En hystérie les deux gardes allemands ! De la crosse de leur fusil, pilonnent une dizaine de bougres tassés au sol. Au hasard la volée, crânes, omoplates, reins, jambes, les deux brutes vident leur haine, en ont marre de ces « franzoses » réfractaires à la discipline, prompts au sabotage et en obsession d’évasion, « Fusiller, fusiller » beuglait le plus costaud en s’éreintant à la bastonnade des salopards pincés comme des taupes en plein creusement d’un tunnel. Allait se solder à l’exécution sommaire, la tentative de filer en lousdé du camp de Rawa-Ruska, bourgade perdue en Ukraine en plein « triangle de la mort ». Sinistres les lieux, derrière des barbelés piqués de miradors s’échelonnent quatre blocs en dépouillement bétonnier, deux débraillent inachevés, les autres abritent, l’un, les services administratifs, le dernier, plus ratatiné, l’infirmerie. Voilà ce qui s’apparente encore à la dignité humaine, mais à une cinquantaine de mètres, toutes de guingois, s’éparpillent d’anciennes écuries aux bois disjoints dans lesquelles on agglutine par centaines les hordes de prisonniers déversées chaque jour par des convois de wagons à bestiaux en provenance des camps de travail, les fameux stalags. De la vermine terroriste les hordes, regroupent gaullistes, communistes, têtes brûlées, tous les dégénérés à ravaler moins que bétail. Privée de chauffage, de couverture la racaille, qu’une combine pour se réchauffer la nuit, se recroqueviller les uns contre les autres dans les caisses superposées par trois qui servent de couchettes sans même une couche de paille en guise de matelas. Le plus abject dans cet univers de cafard, les latrines réduites large béance pestilentielle au milieu de la cour et accessibles que le jour tout comme le seul point d’eau, un robinet planté près d’un mur. Interminable la queue pour atteindre l’écoulement jaunâtre porteur d’une myriade lilliputienne cause de bronchites, pleurésies, pneumonies, en concurrence avec le typhus propagé, lui, par les poux et les puces en joyeuses agapes des râbles sous les haillons. S’arrêtent pas là les maladies, prolifèrent les dysenteries, gastro-entérites, avitaminoses, décalcifications, rhumatismes, névralgies, tant la famine lamine les organismes. Bien chiche l’infâme rata distribué uniquement le soir à louche maigrelette, de la flotte tiédasse avec pour de rares chanceux, une fane de choux ou deux épluchures de pommes de terre. À la débrouille la récupération de la pitance, chacun s’est bricolé un récipient, les uns avec des morceaux de ferraille rouillée dégotés par hasard, d’autres avec des bouts de lattes arrachés aux murs et certains, comme le matricule 11528 l’un des fugitifs au martyre sous les crosses, utilisent un des sabots alloués comme uniques chaussures à l’arrivée en déportation. Drôle de zigue le matricule 11528, Dédé pour les copains, teigneux de naissance, incorporé au 8e zouave à son appel sous les drapeaux en octobre 1938, corps d’élite semi-disciplinaire le 8e, les autorités militaires y glissaient en renfort des volontaires, les caractères rebelles l’expérience ayant prouvé qu’au front, dans les opérations de trompe-la-mort, il n’y a pas plus téméraires que les rétifs à l’ordre. Inscrit en gras sur la liste des insoumis André, étiqueté « rouge », dangereux bolchévique pour avoir été à dix-huit ans l’un des farouches meneurs de la grève générale de 1936 cette incandescence révolutionnaire mère de l’odieux Front populaire. À mater l’énergumène, incorporé derechef dans le régiment de légende en garnison à Mourmelon dans la Marne.
Dès le franchissement des murs de la caserne, les conscrits étaient cueillis par les aboiements des sous-officiers, c’est leur grande jouissance aux rustres issus du rang l’imposition de leurs galons à l’autoritarisme primaire, du matin cinq heures le lever au clairon, à l’extinction des feux à vingt et une heure, ils épuisent la bleusaille aux exercices bourriques, lui passent rien, qu’elle file droit, au moindre fléchissement, à l’esquisse d’une rebuffade, hop, avilissent le coupable d’une punition publique. Immédiate l’exécution. Devant les camarades figés bien en lignes, voilà l’Ostrogoth aux séries de cinquante pompes ou en tours de cour à la course avec trente-cinq kilos sur le dos. Aiguillon les représailles pour les têtes de mule comme le deuxième classe André, lui, son rejet viscéral ce n’était pas la discipline, mais la férule garde-chiourme, alors récidiva aux bravades, quelle humiliation pour les chefaillons en vengeance, le collèrent au trou seul dans une cellule au pain sec et à l’eau. Ne dressa pas André, le régime de bagnard, il enchaîna les séjours en tôle tant la soumission de chien lui répugnait, n’échappa à l’infecte spirale qu’avec l’ordre de marche au combat fin août 1939. Quelle métamorphose, aussitôt comme les autres, bien gaillard à la perspective d’affronter les Allemands ! L’idéalisme sa motivation, pas le patriotisme, faut dire que toute sa génération avait grandi dans une France en lamentations des horreurs de la Grande Guerre, familles à ruminer ses drames, pas que des mots les horreurs, bien visibles, même chez lui à Meulan bourgade modeste à quarante kilomètres de paris, suffisait d’arpenter la rue Principale pour buter ici ou là sur la silhouette incomplète d’un disloqué de la boucherie, manche où pantalons vides épinglés par le revers, plus épouvantable, maraudaient inidentifiables quelques gueules cassées, regard halluciné dans une charpie de chairs, ils foutaient la trouille les monstres en douleurs perpétuelles, on les fuyait, mâchouillait à distance : « plus jamais ça ! », l’avait récupérée la rengaine générale le môme André « plus jamais ça, plus jamais ça », en avait mûri pacifiste, non violent radical puis, à ses treize ans, la vie l’avait rattrapé au réalisme, authentifié surdoué par les prix d’excellence dans toutes les matières, il dût néanmoins quitter l’École « le père » et « la mère » comme il appelait ses parents ayant capoté ses folles ambitions d’un catégorique « Faut gagner ton pain mon garçon, les études c’est pour les riches ou les feignants ! ». Après un CAP d’ébéniste, placé à l’usine le vif esprit, rivé à la chaîne huit heures par jour, quelle dégradation, la dignité l’embringua à la lutte des classes, elle l’enragea, mais (s’abonner pour lire la suite – 0€ le premier mois puis 3,50 €/mois version papier livrée à domicile et version numérique)

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