Article publié dans Histoire Magazine N°9
Bon-Adrien Jannot voit le jour le 31 juillet 1754 à Moncey, village franc-comtois. Fils d’un avocat au Parlement de Besançon, il ne rêve que d’aventure et s’engage dès ses 15 ans dans l’armée. Écrite par un passionné d’empire, Axel Brücker, sa biographie se lit comme un véritable roman épique, tout en étant parfaitement documentée. Le jeune homme enchaîne les régiments, Conti-Infanterie, Gendarmes anglais, Nassau-Siegen où il est sous-lieutenant répondant au nom de Moncey.
En 1782, affecté en Alsace, il s’appelle désormais, en toute simplicité, Bon-Adrien de Moncey. Trois ans plus tard, on retrouve le lieutenant de Moncey à Joinville, au 6e régiment de chevau-légers. En 1788, à la suite d’une réorganisation, son régiment devient le « Bataillon de Chasseurs Cantabres ». En 1790, après s’être marié, il acquiert des terres à Moncey et le petit château qui va avec, ce qui justifie à la marge sa particule.
Axel Brücker convoque les témoins de l’époque pour dresser un portrait de son sujet, « très bel homme, raffiné et élégant, avec même une coquetterie du siècle précédent », « autoritaire au commandement, mais avec une politesse, et même une grande courtoisie », « jeune homme réfléchi, prudent et cultivé », « fin stratège ». Celui-ci ménagera toute sa vie celle de ses hommes et sera toujours chevaleresque envers ses adversaires. En 1793, à la tête d’un « Bataillon de Chasseurs basques », le capitaine de Moncey va montrer aux Espagnols ce qu’il sait faire. Le général Caro s’en rend très vite compte, à Saint-Etienne-de-Baügorry notamment. Là, après avoir pris d’assaut leur redoute, les 700 hommes de Moncey repoussent les 1 800 soldats de Caro, en tuant 1 200.
Du coup, notre capitaine franc-comtois est nommé chef de bataillon. Lorsque Caro attaque Hendaye le 5 février, Moncey, quoique brûlant de fièvre, lance une contre-attaque et inflige à l’ennemi des pertes considérables. Suite à cela, il est promu général de brigade. Ce dernier propose alors d’entrer en Navarre. À l’issue d’une campagne menée de main de maître dans la vallée du Balzan, bien épaulé par les « Chasseurs basques » de La Tour d’Auvergne et les troupes des généraux Laborde et de Frégeville, Moncey administre une sévère correction aux Espagnols, à tel point que le général Caro est relevé de ses fonctions. Le 1er septembre 1794, la Convention fera du vainqueur un général en chef des armées des Pyrénées occidentales. Là-dessus, les Espagnols vont tenter de sauver l’honneur. Mal leur en prend. À Lecumberri, d’abord, puis à Vitoria, l’armée de Moncey les culbute et entre à Bilbao, occupant bientôt toutes les provinces basques à l’exception de Pampelune.
Tout cela est si bien raconté par l’auteur qu’on s’y croirait, et ce n’est qu’un début. En signant le traité de Bâle, l’Espagne perd ses possessions sur l’île de Saint-Domingue, de même que toutes les armes, fusils, pistolets et barils de poudre, que Moncey a réquisitionnées. Celui-ci se voit alors confier le commandement de l’armée des Côtes de Brest. Il refuse tout net, car l’idée de combattre des Français le révulse. À Paris, Cambacérès insiste, mais Moncey n’en démord pas, ce qui n’empêchera nullement les deux hommes de nouer des liens d’amitié. La 11e division militaire récupère ainsi un général en chef qui, fidèle à ses soldats basques, obtient pour eux des congés afin qu’ils puissent aller cultiver leurs champs. Ces redoutables compagnons d’armes le suivront partout, en Italie, en Espagne, en Allemagne. Mais l’amitié que Moncey partage avec Pichegru lui vaut d’être assimilé à un traître et il est destitué de son commandement le 16 octobre 1797. Devant pareille injustice, il enrage et finit par écrire aux « citoyens Directeurs » pour obtenir réparation. Rétabli dans son grade, il ne reçoit néanmoins aucune affectation.
Le coup d’État du 18 brumaire va changer la donne. Il se verra très vite proposer le commandement de la 19e division, celle de Lyon. Il y remet de l’ordre dans la Gendarmerie, multipliant les arrestations.
Grâce à lui, les routes deviennent nettement plus sûres. Le ministre de la Police, Fouché, l’ancien bourreau de Lyon, en prend ombrage. Moncey et lui se haïssent, d’autant que le premier est très susceptible et que le second ne perd pas une occasion de l’humilier. La guerre va ramener Moncey à sa vocation initiale. Bonaparte le nomme lieutenant général du commandant en chef de l’armée du Rhin, Moreau. D’abord cantonné en Helvétie, à la tête d’une armée de réserve, il est appelé à foncer en Italie par le Premier consul. Après avoir franchi les Alpes, il reçoit l’ordre de gagner Milan. De là, il part étaler ses troupes le long du Pô et protéger le nord de la Lombardie. Bonaparte remporte alors, avec l’aide de Desaix et de Kellermann, la bataille décisive de Marengo. Brune, qui vient d’être nommé à la tête de l’armée d’Italie se heurte à Moncey. Le baroudeur anticlérical, un voleur, et le stratège catholique, incorruptible, ne font pas bon ménage. À Pozzola, où Moncey réalise des miracles, Brune fait n’importe quoi. La victoire est beaucoup trop coûteuse en hommes, ce qui exaspère le Premier consul. Moncey prend Roveredo, puis remporte la bataille de Calliano et entre dans Trente. Mais Brune le relève de son commandement pour avoir laissé filer le général Laudon, ce dernier ayant prétendu qu’un armistice venait d’être signé. Davout refuse de le remplacer et le défend bec et ongles auprès de Brune.
Celui-ci ne fait guère l’unanimité. Ainsi, le talentueux Macdonald refuse de lui adresser la parole. Finalement, Brune sera relevé de son commandement et remplacé par… Moncey. Mais peu après, le ministre de la Guerre, Berthier, qui couche avec la femme d’un haut dignitaire de la République cisalpine, donnera satisfaction au cocu qui, ne supportant pas Moncey, a demandé son éviction. « Moncey, déjà susceptible de nature, est détruit », écrit son biographe.
Apprenant cela, Bonaparte insulte Berthier et nomme d’abord Moncey à la tête du Corps d’armée de la Gironde, puis, le 3 décembre 1801, Premier inspecteur général de la Gendarmerie, poste où il va exceller, donnant avec succès la chasse aux brigands, imposant le respect (et qui sait la peur !) du gendarme dans toute la France, au grand dam de Fouché qui ne supporte plus du tout ce concurrent. Seule ombre au tableau, le 21 mars 1804, avec l’exécution du duc d’Enghien. Moncey est horrifié, notamment par l’attitude de Savary qui, en tant que colonel de la Gendarmerie d’élite, a coaché cet assassinat…
Le 18 mai, le Sénat proclame Napoléon Bonaparte empereur. Le lendemain, Moncey est promu avec 17 de ses collègues maréchal d’Empire. Le 14 juillet, il reçoit une des premières Légions d’honneur lors d’une cérémonie dans la chapelle des Invalides. Dorénavant, l’empereur l’appelle « mon cousin ». Celui-ci entreprend ensuite sa seconde guerre d’Espagne, dans la mesure où Charles IV appelle soi-disant Napoléon 1er à la rescousse. Commandant en chef de l’armée des Côtes de l’Océan, Moncey franchit la Bidassoa le 30 janvier 1808, puis entre à Saint-Sébastien sous les vivats des habitants. On le retrouve à Madrid le 23 mars, en compagnie de Murat. Cela se passe plutôt bien, jusqu’à ce que Napoléon intronise son frère Joseph, roi d’Espagne. Pour le peuple et le clergé, c’en est trop. La révolte des Madrilènes sera noyée dans le sang. Mais les guérilleros sauront se montrer sans pitié. Moncey, lui, fera toujours preuve de clémence avec ses prisonniers, comme à Las Cabreras. Devant Valence, après deux jours de combats meurtriers, il refuse de sacrifier la vie de ses hommes et préfère contourner la ville. De son côté, le général Du pont, qui s’est comporté comme un sagouin à Cordoue, se prend une belle raclée en Andalousie. La capitulation de Baylen prévoyait le retour en France de 16 000 prisonniers.
En fait, ils s’en iront croupir sous les pontons de Cadix, ou sur l’île de Cabrera où les Espagnols les laisseront crever de faim. Séquence insupportable aux yeux de Napoléon qui destitue Dupont. En revanche, il a une confiance absolue en Moncey à qui il a conféré le titre de duc de Conegliano, une ville de Vénétie. Ce dernier enchaîne les victoires de Lérin et de Tuleda. À Saragosse, le siège s’enlise. Napoléon est fatigué d’attendre. Le 27 janvier 1809, Lannes ordonne l’assaut. 54 000 morts plus tard, dont 5 000 soldats français, la ville est prise. Moncey s’en va alors saluer le roi Joseph à Madrid et rentre ensuite au bercail pour reprendre les rênes de la Gendarmerie impériale. Mais le 16 août, l’empereur lui attribue le commandement de la 16e division afin d’aller faire des misères aux Anglais du côté d’Anvers, et ce avec l’aide de Bernadotte. L’ennemi prend la fuite et Moncey s’en retourne en France où il retrouve avec joie sa Gendarmerie. Il s’y dévouera corps et âme jusqu’à l’invasion en 1814.
Le 30 mars, il fera une fois de plus son devoir en s’illustrant à la barrière de Clichy. Lui et ses hommes réussiront même à repousser les Russes. Pas le temps de savourer leur joie, car Marmont capitule. Moncey rassemble ses troupes et marche vers Fontainebleau. L’empereur abdique. Le gouvernement provisoire maintient notre homme à la tête de la Gendarmerie et de la Garde nationale. En tant que doyen des maréchaux, c’est lui qui accueille Sa Majesté Louis XVIII à Calais. Le 2 juin, il reçoit la Croix de Saint-Louis. Le 3, il est fait pair de France.
Lorsque Napoléon débarquera à Golfe- Juan, le 1er mars 1815, c’est Moncey qui, le premier, en informera le roi. Pour lui, impossible de choisir entre les deux souverains. Seule solution, démissionner.
Napoléon ne lui en tient pas rigueur. Lorsqu’il aura récupéré son trône, Louis XVIII désignera Moncey pour présider le tribunal militaire qui doit juger le maréchal Ney. Refus de l’intéressé qui écrit à ce sujet une lettre magnifique au roi. Puis une seconde: « En persévérant dans ma résolution, je m’expose peut-être à toute la rigueur de Votre Majesté. Mais quelle serait son opinion sur mon compte si, après avoir parcouru une longue carrière sans reproche, je cessais dans mes derniers jours d’écouter la voix de ma conscience ? ». Ulcéré, Louis XVIII lui retire tous ses titres et pensions, le condamnant en prime à trois mois de prison. Les geôliers de la forteresse de Ham, admiratifs, n’oseront pas l’incarcérer. Peu après, Moncey se retire dans son château de Baillon. Mais le roi s’en veut et finit par lui restituer ses droits. Contre toute attente, en 1823, le maréchal reprendra la route de l’Espagne, la France ayant été sollicitée par le roi Ferdinand VII qui se dit prisonnier de ses députés. À la tête du 4e Corps d’armée, Moncey contourne Figueras et marche sur Gérone qu’il investit en mai avant d’aller assiéger Barcelone et de capturer 2 000 combattants ayant tenté de quitter la ville. Le 1er novembre, le général Mina, qui tient bon depuis des mois, accepte enfin d’évacuer la place, « pour ne pas être enseveli sous les ruines ». Moncey achève ainsi son ultime campagne par une nouvelle victoire, et pas n’importe laquelle, la prise de Barcelone.
Nul n’aurait songé à lui reprocher de vouloir prendre sa retraite, mais LouisPhilippe, proclamé roi au Palais-Bourbon le 9 août 1830, va le nommer gouverneur de l’Hôtel des Invalides le 17 décembre 1833. 7 ans plus tard, c’est là qu’il accueillera, bouleversé, malade et porté sur un fauteuil, les restes de l’empereur. À l’issue de la cérémonie, Moncey prononcera, paraît-il, ces mots immortels :
« Et maintenant, rentrons mourir ». Chose faite le 20 avril 1842. Avec sa biographie si plaisante à lire, Axel Brücker aura rendu là un très bel hommage à ce personnage hors du commun.
LE MARECHAL MONCEY D’Axel Brücker. Préface de Thierry Lentz
Editions MICHALON , Mai 2021, 352 pages, 1 cahier photo 4 pages inclus, 25 €.