
Décembre 1848, les Français élisent un président de la République au « suffrage universel masculin » direct. L’événement n’a pas de précédent et ne sera pas renouvelé avant la Cinquième République, conséquence parmi d’autres de l’issue du scrutin et de ce qu’il entraîne. Entretien…
Comment et pourquoi le suffrage universel (en réalité masculin) est-il adopté en 1848 ?
Eric Anceau : C’est le renversement de la monarchie de Juillet et l’instauration de la Deuxième République en février 1848 qui amènent l’instauration immédiate du suffrage universel masculin par un décret du 5 mars suivant. Jusque-là, celui-ci avait été appliqué sous la Révolution pour élire la Convention, en septembre 1792, mais dans un contexte de guerre et de pré-terreur et il était très vite devenu une fiction car dilué dans une pyramide d’élections — le système des notabilités de Sieyès — et de plébiscites orientés, encadrés et aux résultats gonflés sous le Consulat et l’Empire avant que la Restauration et la monarchie de Juillet ne lui préfèrent des systèmes censitaires. Les républicains qui le revendiquent avec force sous ces régimes le mettent donc en place dès leur arrivée au pouvoir et en particulier le nouveau ministre de l’Intérieur, Ledru-Rollin, l’horizon de son application étant très proche : l’élection au début du printemps d’une Assemblée nationale chargée de doter le pays d’une nouvelle Constitution. Malgré la revendication de certaines d’entre elles comme Jeanne Deroin, les femmes n’obtiennent pas le droit de vote. Le bouleversement n’en est pas moins considérable. Le corps électoral est instantanément multiplié par 40, passant de 240 000 électeurs à 9,4 millions !
Dès ces élections législatives, la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte fait planer sur les débats l’ombre de Napoléon…
Pas immédiatement ! Louis-Napoléon, le neveu de Napoléon Ier, vit alors en exil à Londres depuis son évasion de la forteresse de Ham où il purgeait une peine d’emprisonnement à perpétuité pour avoir tenté de renverser la monarchie de Juillet. S’il est bien renseigné par ses amis comme Persigny de ce qui se passe en France, il décide de ne pas se présenter aux élections législatives d’avril où plusieurs de ses cousins sont élus. Lors des élections complémentaires de juin, il se laisse fléchir par ses amis et est lui-même élu avec de grosses majorités dans quatre départements. Dès lors, il devient une menace. Le gouvernement le dissuade de venir prendre place à l’Assemblée comme il le voudrait. Il se plie à cette décision. Bien lui en prend, car peu après éclate une guerre civile à Paris au cours de laquelle le gouvernement républicain fait tirer sur les pauvres, révoltés. Louis-Napoléon reste en dehors de la mêlée. Début septembre, il est de nouveau élu dans cinq départements. Le gouvernement ne peut plus s’opposer à ce qu’il vienne prendre place à l’Assemblée. C’est chose faite en plein débat sur la Constitution.