<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Eugène de Beauharnais – Fils et vice-roi de Napoléon

27 décembre 2021 | N°9 Histoire Magazine, Napoléon

Temps de lecture : 7 minutes
Photo :
Abonnement Conflits

Eugène de Beauharnais – Fils et vice-roi de Napoléon

par | N°9 Histoire Magazine, Napoléon

Article publié dans Histoire Magazine N°9

Après l’insurrection royaliste du 13 vendémiaire an IV (5octobre 1795), matée par le général Bonaparte, un décret interdit aux Parisiens de détenir des armes. Le jeune Eugène de Beauharnais, alors âgé de 14 ans, racontera plus tard qu’il demanda à être reçu par Bonaparte afin que celui-ci l’autorise à conserver le sabre de son père, guillotiné sous la Terreur.

«Ma sensibilité, et quelques réponses heureuses que je fis au général lui firent naître le désir de connaître l’intérieur de ma famille, et il vint lui-même le lendemain me porter l’autorisation que j’avais si vivement désirée. Ma mère l’en remercia avec grâce et sensibilité.

Il demanda la permission de revenir nous voir et parut se plaire de plus en plus dans la société de ma mère». Cette séquence fantasmagorique marque les débuts d’une geste familiale ancrée à tout jamais dans notre histoire…

Portrait d’Eugène de Beauharnais, duc de Leuchtenberg, BUTZ , STIELER Joseph Karl (d’après). 1839. Château de Malmaison Page précédente : Le prince Eugène de Beauharnais – Anonyme – Musée de l’armée Hôtel National des Invalides Paris France huile sur toile

Bonaparte fait nommer Eugène sous-lieutenant de hussard alors qu’il n’a pas 16 ans. Il l’envoie peu après à Corfou pour notifier à la population le traité de Campoformio. L’année suivante, le 13 mai 1798, Eugène embarque à Toulon avec Bonaparte, en route pour l’Égypte. Là, le jeune aide de camp fera preuve de courage et de sang-froid qui lui vaudront ses galons de lieutenant. À Jaffa, le spectacle des habitants égorgés et le massacre des prisonniers turcs ne suscitent guère son adhésion. À Saint- Jean- d’Acre, c’est le sultan Djezzar qui fait décapiter les prisonniers français. Blessé à la tempe, Eugène est soigné par Larrey. Les deux hommes deviendront les meilleurs amis du monde. Après Aboukir, Bonaparte décide de rentrer en France et le jeune homme est du voyage. Le coup d’État du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799) donnera au Premier consul les pleins pouvoirs, notamment celui d’élever Eugène au grade de capitaine et de lui confier le commandement de la compagnie de chasseurs à cheval de la Garde. C’est à sa tête que ce dernier franchira le Saint-Bernard, livrera bataille sur le Tessin et entrera à Milan le 2 juin 1800. Le 14, à Marengo, sa belle conduite lui vaudra d’être promu le lendemain chef d’escadron. En octobre 1802, il accède au grade de colonel. Certes, cet avancement n’est pas dû qu’à son seul mérite, comme certains se plaisent à le rappeler. Sa proximité avec l’empereur facilite les choses, mais Eugène est un garçon désintéressé et d’une loyauté à toute épreuve. Le 18 mai1804, Napoléon peut se dire empereur. Dans la foulée, Eugène est bombardé général de brigade. Une lettre du souverain, datée du 1er février 1805, lui annonce qu’il devient prince. Le 2, Napoléon écrit au Sénat : «Nous avons nommé notre beau-fils, Eugène Beauharnais, archichancelier d’État de l’Empire. De tous les actes de notre pouvoir, il n’en est aucun qui soit plus doux à notre cœur». À Milan, Eugène trouve le temps long dans «cette chienne de ville». Il va pourtant falloir qu’il s’y fasse, car elle devient le lieu de sa résidence à partir du 7 juin 1805, date à laquelle il est nommé vice-roi d’Italie. Comme l’écrit Michel Kerautret, auteur de sa biographie menée tambour battant, rien ne destinait Eugène à cet emploi : «Napoléon le sait mieux que personne : il a choisi son beau-fils par défaut, et à l’essai. Eugène ne régnera pas à Milan, comme l’aurait fait un frère de l’Empereur, il y jouera le rôle d’un exécutant tenu en bride. Et pour commencer, celui d’un élève». Napoléon le félicite ou l’invective, selon les cas, mais souvent ses courriers sont enrichis d’une touche personnelle comme celle-ci : «Je ne doute pas de votre attachement; soyez certain de mon amour». Eugène réorganise l’armée, veille à ce qu’elle ne manque de rien, inspecte les fortifications, fait démanteler les plus dangereuses, supervise la police, etc. Le 2 décembre 1805, Napoléon remporte la victoire d’Austerlitz. Son vice-roi d’Italie, qui n’a pas été invité à participer à cette bataille, piaffe d’impatience de courir sus à l’ennemi, sa seule vocation. Il devra encore se montrer patient. En attendant, étape cruciale, son mariage avec la princesse Auguste de Bavière, célébré le 13 janvier1806. Mariage arrangé par l’empereur qui a adopté Eugène la veille. C’est un coup de foudre immédiat entre les deux tourtereaux, la naissance d’une histoire d’amour qui durera jusqu’à ce que la mort les sépare. Le temps de dire «oui» et Eugène se remet au travail : établir le budget du Royaume d’Italie, inspecter les places fortes, approvisionner l’armée, etc. : «Les occasions de faire la guerre et de vous distinguer ne vous manqueront pas», le rassure Napoléon. Hiver 1807, ce dernier vient en Italie. Milan, Brescia, Vérone, Padoue, Venise, Trévise, Mantoue, etc., Eugène ne le quitte pas d’une semelle. «L’autorité du vice-roi se trouve renforcée», note l’historien. Il s’agit toutefois de se tenir prêt, au cas où l’Autriche voudrait prendre sa revanche. Par ailleurs, Napoléon commence à être exaspéré par le pape qui refuse de fermer ses ports aux Anglais. Pour l’aider à réfléchir, il lui envoie le général Miollis, qui entre dans Rome le 3 février 1808.Eugène supervise la manœuvre. Il met également en place une politique de grands travaux, faisant notamment assécher les marais trop proches des villes pour lutter contre la malaria.

Au printemps 1809, la menace autrichienne se précise. Eugène rêve d’en découdre. Le 16 avril, à Sacile, l’archiduc Jean lui inflige une sévère défaite. Mais notre vice roi se ressaisit et prend sa revanche le 8 mai, sur la Piave. Le14 juin, il remporte une belle victoire près de Raab, ce qui lui vaudra ce commentaire élogieux de l’empereur : «Bien, Eugène, c’est ainsi qu’on devient roi». Les 5 et 6 juillet, l’armée d’Italie ne ménage pas sa peine à Wagram. Après quoi, l’Autriche lève les bras. Le divorce de  Joséphine et Napoléon, annoncé le 16 décembre au Sénat, ne changera rien à l’affection que l’empereur porte à ses enfants adoptifs, Hortense et Eugène. C’est du reste ce dernier qui ira demander officiellement à l’ambassadeur d’Autriche la main de l’archiduchesse Marie-Louise, future mère de l’Aiglon. Eugène et sa femme assisteront au mariage et à toutes les festivités qui suivront avant de repartir à Milan. Il sera de retour à Paris pour être témoin de l’acte de naissance du roi de Rome, le 20 mars 1811, et assister à son baptême, le 9 juin.

C’est la campagne de Russie, en 1812, qui va faire entrer Eugène dans la légende. Son armée d’Italie, soit 50000hommes, se voit créditer de 30000 soldats de mieux, les Bavarois commandés par Gouvion-Saint-Cyr. Eugène les conduira à la victoire lors de la bataille de la Moskova.

À Moscou, l’inaction lui pèse : «Matin et soir chez l’Empereur qui me retient toujours plusieurs heures et me traite toujours avec la même bonté. Le reste de la journée est employé aux détails du corps d’armée». Puis sonne l’heure du départ. Eugène est chargé de contenir les Russes de Koutousov en les affrontant à Maloïaroslavets le 24 octobre. À l’issue de combats d’une rare violence, l’armée d’Italie s’impose. Par la suite, Eugène fera preuve d’un sang-froid exemplaire, notamment lorsqu’il ira rechercher Ney et ses hommes, totalement perdus. Grand moment que leurs retrouvailles. Quelques jours après le passage mouvementé de la Bérézina, Napoléon annonce à son entourage qu’il rentre à Paris et confie la Grande Armée à Murat. Arrivé en Pologne, le roi de Naples rend son tablier et rentre chez lui, ni plus ni moins. Le commandement échoit ainsi à Eugène, qui n’a d’autre choix que d’accepter cette responsabilité. 100000 Russes talonnent ses troupes. Les Prussiens, hier encore alliés de la France, font défection. Bientôt, les Saxons eux aussi lèvent le pied. Mais le jeune commandant saura tenir à distance ses ennemis. Napoléon l’attend à Leipzig. Eugène va ensuite se battre à Lützen, avec une victoire à la clef. «Le vice-roi prend congé de l’empereur le 12 mai. Il ne le reverra plus», prévient l’historien.

Dès son retour à Milan, Eugène s’attelle à reconstituer son armée. Après la défaite de Leipzig, les Alliés lui proposeront la couronne d’Italie s’il se rallie à leur coalition. Refus catégorique. De son côté, Murat flirte avec l’Autriche. La bonne étoile de Napoléon semble éteinte. Le 31 mars1814, Paris tombe entre les mains des Alliés. Quelques jours plus tard, l’empereur abdique. À Milan, l’ambiance se tend et tourne à l’émeute. Le 20 avril, les pillards s’en donnent à cœur joie. Eugène attend son heure à Mantoue, inutilement. Le 26, il quitte pour de bon l’Italie. Direction, la Bavière, où son beau-père l’accueille. Mais pour l’instant, c’est à Paris que se négocie son avenir. Les Beauharnais disposent d’un atout majeur, le tsar Alexandre 1er. C’est d’ailleurs en se promenant avec lui que Joséphine prend froid. Elle meurt le 29 mai dans les bras de son fils. Celui-ci retrouve ensuite sa femme et ses cinq enfants, puis file à Vienne fin septembre pour tenter d’assurer sa situation. On finit par lui proposer Corfou et les îles Ioniennes, qu’il refuse, n’ayant aucune envie d’aller s’enterrer là-bas. Au point où il en est, il se contenterait volontiers d’une petite principauté en Bavière, mais tout se complique quand Napoléon laisse derrière lui l’île d’Elbe. Eugène est effondré : «Nous touchions à la réalisation de nos espérances, le congrès allait se terminer, fixer notre sort et celui de nos enfants». Désormais, même le tsar se méfie de lui. Après bien des palabres, les Alliés finiront cependant par lui concéder une principauté de 500 kilomètres carrés, forte de 25000 âmes., Eichstätt. Il devient dès lors un vassal du roi de Bavière et passe l’essentiel de son temps à Munich où il se fera construire un palais. Sa famille est au centre de ses préoccupations. Plus d’un proscrit par Louis XVIII pourra compter sur sa générosité. Les Bavarois, eux, apprécient sa simplicité. Hélas, la santé d’Eugène décline. Premier malaise en février 1823. À Pâques, paralysie faciale. Nouvelle attaque le 16avril 1823. L’automne est marqué par de fréquents vertiges qui n’augurent rien de bon. Le 19 février 1824, il signe son testament et meurt dans la nuit du 20 au 21. Sa femme et ses enfants sont dévastés. «C’était, dira Goethe, un de ces grands caractères qui deviennent de plus en plus rares, et le monde est appauvri d’un homme remarquable».

Michel Kerautret a signé là une biographie comme on les aime, alerte, pétillante, érudite. En deux mots, parfaitement réussie. Son éditeur, Xavier de Bartillat, peut à juste titre être très fier de ce livre, un des meilleurs sortis en cette année du bicentenaire

EUGENE DE BEAUHARNAIS Fils et vice-roi de Napoléon

De Michel Kerautret

Editions Tallandier, janvier 2021, 400 pages,23.90 €.

Mots-clefs :

À propos de l’auteur
Guy Stavrides

Guy Stavrides

La Lettre Conflits

La newsletter d’Histoire Magazine

Voir aussi