La guerre est le temps par excellence de l’inconnu : de quel côté du mur se cacher pour éviter les balles ? Comment croire à l’avenir quand la mort rôde ? Ma vie va-t-elle prendre fin tout de suite ? La douleur va-t-elle m’assaillir ? La guerre est le temps de l’incertitude. Pour y survivre, l’individu développe des stratégies qui le rassurent, lui donnent l’impression de contrôler son destin et lui fournissent des explications. L’archéologue suisse Waldemar Deonna explique que la guerre est le « temps de régression » des civilisations, celui qui fait apparaître « des formes régressives de la croyance ». L’abbé Charles Calippe pense que la peur et l’ignorance se conjuguent pour que s’épanouisse une « religiosité instinctive et incoercible ». La guerre est le temps des superstitions. La Première Guerre mondiale fournit une irremplaçable documentation. Ce sont les innombrables enquêtes menées auprès des combattants : Camille Jullian et Albert Dauzat en France ; Agostino Gemelli en Italie ; Hanns Bächtold en Allemagne…
Détourner la religion
Dans ses souvenirs, le soldat Olivier Guilleux note pour août 1914 : « Chaque homme a sur lui son talisman, son porte-bonheur : médaille, scapulaire, croix, pièce de métal, couteau, lettre, à quoi il tient autant qu’à lui-même. » L’écrivain Léon Bloy envoie à ses proches partis au front un morceau du vêtement des enfants visionnaires de La Salette. Les combattants russes portent au bout d’une chaîne une croix et un petit étui où est enfermé un morceau de parchemin paraphrasant le Psaume 90 : « Ne crains pas la flèche volante de la guerre ».
Sur le front français, le jésuite Lucien Roure observe que,