<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Le dernier exil :  Le quotidien  de Napoléon  à Sainte-Hélène
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Photo : Lithographie d’après une aquarelle de Louis-Joseph-Narcisse Marchand réalisée en 1820 représentant la maison de Longwood sur l’île de Sainte-Hélène. Napoléon se tient debout sur le perron.
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Le dernier exil : Le quotidien de Napoléon à Sainte-Hélène

par | Consulat et premier Empire, N°2 Histoire Magazine, Napoléon

Article publié dans Histoire Magazine N°2

Battu à Waterloo, forcé de se rendre aux Anglais, Napoléon apprend le 31 juillet 1815 que le gouvernement britannique, décidé à ne plus jamais le laisser perturber « le repos de l’Europe », l’envoie résider sur la minuscule île de Sainte-Hélène, dans l’Atlantique Sud, sous surveillance militaire. Il ne peut emmener avec lui que quelques fidèles : le grand maréchal Bertrand, son premier officier d’ordonnance Gourgaud, le chambellan Montholon et le conseiller d’Etat Emmanuel de Las Cases. De fidèles domestiques, comme le valet de chambre Marchand, le maitre d’hôtel Cipriani ou le mamelouk Ali, sont également du voyage, de même que les comtesses Bertrand et Montholon. Le 7 août, le Northumberland appareille pour Sainte-Hélène, où Napoléon débarque le 16 octobre suivant. Il va y finir ses jours, surveillé par une garnison d’environ 2200 soldats, espionné de toutes parts par le gouverneur de l’île, l’implacable Hudson Lowe.

Après un bref séjour dans le charmant pavillon des Briars, au jardin enchanteur, Napoléon emménagea le 10 décembre à Longwood House, une maison tout juste remise à neuf, mais installée sur un plateau venteux, chaud et humide, à proximité d’un camp militaire. Un palais aux allures de prison, où il vécut au milieu des souvenirs de sa gloire, dans un décor étrange, où les meubles anglais de style colonial cohabitaient avec les bibelots et les portraits de famille apportés de France, pâles reflets des fastes du palais des Tuileries.

Dans les premiers temps de son exil, Napoléon, encore en bonne santé, commença par se lever entre 5 et 6 heures, avant de faire une promenade à cheval, de prendre un bain puis de déjeuner en compagnie d’un invité admis à converser avec lui en se tenant debout devant sa table : il convia souvent Las Cases, ou O’Meara, son médecin irlandais. Il passait chaque jour de longues heures à dicter ses Mémoires à ses compagnons d’exil, qui se relayaient pour prendre en note ses souvenirs. A l’heure du dîner, l’empereur, servi conformément aux règles de l’étiquette, monopolisait la conversation et subjuguait ses proches. Il passait en revue les grands événements de la Révolution et de l’Empire et lâchait parfois quelques énormités sur les amours de ses frères et sœurs, les dettes de jeux de ses anciens courtisans ou les petits travers de ses ministres ou de ses maréchaux. La soirée s’achevait au salon par des jeux de cartes, de longues conversations ou un petit concert donné par la comtesse de Montholon, qui chantait et jouait du piano. Il jouait aussi aux échecs, au whistou au reversi, parlait de littérature et d’histoire ou lisait des romans à voix hautes. L’atmosphère, faite de regrets et de ressassements, était souvent sinistre, mais quand il s’agissait de raconter sa vie, il était intarissable, et insensible à la fatigue de son auditoire. Une fois, le 9 janvier 1817, son monologue dura jusqu’à 3 heures du matin !

Le quotidien de Longwood devint cependant de plus en plus pesant : la maison se dégrada rapidement, et les rats se mirent bientôt à grouiller dans les cloisons. Les Anglais se firent chaque jour un peu plus suspicieux. Hudson Lowe, persuadé que son captif cherchait à s’évader, le fit constamment espionner. Les proches et les domestiques de l’empereur, qui formaient une colonie d’une cinquantaine de personnes, entassés dans cette maison minuscule, se disputèrent très vite, chacun rêvant d’être le préféré du maître. Las Cases fut expulsé fin 1816 par Hudson Lowe, Gourgaud, dépressif, quitta l’île en 1818, suivi quelques mois plus tard par la comtesse de Montholon, qui avait été probablement la dernière maîtresse de l’empereur. Le captif fut donc de plus en plus isolé. Il finit aussi par comprendre que jamais les Anglais ne le laisseraient rentrer en Europe.

Peu à peu, sa santé déclina, à mesure qu’il s’enfonçait dans la dépression. Il prit l’habitude de rester plus longtemps au lit et travailla de moins en moins. Dès 1817, ses dictées se firent rares, et son autobiographie resta inachevée. Il se plaignait de douleurs au côté droit et supportait de moins en moins bien le climat. La chaleur était telle qu’il était pris d’un mal de tête sitôt qu’il sortait. Hudson Lowe le faisant constamment espionner et surveiller par des sentinelles, il finit par s’enfermer dans ses appartements. De 1818 à 1820, il ne mit presque plus le nez dehors, à part pour quelques rares promenades
dans le jardin. Les médecins qui l’auscultèrent s’alarmaient tous du déclin de sa santé, mais ce fut finalement le docteur Antommarchi, envoyé d’Europe fin 1819, qui le convainquit de faire un peu d’exercice. Pendant plusieurs mois, l’empereur s’adonna ainsi aux plaisirs du jardinage, au grand étonnement des sentinelles anglaises. Il dirigea une cinquantaine d’ouvriers chinois, fit creuser des bassins autour de Longwood, planter des arbres exotiques, et ses proches constatèrent qu’il allait un peu mieux. Il se lassa cependant très vite de cette activité et, dès le milieu de l’année 1820, il se cloîtra à nouveau.
Rattrapé par l’ennui, il replongea dans la dépression.

Sa santé déclina de plus en plus vite, les médecins étant alors incapables de diagnostiquer ou de soigner la maladie dont il souffrait, qu’il s’agisse d’un ulcère ou d’un cancer à l’estomac comme on l’a souvent écrit. Le seul médicament disponible à l’époque, à base de mercure, était hautement toxique et ne fit qu’aggraver son état. Début 1821, il s’alita pour ne plus se relever : « C’est aujourd’hui un cadavre qu’un souffle de vie anime encore. Au physique et au moral, ce maudit Sainte-Hélène l’aura tué »,écrivit Montholon. Dans sa chambre de Longwood, fiévreux et désorienté, il crut même un jour voir Joséphine : « Elle n’a pas voulu m’embrasser, et elle s’est enlevée au moment où j’ai voulu la prendre dans mes bras. Elle était assise là, sur mon lit, toute vêtue de mousseline blanche, il me semblait que je l’avais vue la veille. Elle n’est pas changée, toujours la même, toujours tout dévouement pour moi. Elle m’a dit que nous allions nous revoir, pour ne plus nous quitter ». Au bout de plusieurs mois de souffrance, après avoir dicté son testament et dit adieu à ses derniers compagnons d’exil, Napoléon finit par s’éteindre le 5 mai 1821. A leur retour en Europe, ses proches furent acclamés, et Hudson Lowe, le geôlier paranoïaque, hué par la foule de Londres : presque six années après Waterloo, d’ennemi de l’Europe, Napoléon était devenu un personnage de légende. Depuis la parution en 1823 du Mémorial de Sainte-Hélène, son quotidien lors de ses dernières années fascine et intrigue, comme en témoigne les centaines de publications, autobiographies de témoins ou études d’historiens. Face au gouvernement anglais qui voulait l’exiler sur son île pour qu’il y soit oublié, Napoléon aura en tout cas remporté sa dernière bataille, celle de la mémoire.

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À propos de l’auteur
Charles-Eloi VIAL

Charles-Eloi VIAL

Historien, docteur en histoire, archiviste paléographe, conservateur à la Bibliothèque nationale de France.
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