Pourquoi ce titre ?
Pierre Abou: Les chacals sont dans les récits bibliques les hôtes des cités vaincues, désertées par leurs habitants. Dans la brousse, ils s’assemblent la nuit avant de s’attaquer aux animaux les plus faibles. Je vous laisse deviner ce qui rapproche ces prédateurs des envahisseurs allemands prenant possession des palaces parisiens en juin 1940.
Comment l’idée de ce livre a-t-elle germé ?
À cause d’un assassinat, celui d’un jeune Juif mort à Birkenau en 1942, que ses proches n’ont pu élucider. Comment à vingt-deux ans pouvait-il avoir été visé par la rafle dite « des notables ? » Son statut militaire et le port de l’uniforme au moment de son arrestation n’aurait-il pas dû lui éviter la déportation ?
Mon premier réflexe a été de consulter les archives de son unité d’affectation, l’hôpital du Val de grâce où il était infirmier. Il m’a été répondu que les archives de la période de l’Occupation y ont été détruites. Anne Sinclair se heurtera à la même porte lors de la préparation de son livre-enquête « La rafle des notables. »
Mais le grain de sable dans les rouages de l’Occupant, que constituait la détention par erreur d’un militaire en uniforme, a laissé du côté allemand une trace administrative que j’ai suivie jusqu’au cœur du processus menant au crime de masse.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans cette tâche ?
Celles posées par tout crime de bureau. La chaîne de causalité est longue et complexifiée par le souci de chaque acteur de faire disparaitre les traces de sa décision ou de minorer son rôle. Il est pourtant essentiel de ne négliger aucun maillon, depuis la chancellerie du Reich jusqu’à la concierge ayant renseigné les soldats allemands le matin de la rafle, en passant par les serviteurs de Vichy, les responsables des camps, le commandement militaire en France. J’arrive assez vite à la conclusion que c’est là que se prennent les décisions les plus lourdes et notamment celles qui couteront la vie au jeune militaire juif et à ses compagnons.
Le groupe que forment ces militaires allemands a été peu étudié et jamais dans toute son étendue. Sur quels critères l’avez-vous constitué ?
J’ai pris le parti de décrire les itinéraires des hommes nommés au commandement militaire allemand en France au cours de la première année de l’Occupation. Bien entendu l’accent a été mis sur ceux en charge de la répression et de la surveillance de la population.
Le livre s’étire sur une période allant de 1940 à 1998. Que signifient ces dates ?
Le livre s’ouvre sur la visite-éclair d’Adolf Hitler le 23 juin 1940 le seul voyage de sa vie dans la capitale française. Il se termine un jour de 1998 avec la mort d’Ernst Jünger, dernier officier ayant occupé une position-clef à l’hôtel Majestic, siège de l’État-major de l’Occupant.
Le moins que l’on en puisse dire est que les organisations ne se laissent pas déchiffrer aisément.
Iriez-vous jusqu’à dire que l’opacité de l’organisation de l’Occupant fait partie de son efficacité ?
En effet. Même si la complexité des structures a fait croire à certains à un chaos organisationnel. Il n’en est rien. Au contraire, j’ai été frappé par la modernité des concepts, dont certains ont été importés des États-Unis par les nazis comme l’organisation matricielle, le leadership (auquel correspond la notion de Führung enseignée aux cadres du régime),
Ce contenu est réservé aux abonnés. Connectez-vous pour y accéder.
Pour lire la suite, abonnez-vous. Choisissez votre formule ici