Il demeure l’historien le plus célèbre dans le monde, notamment pour sa prophétique «Histoire du Climat» et pour nombre d’ouvrages de référence dont le best-seller «Montaillou, Village Occitan». Membre de l’Académie des Sciences morales et politiques, Docteur Honoris Causa de nombre d’Universités -Oxford, Carnegie-Mellon et tant d’autres- de grandes écoles telles les HEC, membre honoraire de l’Académie japonaise des Sciences -la liste est longue-, Emmanuel Le Roy Ladurie livre ici de bien décapantes vérités sur divers poncifs, et replace en perspective la Révolution. Un contexte qui ne se borne pas à des événements, voire une chaîne de faits, mais s’intègre dans la longue période et ne peut faire l’économie des conditions, telles celles qui déterminent la prospérité ou la pauvreté et… la révolte. Cela permet de comprendre pourquoi « la Révolution n’était pas écrite d’avance ».
Les historiens ont-ils le droit de tracer des lignes d’horizon en prolongeant les tendances qu’ils repèrent dans le présent et le passé ?
E. Le Roy Ladurie : La question est tout sauf nouvelle, vous le savez bien. Un historien est d’abord un citoyen et à ce titre, il a le droit de penser à l’avenir. Il faut bien sûr être prudent. On peut néanmoins apprendre beaucoup du passé. A condition de procéder avec méthode.
En ce qui concerne précisément la méthode, je vais commencer par un événement très simple. Un événement ayant affecté mon entourage immédiat et donc, ma façon de penser lorsque j’étais enfant. Il est survenu dans ma famille un véritable traumatisme : mon grand-père, chef de bataillon, a été révoqué en 1902 dans le cadre de la politique anticléricale de l’époque. On le sait, les lois laïques imposaient à cette époque les « inventaires » des biens de l’Eglise. Il avait refusé. Ma famille était alors constituée d’une batterie d’oncles, de tantes, outre mes dix-huit cousins germains. Ce drame familial de 1902 «tournait en boucle» lors des repas, des réunions familiales, à la sortie de la messe. J’ai grandi dans l’idée que le persécuté était le catholique. Mais, dans les années 1930, une femme de ma famille a épousé un homme de la communauté juive. Et c’est ainsi que j’ai réalisé, assez jeune, que les catégories n’étaient peut-être pas aussi simples, les persécutés pas seulement ceux qu’on pensait dans les milieux catholiques.
Mais laissez-moi ajouter une seconde donnée. Né en 1929 à la campagne, aux Moutiers-en Cinglais dans le Calvados, j’étais tourné vers le monde rural, mon père étant propriétaire foncier et exploitant agricole. Devenu député, il sort un jour de la Chambre et reçoit une averse. Sa réaction :
«- M.., mes blés vont pourrir sur pieds !» n’est pas seulement celle d’un connaisseur des vents dominants. Ces vents, on le sait, proviennent souvent de la Manche et rabattent sur Paris une pluie qui les accompagne et se déverse par la vallée de la Seine. Ses collègues députés qui l’entouraient, des citadins pour la plupart, étaient sidérés que le temps, le climat puisse avoir la moindre influence. On ouvre un parapluie, on prend un taxi, ou le métro, et on oublie la pluie ! Si je m’attarde sur ces deux exemples, c’est parce qu’à l’évidence on oublie le fait. Le simple fait. Je suis devenu historien, notamment parce que je ne peux m’empêcher d’observer et analyser des faits.
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