D’entrée de jeu, l’auteur invite le lecteur à suivre, au jour le jour, de 1787 à 1789, une campagne négrière à bord du Raphaël, véritable « coffre à mort » selon les termes du lieutenant de bord, qui a rédigé un « Journal de voyage ». Quoi de plus éloquent que le récit d’un négrier pris sur le vif ? Nous suivons la sinistre expédition de Marseille au marché aux esclaves de Saint-Domingue, après une escale à l’île de France (île Maurice) et l’achat de plus de 200 captifs le long des côtes de Mozambique. Avant 1783, un navire négrier quittait Marseille tous les trois ans, ils sont neuf à aller à la traite chaque année entre 1783 et 1793. L’auteur décrypte ce « boom » dans un port qui a longtemps été réticent à ce trafic malgré les incitations et subventions de l’État pour y participer. Le plus singulier, c’est que ce soudain essor se produit alors que des voix condamnent la spéculation négrière en des termes d’une grande modernité, fustigent l’esclavage et la colonisation. Mais ces vertueuses paroles sont sans incidence sur l’infâme trafic.
Les navires, en rien spécialisés, les cargaisons de traite dont le corail rouge comme « produit d’appel », les techniques d’achat et les lieux de traite du golfe de Guinée à l’Angola et en Afrique de l’Est sont rigoureusement examinés. Outre cette participation à la traite atlantique, des caboteurs provençaux se livrent à un discret trafic négrier en Méditerranée, transportant des esclaves de l’Afrique sub-saharienne vers les Échelles du Levant.
Comme les navires employés, les hommes de la traite, à commencer par les capitaines, dont sont retracés quelques parcours professionnels, sont des négriers par intermittence, se livrant à ce commerce au gré des circonstances, sans état d’âme. Il en est de même de négociants-armateurs, qui participent « accessoirement » aux côtés d’autres activités marchandes à ce trafic esclavagiste.
La présence de gens de couleur, esclaves et libres, dans le Midi de la France résulte largement de la traite. Le comportement des autorités nationales et des populations locales oscille à leur égard entre rejet et, peut-être plus qu’ailleurs, intégration. Non seulement l’interdiction de la traite, imposée par l’Angleterre en 1815, ne met pas un terme à la pratique, mais une traite négrière « déguisée » se maintient après l’abolition de l’esclavage. On l’aura deviné, cette étude originale et souvent surprenante, accompagnée de documents, brise un lourd silence, comble un vide historiographique et un trou de mémoire.