pour préserver ledit secret sont pour l’historien des défis considérables, tant et si bien qu’il est tentant de s’en remettre à la lettre des documents, sans les soumettre à une réelle critique. C’est ainsi qu’outre celui de Mordacq, un autre meurtre de militaire, Allemand, lui, et acteur de premier plan dans la guerre suivante, est perpétré. Comme, au moment du procès de Nuremberg, tous les documents relatifs à l’épisode parlent d’un suicide, on les a crus et cette mort volontaire est affirmée par la totalité des ouvrages antérieurs. Il s’agit du maréchal von Kluge, compromis dans le complot du 20 juillet 1944, déchu de son poste de commandant en chef sur le front Ouest, convoqué par Hitler pour s’expliquer et prétendument empoisonné par lui-même en chemin. Or deux documents surgis ensuite, l’un en 1962 et l’autre en 1976, établissent d’une part les efforts d’Hitler pour faire apparaître cette mort comme un suicide et l’intérêt qu’il y trouvait, d’autre part le scénario de l’assassinat, commis par un SS de haut vol, Jürgen Stroop.

Mentionnons enfin, à titre d’exemple, un fusillé célèbre, dans un territoire contrôlé par Hitler, mais sans qu’aucune intervention de sa part ne soit jamais mentionnée, ni dans la mise en accusation ni dans le refus de la grâce. Galeazzo Ciano, gendre de Mussolini, avait contribué à sa destitution en votant contre lui au Grand conseil fasciste, le 25 juillet 1943. Lorsque le Duce retrouve un rôle politique en septembre à la tête de la République sociale italienne, les fascistes qui ont voté contre lui et ont pu être appréhendés sont condamnés à mort. Il a l’intention de les gracier, mais en est empêché par les SS, véritables maîtres de cet État fantoche. Le rôle d’Hitler dans le dénouement est parfaitement documenté, ainsi que son mobile. Il faut cesser de présenter cette affaire comme un drame purement italien, voire purement familial.

Hitler utilise ainsi le meurtre comme un outil, parmi bien d’autres, pour contrôler les territoires occupés et, notamment, pour tenir sa proie la plus belle et la plus dangereuse, la France. Si Henri Mordacq est immolé à un moment où Pétain envisage de secouer le joug en se débarrassant pour la deuxième fois de Laval, sa noyade prend place dans une série où l’élément juif (ou présumé tel) est prépondérant. Commencée avec l’exécution, pour une peccadille, de l’ingénieur Jacques Bonsergent le 23 décembre 1940 (pour mettre au pas Darlan, le successeur, choisi par l’occupant, de Laval après son premier renvoi ; la sentence de mort est exécutée l’avant-veille de la première rencontre Darlan-Hitler), elle se poursuit avec l’assassinat de Marx Dormoy le 26 juillet suivant (par des doriotistes inféodés à Abetz, donc au Reich, et peu soucieux des querelles franco-françaises au sujet de la Cagoule — auxquelles ce meurtre reste couramment rattaché) puis, après Mordacq, par les assassinats de Maurice Sarraut, Victor et Hélène Basch, Jean Zay et Georges Mandel : autant de crimes ordinairement attribués à la Milice, alors qu’elle n’est qu’un instrument. Vouée à la traque des résistants actifs plutôt qu’à des liquidations de prisonniers, de retraités et de personnalités sans lien avec la Résistance, elle ne peut cependant refuser son concours à des actions ordonnées par l’occupant. En revanche, il suffit de penser que les faits se déroulent dans le champ d’action d’un dictateur nommé Hitler, qui met le territoire français en défense contre un débarquement annoncé, puis s’efforce de contenir l’ennemi après ce débarquement : on voit que, soucieux de jouer jusqu’au bout la carte Pétain, il enjoint au vainqueur de Verdun d’interdire aux Français d’aider leurs libérateurs, sous peine d’un bain de sang dont les cadavres de personnalités donnent un avant-goût. Des situations comparables et des moyens similaires se retrouvent dans des pays occupés ou chez des alliés peu sûrs, de la Bohème à la Bulgarie, en passant par le moignon italien où Ciano est immolé.

D’autres chapitres aboutissent à des relaxes. Non, Hitler n’a pas fait tuer Haim Arlozoroff ni Mikhaïl Toukhatchevski, pas plus que sa nièce Geli, le journaliste Xavier de Hauteclocque, les généraux von Fritsch ou Huntziger, le technocrate Bichelonne ou le collaborateur Doriot.

Adolf Hitler posant avec les nouveaux maréchaux. 19 juillet 1940. Günther von Kluge est le 3e en partant de la droite. Archives numériques nationales, Pologne.

Éliminer, terroriser, dresser, rappeler qui commande, trier ceux qui survivront, polir sa légende et celle de son mouvement… : les motivations d’Hitler quand il ordonne ou laisse faire une mise à mort sont diverses, et souvent plurielles.

Henri Mordacq (1868-1943). Le pays de France. Vers 1916.

Cette recherche s’inscrit dans un effort au long cours pour clarifier sa part personnelle dans l’élaboration et la conduite de sa propre politique, en dissipant le brouillard répandu par l’école fonctionnaliste dans les dernières décennies du XXe siècle. Ses adeptes privilégiaient le rôle des forces en action dans la société allemande en prétendant qu’elles avaient produit le nazisme, sans parvenir à préciser comment.

Il reste beaucoup à faire pour mettre en lumière à la fois la démence du dictateur (qui l’induit à se réclamer d’une mission donnée par la Providence pour empêcher les Juifs de détruire le genre humain) et son intelligence manœuvrière. Les cadavres qui jalonnent toute l’entreprise sont un bon observatoire de leur étrange cohabitation.

Ce livre n’est qu’une première approche. Il ne dissimule aucune des incertitudes entourant les décès qui jalonnent l’histoire du Troisième Reich. Il indique des directions de recherche, tant dans les archives et les mémoires familiales, notamment pour vérifier le caractère naturel des morts dites « de maladie », que dans les dépôts publics, pour tenter de préciser à quel niveau ont été prises les décisions d’assassinat ou d’exécution, et si l’avis du dictateur avait été requis ou non. •

À propos de l’auteur
François Delpla

François Delpla

François Delpla, docteur HDR en histoire, consacre depuis trente ans son activité d’historien au nazisme et à la Seconde Guerre mondiale. Il a écrit la seule biographie française de Hitler (Grasset, 1999) et la synthèse la plus récente sur le Troisième Reich (Perrin, 2014). Ses derniers ouvrages, chez Nouveau Monde éditions, outre la biographie de Martin Bormann (2020) sont : Hitler/ Propos intimes et politiques (2 volumes) et Hitler et Pétain , tous deux réédités dans la collection de poche Chronos.
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