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L’offense au chef de l’État est un délit en droit français, régi par l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Clementine Portier Kaltenbach revient sur le cas de quelques “condamnés” avant l’abrogation de la loi en 2013…
Article publié dans Histoire Magazine N°13

Pour avoir traité le président de la Ré- publique d’«ordure» sur les réseaux sociaux, une habitante de Saint-MartinLez dans le Pas-de-Calais a été récemment interpellée à son domicile et placée en garde à vue ; elle risque jusqu’à quarante-cinq mille euros d’amende.

En 1881, année où le délit d’offense au chef de l’État entra dans notre code pénal, elle aurait risqué bien plus qu’une amende pécuniaire, à l’instar de Simon Boubée, premier citoyen français à avoir été condamné en vertu de cette loi: auteur dans Le Clairon d’une série d’articles intitulée «Lettres de mon chien au président de la République», il y affirmait que le président Jules Grévy méritait «d’être pendu (…) et fessé en place publique», car il n’était qu’«un voyou, profanateur, un goujat iconoclaste que l’Élysée a (vait) volé à la police correctionnelle». Ce chapelet d’injures lui valût trois mois de prison et 1500 francs d’amende. (dans les 5000 euros). Pour un président dont le gendre se livrait à l’Élysée à un juteux trafic de Légions d’honneur, Jules Grévy s’était montré bien chatouilleux; d’autant que, loin de lui échoir, la palme du président le plus insulté de la Troisième République était alors déjà détenue par Adolphe Thiers traité de « Nain grotesque, petit jeanfoutre, crapaud venimeux, croque mort de la nation, bandit sinistre, vieux scélérat, vieille chouette, vieillard stupide».

Quinze ans après Boubée, le journaliste Albert Goullé, lui, fera deux mois de prison pour avoir suggéré dans un article que le président Casimir Perrier était «constipé»!  Sous Vichy, la peine peut aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement. Rien de tel sous la présidence du Général de Gaulle, durant laquelle, les quelques délits d’offense prononcés ne seront jamais assortis de peines de prison. L’ultime condamnation au titre de la loi de 1881 a été prononcée en 2008, contre un certain Hervé Eon qui, au Salon de l’Agriculture, aurait dit à Nicolas Sarkozy : «Ne me touche pas, tu me salis», à quoi le Président a répliqué : «Eh ben casse-toi Pov con». Hervé Eon a été condamné à 30 euros d’amende avec sursis, condamnation jugée attentatoire à la liberté d’expression par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui a condamné la France.

Du coup, pour éviter un vide juridique, le texte relatif au délit d’offense a été abrogé en 2013 à la demande de François Hollande, président en exercice. Attention toutefois! La loi prévoit toujours la possibilité pour le Président de saisir le Parquet pour injure ou diffamation et le délit d’offense ayant disparu, l’amende pour diffamation, elle, s’est considérablement alourdie. Quoi qu’il en soit, au-delà de la seule question de l’injure, toujours inacceptable, c’est la question du difficile équilibre entre liberté d’expression et respect des institutions en démocratie qui est posée. Une question que le philosophe Alain résumait en ces termes: «Résistance et obéissance, voilà les deux vertus des citoyens. Par l’obéissance il assure l’ordre, par la résistance, il assure la liberté».

Pour aller plus loin:

“De Voyou à pov’con. Les Offenses au chef de l’état de Jules Grévy à Nicolas Sarkozy”. De Raphaël Metz (Robert Laffont) et aussi : « Noms d’oiseaux. L’insulte en politique de la Restauration à nos jours » de Thomas Bouchet chez Stock P

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À propos de l’auteur
Clémentine Portier Kaltenbach

Clémentine Portier Kaltenbach

Journaliste et historienne, Clémentine PORTIER-KALTENBACH collabore à de nombreux journaux et émissions de radio et télévision. Elle est l’auteur d’ouvrages à succès : Grands Z’héros de l’Histoire de France (2010), Les Secrets de Paris (2014), Embrouilles familiales de l’Histoire de France (2016)
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