<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> «Les Français veulent pouvoir continuer à aimer la France et à vibrer aux récits de son Histoire»
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«Les Français veulent pouvoir continuer à aimer la France et à vibrer aux récits de son Histoire»

par | Entretiens, N°6 Histoire Magazine

Article publié dans Histoire Magazine N°6
Camille Pascal est historien de formation. Après avoir connu les coulisses du pouvoir en étant, entre autres, plume de Nicolas Sarkozy, il écrit maintenant des livres d’Histoire, comme "Ainsi, Dieu choisit la France aux éditions Artèges et le roman "L’été des quatre rois" chez Plon qui a été consacré par le Grand prix du roman de l’Académie française. Il livre, pour Histoire Magazine, ses réflexions sur son travail ainsi que sur l’Histoire. Entretien avec Camille PASCAL...

Pourquoi ce choix de la révolution de Juillet 1830 pour L’été des quatre rois, votre premier roman historique ?

Camille Pascal : Parce que cette révolution « romantique » est éminemment romanesque ! A moins que ce ne soit l’inverse…
Voilà une révolution qui se déroule sous les yeux ébahis de Chateaubriand, de Stendhal, de Hugo, de Dumas, de Vigny et de Berlioz et aucun de ces génies n’a vraiment compris ce qui était en train de se passer. La palme de la cécité politique revenant à Stendhal qui, barricadé dans un hôtel garni de la rue de Richelieu, se plaint de ce que le bruit de la révolution qui éclate à sa porte l’empêche de relire les épreuves de son roman Le Rouge et le Noir… Libéral, anti clérical, ennemi juré des Bourbons, il aurait dû applaudir aux évènements et descendre dans la rue et il ne trouve rien de mieux à faire que de se moquer dans les salons parisiens de ce peuple de Paris qui croit pouvoir défier la plus puissante armée du monde…
Ne parlons pas d’Hugo aux prises avec ses mésaventures conjugales et qui profite de ces journées de juillet pour commencer un « roman à la Walter Scott » qui deviendra Notre-Dame de Paris… Contrairement à 1848, il ne prendra aucun risque politique mais l’assaut des gueux doit tout aux évènements de 1830…
Cet aveuglement a aussi frappé les historiens – notamment marxistes mais c’est presque un pléonasme – qui méprisent depuis toujours cette révolution bourgeoise qui a simplement permis à une couronne de changer de tête sans en faire tomber une seule….

Pourtant au terme de ce livre, je suis intimement convaincu que nous sommes bien plus les héritiers de 1830 que de 1789. Notre société, nos institutions, nos traditions politiques, notre Constitution, notre vie médiatique même sont nées à ce moment-là.

A la lecture de votre roman, on est frappé par l’aveuglement ou la médiocrité de certains acteurs de ce moment historique de l’Histoire de France. Voyez- vous des analogies entre cette époque et la nôtre ?

Camille Pascal :

Trois personnages dominent intellectuellement et politiquement la révolution de 1830, Talleyrand, Thiers et Louis-Philippe. Trois grands politiques pour trois glorieuses, ce n’est pas si mal. Combien d’hommes et de femmes politiques français auront été à la hauteur des évènements du XXème siècle ?

Comptez sur vos doigts cela suffira… Pour le reste, la bêtise, la médiocrité, l’incompétence, la lâcheté, la méchanceté, l’indifférence et la déloyauté encombrent les coursives de toutes les époques. Le problème avec 1830, c’est que les témoignages abondent… Cette révolution n’ayant tué aucun de ses grands acteurs, chacun a laissé des mémoires ou des souvenirs pour se justifier et dénoncer l’aveuglement et la médiocrité des autres ! Pour l’écrivain c’est pain béni …

Dans le cadre d’une révolution pourtant gagnée dans la rue, le peuple est toutefois presque absent dans ce livre. Cette mise à distance était- elle volontaire ?

Camille Pascal : C’est un reproche que j’ai lu, ici ou là, à propos de l’Eté des quatre Rois. Or – pardonnez moi – je considère qu’il est parfaitement infondé. J’ai longuement décrit les barricades, l’occupation de l’Hôtel de Ville ou du Palais Royal, la prise des Tuileries, le pillage de l’Archevêché, la marche sur Rambouillet, l’hostilité des populations urbaines au passage du cortège funèbre de la monarchie et à l’inverse le silence respectueux des paysans du Cotentin venus lui rendre hommage. En revanche, ce n’est pas de ma faute si, dès les premières heures, cette révolution populaire sans véritable chef a été canalisée, manipulée, reprise en main et finalement muselée par la grande bourgeoisie parisienne. En voyant le peuple partout, l’Histoire des Annales a d’une certaine façon biaisé notre vision de l’Histoire… Les élites aussi font l’évènement et notamment les révolutions…

En tant qu’ancienne plume de Nicolas Sarkozy, avez-vous, par cette expérience directe et personnelle du pouvoir, un regard différent sur les événements historiques ?
Camille Pascal : L’Histoire est le plus souvent écrite et enseignée par des gens qui ne connaissent rien au pouvoir et encore moins à la religion. C’est un handicap majeur pour comprendre et écrire l’Histoire de France, pays catholique et centralisé… Ce n’était le cas ni de Taine, ni de Guizot, ni de Tocqueville, ni même de Lavisse qui avait été – faut-il le rappeler – précepteur du prince impérial et collaborateur de Victor Duruy.
L’expérience directe et personnelle du pouvoir permet de saisir sur le vif son fonctionnement, ses ambitions, ses limites, ses craintes et ses réactions. Quant à la vie politique et médiatique, elle m’a permis d’en apprendre davantage sur la nature humaine et les rouages de la société que tous les séminaires d’ethnologie ou de sociologie que j’ai pu suivre pendant mes études sur la Montagne Sainte-Geneviève. Les stéréotypes et les postulats idéologiques véhiculés par la recherche, dite scientifique, en Sciences Humaines mériteraient une thèse à eux seuls !

Votre livre Ainsi, Dieu choisit la France est dans la lignée des grands historiens roman- tiques du XIXe siècle comme Jules Michelet ou Hippolyte Taine. Est-ce une volonté délibérée de vous inscrire dans cet héritage historique ?

Camille Pascal : Oui. C’est une filiation affirmée et revendiquée. Les épigones de l’école structuraliste ont déconstruit avec une application effrayante l’évènement, la chronologie, puis l’Histoire et enfin l’Histoire Nationale. Aujourd’hui le résultat est là.

La transmission a été interrompue et les moins de quarante ans nagent allègrement dans une sorte de grand bain « mémoriel » et « structurel » sans le moindre repère.

On leur apprend qu’à toutes les époques et sur tous les continents, la bourgeoise ne cesse « de monter », l’aristocratie de « décliner », le peuple de « souffrir » et qu’enfin les minorités n’ont jamais cessé d’être « opprimées… ».
C’est, à mon sens la grande trahison des universitaires, des chercheurs et de certains enseignants qui ont fait le choix délibéré de l’idéologie, non seulement contre la Nation mais contre la République qu’ils sont pourtant sensés servir et qui les rémunère…

Aujourd’hui, c’est donc la télévision publique qui fait ce travail d’acculturation historique. De là, les attaques d’une violence inouïe dont un homme comme Stéphane Bern a été la cible de la part de ces mêmes universitaires. Sans parler du sort réservé au grand projet d’une Maison de l’Histoire de France…

C’est le « touche pas au grisbi » des Tontons Flingueurs appliqué à l’Histoire Nationale !

Pour ce livre, vous reconnaissiez vouloir renouer avec le «récit national». Celui-ci vous apparaît- il comme nécessaire ?

Camille Pascal :

Le récit national a été construit au début du XIXème siècle par des hommes qui avaient compris qu’un peuple ne peut se reconnaître dans une nation qu’à la condition d’adhérer à une histoire commune.

Après la Révolution et l’épopée impériale, l’Histoire ne pouvait plus se confondre avec celle d’une dynastie ou venir confirmer une téléologie religieuse. De là l’invention, dès le lendemain de 1830 – on y revient – de la notion de Monuments Historiques. Car ces monuments désignés comme tels, qu’il s’agisse de bâtiments à sauvegarder ou d’archives à publier, ont pris une fonction essentielle : fixer la mémoire et aider à construire l’Histoire de la Nation autour d’un récit cohérent. La frise chronologique a claqué au vent comme un étendard.

Ce programme historique a été respecté par la Monarchie de Juillet, le Second Empire, la Troisième République et ce jusqu’au début de la Vème. Après 1968 il a été décidé que l’Histoire ne devait pas donner lieu à un récit mais permettre de vérifier, voire de légitimer, des théories économiques, culturelles et sociologiques.

L’Histoire n’avait plus le droit de raconter la Nation, elle devait accompagner la Révolution ou plus exactement les révolutions, de la société, des mœurs et des représentations… L’Histoire de France a été sacrifiée à Bourdieu et Foucault.

Cinquante ans plus tard, c’est un véritable naufrage intellectuel et politique. Il faudra des années et une prise de conscience collective pour renflouer l’épave.

Comment jugez- vous le rapport des Français avec leur histoire et leur patrimoine ?

Camille Pascal : Les Français, contrairement aux intellectuels, sont restés fidèles à Augustin Thierry, à Guizot, à Mérimée, à Michelet, à Lavisse et surtout à Alexandre Dumas. Ils veulent pouvoir continuer à aimer la France et à vibrer aux récits de son Histoire, de leur Histoire… Ils ont aimé les livres des pionniers de l’Histoire des Annales quand Emmanuel Le Roy Ladurie, invité chez Bernard Pivot, leur racontait la vie d’un petit village occitan à l’époque de la croisade des Albigeois ou que Pierre Goubert leur décrivait celle de vingt millions de Français sous le règne de Louis XIV mais aujourd’hui, ils ne comprennent pas pourquoi les héritiers de ces grands professeurs ont décidé qu’il fallait proscrire les croisades et Louis XIV de l’enseignement de l’Histoire.
Alors les Français font ce qu’ils savent très bien faire, ils font de la résistance. Ils plébiscitent les émissions historiques, ils prennent en main la sauvegarde de leur patrimoine et ils pleurent devant l’incendie de Notre-Dame car ils savent que c’est une partie d’eux-mêmes qui est en train de brûler sous leurs yeux.
Ils vont même jusqu’à faire le succès d’un livre de 670 pages consacré à la chute du roi Charles X et à la Révolution de 1830. C’est dire…

L’été des quatre rois. De Camille Pascal. 670 pages. Août 2018. Grand prix du roman de l’Académie française. Éditions Plon. 22,90 €. Édition pocket disponible.
Les derniers mondains. De Camille Pascal. Sortie le 3 octobre 2019. Editions L’abeille Plon. Prix 9 €

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Benjamin FAYET

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