<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Entretien avec Jean Tulard : le  monde du crime sous l’Empire et le Consulat.
Temps de lecture : 14 minutes
Photo :
Abonnement Conflits

Entretien avec Jean Tulard : le monde du crime sous l’Empire et le Consulat.

par | La pègre : de l'Antiquité à nos jours, N°13 Histoire Magazine, Napoléon

Jean Tulard est au cœur de l’actualité littéraire cette année avec la parution de trois ouvrages Le monde du crime sous Napoléon réédité dans la collection Texto, L’empire de l’argent. S’enrichir sous Napoléon chez Tallandier, et la préface de la réédition de l’ouvrage d’Ernest Daudet La police et les chouans sous le consulat et l’Empire aux éditions Terres d’Histoire en partenariat avec Histoire Magazine.

Article publié dans Histoire Magazine N°13

L’insécurité sous le Directoire n’est pas que le fruit de la propagande bonapartiste, pour justifier le coup d’État, c’est aussi une réalité …
Jean Tulard : Le brigandage est en effet une réalité sous le Directoire, faute d’autorité centrale et faute d’autorité régionale. Et le plus bel exemple qui soit fourni de cette insécurité est l’affaire du courrier de Lyon attaqué par une bande. C’est l’illustration même de l’insécurité sur les routes. Alors, qu’y a-t-il sur les routes ? Il y a des brigands parfaitement organisés, et des coups montés comme l’affaire du courrier de Lyon, mais aussi les restes des Vendéens, des chouans, des bandes politiques royalistes qui créent ce climat d’insécurité. Il est évident que sous le Directoire, l’insécurité règne totalement.

Sous quelles formes se manifeste cette insécurité ? La criminalité recouvre différentes formes. Quelles en sont les dominantes ?
Les dominantes de la criminalité sont effectivement les bandes, mais il est évident que dans une ville comme Paris l’insécurité continue à régner. Vous avez à Paris une criminalité qui est alimentée par le fait que beaucoup d’ouvriers viennent y travailler pour les travaux saisonniers. On l’a constaté par la suite, ils ne repartent pas. Ils ont découvert les plaisirs de la capitale. Bobonne qui les attend avec les enfants dans un village du Calvados ou autre est moins attirante que les « pierreuses », que les tapis-francs (un tapis-franc, en argot de vol et de meurtre, signifie un estaminet ou un cabaret du plus bas étage.) Et donc ce sont des ouvriers qui restent et qui vont progressivement prendre des habitudes d’oisiveté. Ils ne travaillent plus et vont se retrouver mendiants à Paris. Une mendicité de plus en plus forte à Paris au point que Napoléon devra créer le dépôt de mendicité de Villers-Cotterêts pour accueillir au moins mille de ces mendiants, et ce sera une goutte d’eau. De la mendicité, on passe au vol, et du vol au crime. C’est un phénomène très caractéristique qui a été analysé parfaitement, mais plus tard, lors de la monarchie de Juillet par Honoré-Antoine Fregier (1789-1860) et qui a inspiré son titre au livre de Louis Chevalier «Classes laborieuses, classes dangereuses ». Il y a donc un glissement à Paris de cette classe laborieuse qui n’étant pas reparti dans la morte saison des travaux, ayant pris des habitudes d’oisiveté et qui va s’amplifier, et que l’on va retrouver notamment dans  Les mystères de Paris avec le chourineur, la chouette, etc. Il y a là une première criminalité à Paris qui devient de plus en plus forte, et c’est face à ces criminels que la Préfecture de Police, impuissante va embaucher Vidocq, un ancien bagnard, que l’on va introduire dans le milieu de ces chourineurs et autres, pour prévenir un certain nombre de délits de ces bandits, que la police elle-même, faute d’avoir des gardiens de la paix, faute d’avoir assez d’inspecteurs ne pouvait pas vaincre.

N’exagérons pas non plus malgré tout l’insécurité. On a les renseignements à travers les bulletins de police que Fouché , chaque jour, chaque matin, remet au Premier Consul puis à l’empereur, où il recense tous les évènements qui se sont passés dans la journée précédente et donc c’est là où on peut compter les agressions les attaques qui sont transmises par la gendarmerie jusqu’à Paris, jusqu’au ministère de la police. Ce n’est pas une insécurité qu’il faut non plus exagérer, mais il est vrai que par exemple, lorsque le pape vient à paris pour le sacre de Napoléon, il y aura une agression en chemin. Une agression du pape !

Évoquant cette époque dans ses mémoires, Napoléon, relève en premier lieu ce qui le touche de plus près, à savoir les attentats contre sa personne, se disant « assailli de toute part et à chaque instant ». Et on pense au plus célèbre d’entre eux, celui de la rue Saint-Nicaise…
Un autre facteur de criminalité, ce sont les attentats politiques. Il y a deux forces d’opposition à Paris, notamment où se trouve le gouvernement, il y a d’une part le faubourg Saint Antoine avec des jacobins qui sont restés profondément républicains et qui dénoncent « César » et donc l’arrivée de nouveaux « Brutus » qui assassineront César et il y a les royalistes, qui eux, infiltrent facilement Paris avec les chouans, on verra l’attentat de Cadoudal en 1804. Il va y avoir toute une série d’attentats politiques et qui visent la personne du Premier Consul. Le plus célèbre est celui de la Rue Saint Nicaise, le 24 décembre 1800, lorsque Napoléon se rend à l’Opéra, à un grand concert. Au passage de la rue Saint Nicaise, il y a une charrette arrêtée avec dessus un baril de poudre, attelée à un cheval que va tenir une petite fille. La mèche allumée est calculée pour faire exploser le baril de poudre au moment du passage de la voiture du Premier Consul. Mais il y a une erreur dans le timing et le baril explose, mais de peu, après le passage du Premier Consul. C’est un attentat manqué, mais la petite fille a été tuée, ainsi que de nombreux passants, et des maisons ont été endommagées.

C’est un attentat spectaculaire. Et c’est là où on voit pour la première fois l’efficacité de la Police avec des méthodes nouvelles. En effet Henry, qui s’occupe de la criminalité à Paris va retrouver les coupables.

Pour le Premier Consul, ce sont les jacobins, pour Fouché, ce ne peut être que les royalistes. Donc l’enquête est confiée à Henry, et va reposer sur les indices. On va relever les restes du cheval dont la tête avait été épargnée, et on va aller interroger les marchands de chevaux. « Vous vous souvenez avoir vendu ce cheval et à qui ? ». Et à un moment donné, un marchand va reconnaître le cheval. « Ah oui, je vois très bien, c’est une Rossinante, j’ai vendu ce cheval pas cher à un type » et il en donne une description, «il avait une balafre». À ce moment-là il n’y a pas de fichiers de police, mais des registres. On confronte le signalement avec les registres où un certain nombre de chouans ont été enregistrés. Et on découvre qu’il y a quelqu’un qui correspond parfaitement : c’est Carbon. Et je vous rappelle que Paris est enfermé dans les barrières de l’octroi en faisant fermer les entrées et les sorties à Paris, après l’attentat, on va passer de quartier en quartier et on va retrouver François-Joseph Carbon, ainsi que son complice Régent (Pierre Robinault de Saint-Régent), Limoëlan s’échappera. L’attentat de la rue Saint Nicaise est typique d’un attentat qui aurait pu réussir, il s’en est fallu de peu, de quelques secondes et où la police pour la première fois a utilisé les méthodes d’investigation avec les indices que l’on utilisera couramment par la suite. C’est la première fois qu’on mène une enquête aussi serrée et qui aboutit à un résultat et qui montre que la Police de Fouché et la Préfecture de police de Dubois étaient particulièrement efficaces.

Attentat de la rue Saint Nicaise à Paris 3 Nivose an 9 de la République. Gravure d’époque à l’aquatinte.

Dans « La police et les chouans » d’Ernest Daudet, que vous venez de préfacer, on prend la mesure des menaces qui pèsent sur Napoléon Bonaparte, et l’état d’esprit du pouvoir. Plusieurs grands faits divers sont racontés, comme l’enlèvement du sénateur Clément de Ris, l’enlèvement de l’évêque de Vannes…


Ce système est mis en place en France. L’enlèvement de Clément de Ris a fait sensation. Il survient après la victoire de Marengo et après donc la consolidation du pouvoir consulaire. Ça y est le Premier Consul n’est plus contesté. Sa victoire à Marengo l’a imposé et on sait qu’il ne restaurera pas Louis XVIII. Il va conserver le pouvoir pour lui. Or, peu après, voilà qu’un sénateur en Corrèze est enlevé par des cavaliers chez lui, dans son château. Et on aura du mal à le retrouver. Finalement, il sera libéré par les ravisseurs. Que s’est-il passé exactement ? On a prétendu, c’est la duchesse d’Abrantès dans ses Mémoires et ensuite repris par Balzac dans Une ténébreuse affaire, que la bataille de Marengo s’est déroulée en deux temps. Dans un premier temps, Bonaparte est battu. Il a été surpris par les Autrichiens. Faute d’éclaireurs, il ne les avait pas compris si proches de son camp. Et donc il bat en retraite. Et à ce moment-là, les courriers partent vers Paris pour annoncer que Bonaparte est battu à Marengo. Fouché et Talleyrand se seraient alors concertés pour prendre le pouvoir, provisoirement peut être, mais enfin prendre le pouvoir tout de même, puisque Bonaparte vaincu ne comptait plus et ils se sont adjoints un troisième personnage Sieyès, mais Sieyès très prudent aurait délégué pour le représenter, un sénateur, Clément de Ris. Ensuite, de nouveaux courriers arrivent pour annoncer la victoire de Bonaparte. Et donc, ce qu’ils avaient prévu, les proclamations, les documents divers officiels doivent être détruits. Talleyrand et Fouché les détruisent. Et Clément de Ris, soit par bêtise, soit par habileté, pour faire chanter ensuite ses complices, les aurait gardés. Fouché s’en étant aperçu aurait fait enlever par des sbires, sous le couvert de chouans, Clément de Ris, jusqu’à ce qu’il ait restitué les papiers, et ensuite il aurait été remis en liberté. Il est évident que nous n’avons aucune preuve de cette intrigue politique qui a été imaginée superbement par Balzac dans Une ténébreuse affaire. Et finalement il semble bien que c’était des chouans qui auraient enlevé le sénateur en espérant une rançon. En tout cas, il y a des gens qui ont été guillotinés, sans qu’on soit certain qu’ils étaient vraiment coupables.

L’enlèvement de l’évêque de Vannes, raconté par Ernest Daudet dans La Police et les chouans, c’est aussi un évènement considérable. Il sera remis en liberté, mais ce sont des affaires qui montrent que la sécurité n’est pas totale, que les routes ne sont pas sûres, surtout lorsqu’elles traversent une forêt.

Les attentats se succèdent, les complots visant à tuer Napoléon créent un climat de psychose, d’insécurité autour de lui. On pense notamment à la conspiration de l’an XII, la grande conspiration de Cadoudal qui a secoué les esprits. Le danger est partout, en France, et même au-delà des frontières…
On a vu deux oppositions : pour les jacobins, la République a été usurpée par Bonaparte, et pour les royalistes, il a pris le trône de Louis XVIII. Mais une troisième menace va apparaître à partir du moment où Napoléon étend sa domination sur les pays qu’il a vaincus et progressivement, il annexe la Hollande, en grande partie l’Italie, puis l’Allemagne. Et il est né dans ces pays un sentiment « national ». Et un troisième péril apparaît donc : celui de patriotes qui vont vouloir assassiner Napoléon parce qu’il est l’homme qui asservit leur pays. Et c’est ici que se place en 1809 l’attentat de Staps qui est un patriote allemand et dans le même temps, Palm pour dénoncer l’occupation française en Allemagne.

La hantise des complots. Portraits exacts des conspirateurs chargés par le gouvernement britannique d’attenter aux jours du Premier Consul. Estampe anonyme . 1804. Musée Carnavalet. Paris

Avec l’arrivée de Fouché, ministre de la Police, le 20 juillet 1799, après un défilé de ministres, on assiste à une réorganisation de l’appareil policier…
Avant il y a eu le ministère de la police général qui a été créé par le Directoire et a été dirigé par des gens de grande valeur comme Camus, mais ils ne font que passer. Et pourquoi ? Parce que c’est un poste politique et que les coups d’État se succèdent. On rappelle qu’il y a quatre coups d’état sous le Directoire, les postes de ministres deviennent très changeants, et ce jusqu’à l’arrivée de Fouché. Fouché va donner au ministère de la police générale une place très grande d’autant plus qu’il va être complice du coup d’État de Brumaire et après Brumaire, il y aura un État stable. Et Fouché va développer cette police en organisant notamment à partir de 1804 en arrondissement de police il y a des arrondissements de police dont un représenté par Paris et à la tête de cet arrondissement de police il y a un conseiller d’état qui supervise la situation et en dessous vous avez toute une organisation de commissaires généraux de police, de commissaires de police et surtout dans les ports, lors du blocus continental, et donc vous avez une police qui va révéler son efficacité notamment en s’appuyant sur la gendarmerie. À l’époque il n’y a pas de CRS, de gardiens de la paix ou de choses de ce genre et c’est la gendarmerie qui en tient lieu.

Un autre personnage étonnant, Vidocq, prend la tête d’une brigade d’anciens bagnards repentis, vous publiez des extraits de ses mémoires dans « Le monde du crime sous Napoleon »…
Vidocq est un personnage qu’en réalité nous connaissons mal. Il a été employé par Henry je vous l’ai déjà évoqué, qui est une figure extraordinaire de la police de l’époque. Il a compris que si on voulait pénétrer dans ces milieux de chourineurs et autres il fallait utiliser non pas des policiers, mais des bagnards repentis et donc c’est lui qui va penser à utiliser un ancien bagnard qui avait proposé ses services et qui est Vidocq. Quel est le passé de Vidocq ? Que va-t-il se passer ensuite ? Nous ne le savons pas. Notamment parce que les archives de la Préfecture de Police ont brûlé en 1871. Tous les dossiers d’Henry, toutes les affaires qu’a pu évoquer Henry, nous ne les avons pas. C’est cela le drame. Il y a les archives du ministère de la Police, les archives nationales, mais il n’y a rien concernant la police de Paris. Et si on a quelques renseignements sur des agents doubles, des agents secrets, on n’a pas les grilles qui ont été perdues, juste quelques chiffres. Donc de Vidocq, nous ne savons que ce qu’il nous dit dans ses Mémoires. Et elles n’ont pas été écrites par Vidocq, mais par ce qu’on appelait à l’époque des « teinturiers », qui ont brodé à partir des renseignements donnés par Vidocq. C’est un ancien bagnard, on a les archives du bagne, on sait qu’il s’est évadé, au moins à trois reprises, de façon assez extraordinaire, qu’il a proposé ses services à la Préfecture de Police, mais qu’il n’a jamais été un agent officiel de la Préfecture de Police. Il a un service à lui, extérieur à la Préfecture où il va recruter un certain nombre d’anciens bagnards comme lui, dont un qui le supplantera finalement, Coco Lacour que l’on retrouve dans Balzac avec Vautrin inspiré du personnage de Vidocq.
On sait par des informations de seconde main ou par la gazette des Tribunaux qu’il a arrêté un certain nombre de bandes, dont celle de « l’écrevisse ».

Et d’autres, moins connus, comme Moncey…
Moncey est le chef de la gendarmerie, souvent en rivalité avec Fouché parce qu’il refuse d’obéir aux ordres de Fouché. Moncey a su prendre la gendarmerie en main, il est maréchal et donc il va lui donner une organisation militaire particulièrement efficace.
Nous savons le rôle joué par la gendarmerie dans la sécurité, notamment par les bulletins de police de Fouché, adjoints aux bulletins de police de Dubois.

Le blocus continental et la contrebande. Brûlement des marchandises anglaises à Francfort. Huile sur toile de Johann Carl Wilck. 1810. Francfort. Historisches Museum.

Vous portez une attention particulière à de nouvelles formes de criminalité qui se sont fortement développées, et notamment la contrebande [après l’instauration du blocus continental en 1806 particulièrement intense en Espagne, dans les pays du Rhin ou à la frontière du Nord]…
Effectivement Napoléon ayant décidé pour vaincre l’Angleterre, pour la vaincre sur mer, décide de la vaincre économiquement. La puissance de l’Angleterre vient de ses exportations. Elle a une avance énorme sur le continent au point de vue industriel, elle a fait déjà la révolution du machinisme et donc elle produit beaucoup plus que le continent et pas cher. Donc, le continent achète les produits industriels de l’Angleterre et d’autre part elle a un empire colonial et redistribue sur le continent européen les produits de l’empire colonial, c’est-à-dire le café le sucre le coton le tabac, etc. et donc Napoléon pense que si l’on empêche les Anglais d’exporter sur le continent européen, il va créer une crise économique et cette crise économique aboutira a la défaite de l’Angleterre, car la prospérité de l’Angleterre repose sur son industrie et sur son commerce. Les produits anglais sont désormais interdits. Vous ne trouvez plus de café, plus de sucre. C’est comme ça qu’on va développer la betterave sucrière. C’est à partir de là que la contrebande va se développer, les Anglais exportant leurs marchandises en contrebande.
Et des armées de contrebandiers vont se créer. Ils sont armés et face à eux, il y a le service des douanes, la police des douanes et d’autres polices. Et on assiste à de véritables batailles rangées entre armées de contrebandiers et armées de douaniers. C’est une autre guerre, économique, moins spectaculaire, et que l’on oublie. Et le mal nouveau, c’est la corruption, et un homme comme Bourrienne, commissaire au commerce à Hambourg, va laisser rentrer en contrebande des quantités de ballots de coton ou de sucre, de tabac et autres. On a là une nouvelle criminalité qui s’ajoute, encore plus redoutable encore que les autres, parce que ce sont de véritables armées, et tout cela est subventionné par des banquiers. La banque parisienne elle-même a investi dans la contrebande. Les Rotschild eux-mêmes vont participer à cette contrebande.

Dans « L’Empire de l’argent », vous montrez bien que cette contrebande est également une source d’enrichissement, non seulement pour les brigands, mais aussi pour les hommes au pouvoir…
On l’a bien vu avec Bourrienne. La corruption et même les spéculations financières avec les banques amènent certaines à faire faillite du fait de ratés dans la pénétration de marchandises de contrebande. Tout cela joue à créer un climat d’insécurité, avec ces contrebandiers que l’on trouve non seulement sur les côtes, mais aussi sur le Rhin.

La conscription. Lithographie gravée par Alexandre Jazet. Marseille.

Vous évoquez également le faux monnayage encouragé par l’anarchie monétaire et auquel Napoléon Bonaparte participe lui-même à la veille de certaines campagnes militaires…
Effectivement, il a la fausse monnaie, du fait de la circulation de monnaies différentes.
Et l’on prétend que Napoléon à la veille de la campagne de Russie aurait fabriqué des roubles pour provoquer un effondrement de l’économie russe. Il y a eu effectivement un article écrit sur « Napoléon faux monnayeur ». N’exagérons pas, il n’a pas joué un rôle très important. Mais la fausse monnaie existe, la circulation monétaire devient de plus en plus importante à mesure que s’accroissent les échanges en Europe. N’oublions pas que l’Europe est presque unifiée sous Napoléon.

La criminalité n’est jamais endiguée, elle est même en recrudescence à partir de 1810.
Le brigandage va reculer progressivement, pratiquement jusqu’en 1808. Les routes sont devenues plus sûres. Il y a la gendarmerie parfaitement organisée par Moncey, le ministère de la police dirigé par Fouché, et le fait des armées qui se déplacent également.

Après 1808, l’insécurité va revenir avec les bandes organisées, les contrebandiers en essor. L’autorité de l’État va se diluer. Fouché n’est plus à la tête de la police. Savary n’est pas à la même hauteur que son prédécesseur.

On assiste de nouveau à une période d’insécurité, moins grande que sous le Directoire, mais quand même une période où les routes ne sont toujours pas très sûres. Et il y a les réfractaires, les soldats qui refusent la conscription.
Jusqu’à la guerre d’Espagne, la guerre est franche et joyeuse. À Austerlitz, il y a très peu de morts, à Iena, également. La boucherie commence avec Eylau.
Napoléon mène la guerre sur deux fronts, au-delà du Rhin contre l’Autriche, contre la Russie, contre la Prusse et par ailleurs il s’est engagé imprudemment, c’est son erreur et sa faiblesse, dans la guerre d’Espagne. Avec deux fronts, il faut encore plus de soldats qu’avant. La conscription au début est très légère, la France est un pays jeune, il y a beaucoup de jeunes en âge de servir. Mais à partir de 1808, la conscription devient beaucoup plus lourde, et la guerre d’Espagne est une guerre atroce. Rappelez-vous le général René fait prisonnier par la guérilla espagnole et brûlé vif dans une chaudière d’huile bouillante avec plusieurs officiers de l’État-major. Ce sont des embuscades. La guerre n’est plus victorieuse. Les jeunes ne veulent plus partir en service. Et donc les réfractaires se multiplient et s’ajoutent aux contrebandiers, aux patriotes, aux déserteurs et aux brigands.

Cette période connaît de grands criminels, les plus habiles faux monnayeurs de notre histoire et les plus audacieux contrebandiers, « l’envers de la gloire impériale ». Pour autant, cette criminalité endémique ne menace jamais les fondements l’équilibre de l’Empire…
Non l’empire va s’écrouler par la défaite militaire. Ce qui a fondé un empire c’est la victoire. C’est d’abord la gloire militaire de Bonaparte et je vous l’ai dit, tout part de Marengo. C’est là que commence le sacre de Napoléon. On sait à partir de la victoire de Marengo qu’il n’est pas question de restaurer et l’écroulement part du désastre de Russie et des affaires d’Espagne. L’armée française ne triomphe pas en Espagne, c’est l’erreur de Napoléon elle ne peut pas triompher face à une insurrection nationale alimentée par l’extérieur par les Anglais. Un conflit national qui est alimenté par une base arrière venant de puissances extérieures qui fournissent des armes ne peut pas être vaincu. Vous avez l’exemple de l’Indochine et de l’Afghanistan et vous voyez bien que la Russie ne pourra pas vaincre l’Ukraine tant qu’il y aura les Américains et les Européens. C’est ce qui s’est passé en Espagne. Et occupé sur deux fronts en Espagne et en Allemagne il est évident que Napoléon est voué à la défaite.

Mots-clefs :

À propos de l’auteur
Jean Tulard

Jean Tulard

Membre de l’Institut, Jean Tulard est professeur émérite de l’Université Paris-Sorbonne. Spécialiste de l’histoire napoléonienne et du cinéma, il est l’auteur d’une soixantaine d’ouvrages, dont les récents Marengo ou l’étrange victoire de Bonaparte (Buchet Chastel 2021), Napoléon, chef de guerre (Tallandier, 2015), Le monde du crime sous Napoléon (Vuibert, 2017), De Napoléon et quelques autres sujets (Tallandier, 2019) et Les égéries de la Révolution (Robert Laffont, 2019). Prix Gobert de l’Académie française en 1971, Grand Prix national de l’Histoire en 1977, il a reçu le prix du Mémorial en 1981 pour l’ensemble de son œuvre. Il est officier de la Légion d’honneur, officier de l’Ordre national du Mérite, commandeur des Arts et des Lettres et chevalier des Palmes académiques.
La Lettre Conflits

La newsletter d’Histoire Magazine

Voir aussi