<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’art d’être candidat par Bruno Fuligni
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Photo : Caricature d’Albert René, en « une » de La République illustrée . durant les législatives de 1902, un candidat obèse affirme qu’il a « préféré mourir de faim » plutôt que de renier ses principes.
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L’art d’être candidat par Bruno Fuligni

par | La folle histoire des élections, N°11 Histoire Magazine

Article publié dans Histoire Magazine N°11

Ô Peuple ! si tu crois qu’un obscur ouvrier/ Puisse servir tes droits sous l’humble tablier,/ Soumis au jugement de ton aréopage,/ Oui, Peuple souverain, je brigue ton suffrage », s’exclamait en vers le coutelier Ferdinand Parfu, candidat à la Constituante de 1848 dans le département de la Seine. L’ambition y était, l’enthousiasme aussi, mais un peu trop d’emphase a peut-être nui à sa candidature, qui échoua.
Tout aussi maladroite fut, au même scrutin, la profession de foi d’Alexandre Dumas, en Seine-et-Oise : « Voici mes titres : sans compter six ans d’éducation, quatre ans de notariat et sept années de bureaucratie, j’ai travaillé vingt ans à dix heures par jour, soit 73 000 heures. […] J’ai composé 400 volumes et 35 drames. […] Ces drames et livres, en moyenne, ont soldé le travail de 2 160 personnes. » Cette théorie du ruissellement avant la lettre n’emporta pas l’adhésion des électeurs, qui boudèrent ce candidat trop fier de lui.

Bande dessinée antiparlementaire d’Henriot. Paru dans Le Pèlerin au moment de la mise en service des isoloirs en 1913.

Quand on sollicite les suffrages du peuple, mieux vaut faire profil bas, montrer au citoyen qu’on est proche de lui, son égal, voire son inférieur…

« Pénétré de mon insuffisance, je n’aurais jamais prétendu à siéger parmi les représentants du peuple », déclarait plus habilement le romancier Eugène Sue, triomphalement élu lors de l’élection législative complémentaire du 28 avril 1850.

Profession de foi républicaine, résumant en vers les idéaux de 1848.

Pour le reste, l’auteur des Mystères de Paris avait opté pour une profession de foi des plus simples : « Adhésion de cœur et d’âme à la forme et à l’esprit du Gouvernement républicain. Ferme volonté de réclamer, avec toutes ses conséquences sociales et politiques, l’application de cet immortel principe : Liberté, Égalité, Fraternité. »

C’est là une autre clef du succès : au lieu de multiplier les promesses oiseuses, mieux vaut laisser rêver l’électeur en faisant campagne sur un texte vague qui ouvre toutes les portes sans engager à rien. « Même et surtout si le candidat croit devoir se tenir dans le domaine des banalités, il convient que le nerf et l’éclat du style rachètent la pauvreté voulue des idées », conseillait ainsi l’auteur anonyme qui, signant « Un ancien ministre », publiait en 1930 Tu seras député ou l’art d’être candidat, aux éditions Arthème Fayard.

Ni droite ni gauche

« Quant à toutes ces promesses dont on est si prodigue en période électorale, vous me permettez de m’en dispenser. Mes concurrents vous les ont toutes faites. C’est à moi que vous confierez le soin de les tenir ! » bottait en touche Emmanuel Arène dit U ré Manuelu, « le roi Emmanuel », inamovible député de la Corse de 1880 à 1904, puis sénateur jusqu’à sa mort en 1908. Comme d’autres, il savait l’électeur plus sensible à l’échange direct et à la perspective de places ou de décorations qu’à des déclarations d’ordre général. Aussi fit-il partie de ces candidats efficaces dont la personne même constituait l’essentiel du programme.
« Je vous offre mon passé en garantie de l’avenir ; je resterai tel que j’ai toujours été », assurait sans mentir le radical Gaston Thomson, élu député de l’Algérie en 1877 et qui le resta jusqu’à sa mort en 1932, soit le record absolu de cinquante-quatre années de mandat législatif continu.
« Vous me connaissez bien, je n’ai pas besoin, comme d’autres, d’aller vous faire de vagues exposés dans des salles froides et désertiques », ironisait le gaulliste Émile Liquard, candidat aux législatives de 1958 en Gironde. « Je ne me présente pas à vous car vous me connaissez bien et depuis longtemps », écrivait Marcel Dassault aux électeurs de l’Oise, pour les législatives de 1973. Dans cet esprit de proximité, tout l’art consiste à éloigner ce qui fâche, à nier même le caractère politicien de la démarche. « Je ne suis pas un homme politique au sens péjoratif du mot », expliquait le gaulliste Jean Coumaros, élu aux législatives de 1958 et plusieurs fois réélu dans la Moselle.
Le candidat se présente pour ainsi dire à contrecœur, cédant aux insistantes pressions de ses amis, parce qu’il n’y a pas d’autre option pour la cause et pour le bien du pays. Il ne tient pas tant que cela à être élu et assure qu’il n’a pas d’idées préconçues, voire pas de programme du tout…
« Quelques-uns de mes amis m’ayant engagé à me présenter comme candidat, j’ai accepté, consentait le citoyen Jouy, candidat ouvrier à la Constituante de 1848 ; mais comme j’ai toujours su faire abnégation de tout sentiment d’orgueil et d’intérêt personnel, quand il s’est agi de l’intérêt commun, je suis prêt à me retirer et à faire place à un citoyen plus méritant et pouvant être plus utile que moi aux intérêts de la République. »
« Ce n’est un secret pour personne, je l’ai dit à la radio, à la télévision, je l’ai écrit, que je n’avais nullement l’intention de briguer vos suffrages » haranguait victorieusement le général Bigeard, élu député de Meurthe-et-Moselle en 1978. Et il concluait ainsi : « N’écoutons pas les prophètes à la bouche fleurie qui veulent nous conduire sur la voie perfide de la facilité temporaire, dont nous voyons mal l’issue. La seule promesse que je puisse vous faire c’est de défendre vos intérêts, sans faiblesse. »
« Je ne viens pas vous demander vos votes ou faire carrière, prévenait quant à lui Max Gallo, candidat socialiste aux législatives de 1981 dans les Alpes-Maritimes. Je veux simplement être utile à tous ceux qui travaillent, qui n’ont jamais la parole. Tous les cinq ans, on leur dit : “Votez pour moi”, et après on leur serre les mains sur les terrains de boule. »
Pour le candidat chic, la question de l’étiquette politique reste donc subsidiaire et anecdotique. Ni droite ni gauche, seul l’intérêt national compte. « J’irai m’asseoir au plafond, je ne vois de place pour moi dans aucun groupe », déclarait déjà Lamartine, élu député du Nord en 1831.


Au contraire, le candidat stylé prendra soin de rejeter les extrêmes pour rassembler les bonnes volontés dans une concorde aussi large que possible :

« Nous sommes les adversaires des théoriciens de l’absolu et des doctrinaires de toutes les écoles », lançait par exemple Gambetta durant les législatives de 1881.

Après lui, beaucoup d’autres se présenteront en ces termes subtils : « Républicain modéré, mais non modérément républicain », ce qui laisse entrevoir une grande marge de manœuvre en dehors des principes fondamentaux du régime. « Je fais appel aux électeurs qui ne veulent ni réaction ni révolution. Qu’ils s’unissent et le succès est certain », assurait ainsi André Tardieu aux législatives de 1914. Au-dessus des partis, c’est « sans exclusive » et « exempt de tout sectarisme » que le candidat habile s’engage à être l’élu de tous.

Caricature antiparlementaire de la IIIème république. Marianne en marchande d’habits conseille un candidat hésitant entre plusieurs étiquettes.

Vivats

Dès lors, il importe de trouver la bonne formule pour terminer sa profession de foi : assez martiale pour témoigner de sa conviction, point trop idéologique pour ne pas rebuter les indécis.

« Vive la République, vive la France ! » reste le meilleur viatique, d’autant qu’il donne un cachet officiel annonciateur de fonctions publiques et de responsabilités exécutives.

L’art d’être candidat incluant celui de savoir doser les vivats, on ne retiendra que dans une circonscription très rouge l’exemple de Christophe Thivrier dit Cristou (Allier), candidat socialiste aux législatives de 1889, qui scandait : « Place au Peuple ! À bas les voleurs ! Vive le Parti ouvrier ! Vive la République sociale ! » Plus doux était le radical Charles Beauquier, élu député du Doubs sur cet élan tout simple : « Vive la République démocratique et sociale ! » Plus inventif, l’homme d’affaires et imprimeur Hippolyte Marinoni tenta en 1871, à Paris : « Prenons la devise des Américains : GO AHEAD! En avant !! » Mais il ne fut pas élu…
Dans les Basses-Alpes — actuelles Alpes-de-Haute-Provence —, l’ancien préfet Louis Andrieux, par ailleurs père naturel d’Aragon, réconciliait les Français par cette formule englobante : « Vive tout ce que nous aimons : la République et la Patrie, nos libertés et nos foyers. » Mais la plus belle clameur appartient sans doute au chimiste Georges Claude, « candidat de la Science » aux législatives de 1928 : « Si vous ne votez pas pour moi, je m’en fiche ; avant tout je veux faire mon devoir ! »

Carte postale satirique de la Belle Epoque.

Tract électoral distribué par le poète Isidore Isou et le groupe lettriste dans la perspective des régionales de 1992.

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À propos de l’auteur
Bruno Fuligni

Bruno Fuligni

Bruno Fuligni, écrivain, historien, maître de conférences à Sciences Po, est l’auteur de trente livres dont Tour du monde des terres françaises oubliées (Éditions du Trésor). Il publie L’argot des manchots. Petit lexique en usage dans les Terres australes et antarctiques françaises (Hémisphères) - Histoire amusée des promesses électorales (Tallandier) - Les lois folles de la République (JC Lattès) - Souvenirs de police (coo."Bouquins", Robert Laffont). l vient de publier le manuscrit inédit de Marie-Justine Pesnel, "Les Confessions de Madame Cent-Kilos" (JC Lattès).
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