Article publié dans Histoire Magazine N°13
La Prusse joua plusieurs fois – presque à son insu – un rôle capital pour le destin de l’Empire napoléonien. Sa prudente neutralité initiale facilite Austerlitz. Puis son absurde prise d’armes de 1806, qui aboutit à Iéna et à Tilsit, fait basculer l’Empire vers la démesure : le triomphe obtenu alors ouvre la voie au blocus continental et à tout ce qui en découle, de la guerre d’Espagne à l’expédition de Russie. Le retour de la Prusse en 1813 conduit à Leipzig et c’est elle qui porte encore le dernier coup en Belgique en 1815. Ce partenaire devenu le plus impitoyable des adversaires reste pourtant mal connu. Hors la silhouette emblématique de la reine Louise et quelques images d’Epinal – l’entrée de Napoléon à Berlin, Blücher au soir de Waterloo -, que sait-on de ce pays pour cette époque ? Il n’existait jusqu’ici aucune synthèse sur le sujet. Le présent ouvrage, publié avec le soutien de la Fondation Napoléon, vient combler cette lacune.
Il montre la perplexité de Napoléon et de ses conseils face à la Prusse, leurs préjugés, leurs variations, leurs erreurs d’appréciation. Il faut dire qu’ils avaient à faire à un objet historique paradoxal, une sorte d’oxymore incarné : une puissance fondée sur le sable – mais un sable que l’obstination et la volonté de ses souverains avaient transformé en un grès des plus résistant.
Le paradoxe et la perplexité, renforcés par l’expérience de ces années, devaient perdurer longtemps, au moins jusqu’en 1871. Admirée par les Français au temps de Frédéric II, redoutée sous la Révolution, la Prusse ne fut jamais tout à fait honnie, même lorsqu’elle fit l’unité allemande aux dépens de Napoléon III. Comme si par delà les antagonismes, une sorte de respect avait persisté : on pouvait la détester, mais non la mépriser. Victor Hugo en donnera l’illustration la plus expressive lors de l’Année terrible, ultime avatar de la confrontation inaugurée sous Napoléon.
“NAPOLÉON ET LA PRUSSE”
par Michel Kerautret Éditions du Cerf 207p. 2022 21 €