Article publié dans Histoire Magazine N°11
Dans l’Italie du XVIIIe siècle, le sigisbée, de l’italien « cicisbéo », mot signifiant « galant », mais dont la meilleure traduction en français serait « chevalier servant », est un homme qui tient compagnie à une femme mariée. En Italie, cette pratique existe surtout dans la noblesse. Le sigisbée s’affiche au grand jour et occupe une fonction quasi institutionnelle, au point que son choix et ses taches peuvent être fixés dans les contrats de mariage. « Le cavalier, écrit Lalande, est obligé d’aller, dès le matin, entretenir sa dame : il reste dans le salon jusqu’à ce qu’elle soit visible ; il sert à sa toilette ; il la mène à la messe, et l’entretient, ou fait sa partie jusqu’au dîner. Il revient aussitôt après, l’amène aux quarante heures, puis à la conversation, et la ramène chez elle à l’heure du souper ». Un emploi à plein temps, semble-t-il ? Exercé de jour comme de nuit ? Pas du tout, nous dit Sade ! Pourtant prompt à voir le mal partout, il donnerait au sigisbée le Bon Dieu sans confession : « Ceux qui croient que le sigisbée est un amant, sont dans une grande erreur : il est l’ami commode de la femme, quelquefois l’espion du mari, mais il ne couche point, et c’est sans doute, de tous les rôles, le plus plat à jouer en Italie ». Ne lui en déplaise, il arrive bien sûr que le sigisbée devienne l’amant de celle qu’il sert. Et ce, parfois même, avec l’assentiment du mari qui lui aura accordé une chambre ou un petit appartement en son logis. Après tout, ne vaut-il pas mieux un amant attitré qu’une ribambelle de soupirants ? Et puis, n’oublions pas que nous sommes dans une époque où le mariage n’est pas sentimental, mais patrimonial. Dès lors, confier son épouse à un chevalier servant, amant ou pas, peut garantir la paix des ménages. Que cette pratique soit parfaitement admise en scandalise les pourfendeurs ; elle leur paraît bien plus dangereuse pour la morale publique que ne le sont les quelques femmes secrètement infidèles. Plat ou brûlant, le rôle de chevalier servant est en tous cas convoité, puisque les aspirants sigisbées viennent de l’Europe entière : le politicien et écrivain anglais Horace Walpole sera sigisbée à Florence auprès de Madame Capponi Grifoni ; Montesquieu s’offre à la comtesse Borromée comme accompagnateur à Milan en 1728 : « Comme vous n’avez pas votre mari ici même, vous devez au moins avoir un sigisbée et je vous assure que j’occuperai ma charge avec la discrétion qui convient » ; Dominique Vivant Denon est provisoirement prêté par Isabella Teotochi Albrizzi à la peintre Élisabeth Vigée Le Brun qui arrivait à Venise après avoir fui la Révolution ; citons enfin Lord Byron, sigisbée de Teresa Guiccioli en 1818. Il écrit : « Je plie un châle avec une dextérité considérable, mais je n’ai pas encore atteint la perfection dans la manière de la placer sur les épaules ; je fais monter et descendre de voiture, je sais me tenir dans une conversazione et au théâtre ».
Walpole, Montesquieu, Vivant Denon et Byron en fées du logis désintéressées ? À d’autres ! •