Les élus locaux ont normalement des compétences locales et non nationales. Il existe toutefois des exceptions à la règle…
Article publié dans Histoire Magazine N°11
Les maires d’abord, par dédoublement fonctionnel, assurent aussi des fonctions de l’État, comme la tenue de l’état civil. Et ce sont eux qui détiennent les clefs de la présidentielle, puisqu’il faut cinq cents signatures pour pouvoir présenter valablement sa candidature. Un centralisateur qui voudrait réduire les pouvoirs des élus locaux n’a ainsi aucune chance d’accéder à l’Élysée.
Il subsiste par ailleurs une compétence trop méconnue des élus départementaux : ils peuvent constituer, en cas de besoin, un Parlement de secours pour la France !
On n’y pense guère en votant pour les conseillers départementaux — autrefois « conseillers généraux » — dont les compétences se bornent habituellement à l’action sociale (enfance, personnes handicapées, personnes âgées, revenu de solidarité active), aux routes départementales, ports et aérodromes, ainsi qu’à la gestion des collèges. C’est oublier la loi Tréveneuc de 1872, qui vient de fêter ses 150 ans.
Ce texte a été examiné à l’initiative d’un député breton, le monarchiste Henri-Louis-Marie Chrestien, comte de Tréveneuc (1815-1893), représentant des Côtes-du-Nord (devenu Côtes-d’Armor) de 1849 à 1851 et de 1871 à 1876, puis sénateur jusqu’à sa mort.
En août 1871, après les épreuves de l’invasion prussienne et de la Commune, il dépose sa proposition de loi, adoptée l’année suivante par 482 voix sur 557 votants. Promulguée le 15 février 1872, la « loi Tréveneuc » dispose qu’au cas où les assemblées parlementaires seraient « illégalement dissoutes ou empêchées de se réunir », les conseils généraux (aujourd’hui départementaux) s’assembleraient immédiatement et de plein droit, pour désigner chacun deux délégués appelés à siéger au sein d’une assemblée provisoire, réunie « dans le lieu où se seront rendus les membres du Gouvernement légal et les députés qui auront pu se soustraire à la violence ».
L’assemblée des délégués ainsi constituée ne serait pas simplement consultative : elle incarnerait la Nation et ses décisions « doivent être exécutées, à peine de forfaiture, par tous les fonctionnaires, agents de l’autorité et commandants de la force publique ».
En un siècle et demi, cette loi n’a jamais été mise en application, mais certains constitutionnalistes considèrent qu’elle est toujours en vigueur.
Le non-recours à la loi Tréveneuc par Pétain, en juillet 1940, a d’ailleurs servi à démontrer l’illégalité du régime né à Vichy.
L’abolition de cette loi pour désuétude a été explicitement écartée durant l’examen de la loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, en 2009. Au contraire, la « loi Tréveneuc », qui figure sur le site officiel Légifrance, a été actualisée par la loi du 17 février 2013 qui en a modifié le titre et l’article 1er pour tirer les conséquences de la transformation des « conseils généraux » en « conseils départementaux » ; mais ce remplacement fut omis aux articles 2 et 3.
Votée par une Assemblée qui avait dû se réunir à Bordeaux puis à Versailles, la « loi Tréveneuc » de 1872 est à l’évidence très liée à son contexte. Elle peut toutefois servir à maintenir une vie démocratique dans des circonstances extrêmes : invasion étrangère, émeute insurrectionnelle, coup d’État, mais aussi inondation, explosion, bombardement ou incendie du Palais-Bourbon… Elle n’exclut pas que l’assemblée provisoire se réunisse outre-mer, voire à l’étranger.
En revanche, elle ne donne aucun pouvoir d’urgence aux conseils régionaux, qui n’existaient pas en 1872.