Article publié dans Histoire Magazine N°9
French Citizen !
Dans un grand élan d’enthousiasme et de romantisme, la Révolution française fut saisie de l’idée généreuse de faire participer à son aventure tout étranger ayant contribué, sur le sol français ou partout ailleurs, à faire progresser les idées révolutionnaires et le bonheur de l’Humanité . L’esprit des Lumières ne devait- il pas voyager dans le monde entier? En vertu du décret du 26 août 1792 : «L’Assemblée nationale, considérant que les hommes qui, parleurs écrits et par leur courage ont servi la cause de la liberté et préparé l’affranchissement des peuples, ne peuvent être regardés comme étrangers par une Nation que ses lumières et son courage ont rendue libre“(…) déclare déférer le titre de citoyen français à…” suivent les noms des 17 premiers citoyens d’honneur au nombre desquels, six Anglais(Joseph Priestley, Thomas Payne, Jérémie Bentham, William Wilberforce, Thomas Clarkson, David Williams) deux Écossais (Jacques Mackintosh et Jean Hamilton) trois Allemands (Anacharsis Cloots, Henri Campe, H Klopstock), le philosophe néerlandais Corneille Pauwn, le pédagogue suisse Pestalozzi, l’italien Gorani, le héros polonais Thadéus Kosciuszko et deux présidents américains (Georges Washington et James Madison, l’un des principaux rédacteurs de la Constitution américaine).
Si l’on peut y déplorer l’absence totale de femmes, cette liste n’en est pas moins constituée d’hommes plus remarquables les uns que les autres. La Révolution savait choisir ses amis. Imaginez une “promotion du 14 juillet” de la Légion d’honneur qui jouirait de l’approbation générale!Cette “promotion” du 26 août 1792 rassemble les esprits les plus brillants, les plus généreux, les plus renommés, tous ardents défenseurs de la Révolution française et des idées des Lumières : des philosophes, des pédagogues, des scientifiques, des politiques, des combattants…. dont certains vécurent en France et d’autres n’y mirent jamais les pieds. Certains sont plus connus que d’autres, parmi lesquels les présidents américains George Washington et James Madison ou encore Thomas Paine, pamphlétaire politique génial qui lui-même aimait à se définir comme un “citoyen universel”. Son grand ami Lafayette lui confiera les clefs de la Bastille qu’il destinait à George Washington. Un mois après être devenu français, Payne est élu député du Pas de Calais. Ses amis Danton et Condorcet doivent traduire ses interventions et les lire à sa place, car le nouvel élu ne parle pas un mot de français! À Londres, il a été» brûlé en effigie de même que Joseph Priestley, autre ami de la Révolution qui devra fuir aux États-Unis au risque d’être lynché pour avoir célébré par un banquet l’anniversaire de la prise de la Bastille. Aux États-Unis, Priestley deviendra l’ami de Thomas Jefferson .
Derrière le choix des 17 «heureux» élus, on trouve notamment Danton, Clavière, Roland, Lebrun, Élie Gadet… mais un homme a pesé plus que d’autres : Brissot, chef de file des Girondins. Journaliste, anglophile(sa famille possédant quelques terres à Ouarville en Normandie , il a anglicisé son nom en 1774, devenant Brissot de Warville).Cosmopolite, il a vécu en Angleterre, voyagé aux États-Unis et en Suisse. C’est un fervent républicain, mais sa préoccupation majeure est l’esclavage : à Londres, il a rencontré les meneurs du mouvement abolitionniste anglais : Priestley et William Wilberforce, dont l’engagement mènera au Slavery Abolition Act de 1833. Brissot est aussi l’ami de Thomas Paine, de Bentham, spécialiste du droit et du système judiciaire, auteur de «Emancipates your Colonies». Et quand le philosophe Gallois David Williams publie en 1782 ses lettres sur la liberté politique, c’est Brissot qui vit alors à Londres, qui traduit l’ouvrage. Devenu citoyen français, Williams s’installera à Paris. Lui aussi fera partie des fondateurs de la Société des Amis des noirs.
Pour certains de ces nouveaux «frenchies», les lendemains vont pourtant déchanter : l’Italien Gorani, dont la candidature à la nationalité française a été soutenue par Bailly, le maire de Paris. Promoteur enthousiaste de la Révolution, il a collaboré avec Pascal Paoli à la cause de l’indépendance corse et présenté plusieurs mémoires à l’Assemblée législative. L’exécution de Louis XVI et la Terreur, dont il se protégera en s’exilant à Genève, vont lui faire tourner casaque du tout au tout. Thomas Paine, l’ami des Girondins, sera arrêté et enfermé dix longs mois à la prison du Luxembourg. Au moins survivra-t-il à la Terreur, contrairement à Brissot et ses amis Girondins, contrairement aussi au citoyen d’honneur Jean-Baptiste Cloots (1755-1794), alias l’«Orateur du genre humain». En voilà un qui aimait la France révolutionnaire à tel point que dans les «Vœux d’un gallophile», il prônait son rattachement à la rive gauche du Rhin. Élu à la Convention, il sera même brièvement président des Jacobins avant d’être envoyé à la guillotine par Robespierre le 24 mars 1794. Idem pour son compatriote le Philosophe Adam Luxe : député de l’éphémère République de Mayence, il meurt guillotiné avec les Girondins pour avoir défendu Charlotte Corday.
En 1798, le poète Friedrich von Schiller reçoit son diplôme de citoyen d’honneur par le truchement de Von Campe. En1785, il avait écrit «an die Freude», l’Ode à la Joie», poème où il exprime sa vision idéaliste de la race humaine, une vision de fraternisation de tous les hommes célébrant les idéaux de liberté, de paix et de solidarité, un poème qui, mis en musique par Beethoven, allait devenir deux siècles plus tard l’hymne européen.
Sur le moment, découvrant avec six ans de retard qu’il avait été distingué comme citoyen français, il écrit : «le long délai qui s’est écoulé entre la confection de mon diplôme de citoyen et le moment présent me met dans quelque embarras pour adresser mes remerciements à ce sujet, car plus aucun de ceux qui ont signé la loi et le diplôme n’est encore en vie aujourd’hui».
Chanson pour chanson, on est tenté d’en citer une autre, de circonstance :mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente…
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À propos de l’auteur
Clémentine Portier Kaltenbach
Journaliste et historienne, Clémentine PORTIER-KALTENBACH collabore à de nombreux journaux et émissions de radio et télévision. Elle est l’auteur d’ouvrages à succès : Grands Z’héros de l’Histoire de France (2010), Les Secrets de Paris (2014), Embrouilles familiales de l’Histoire de France (2016)