Article publié dans Histoire Magazine N°3
A partir de 1789, la France révolutionnaire est confrontée à une extension considérable du brigandage qui constitua un véritable fléau sous le Directoire (1795-1799) et participa au discrédit de cette période marquée aussi par des coups d’Etat politiques et une faillite financière. Le département de l’Eure n’a pas été épargné par cette flambée criminelle. La bande de François Robillard jeta l’effroi dans les campagnes de ce département pendant près de quatre ans.
Histoire d’une bande de chauffeurs de pieds
Condamné à 24 ans de fer pour un vol commis en décembre 1792 dans le Calvados, François Robillard s’évada de prison et constitua une troupe criminelle dans l’Eure qu’il dirigea jusqu’en mars 1796. Arrêté, il fut jugé par un conseil militaire à Lisieux et fusillé avec 5 autres complices un mois plus tard. La bande se donna aussitôt un nouveau chef en la personne de Pierre Duval, fidèle lieutenant de Robillard. Dans les mois qui suivirent le dernier vol en avril 1797, la gendarmerie nationale arrêta progressivement la plupart des membres de cette horde. Le tribunal criminel de la Seine-Inférieure (actuelle Seine-Maritime), chargé de l’instruction du procès mettant en cause 61 prévenus pour des 36 vols commis entre septembre 1793 et avril 1797, rendit son verdict en mars 1799. Trente-quatre brigands furent condamnés à mort et guillotinés à Rouen. Les autres subirent des peines de prison, furent déclarés contumaces ou bénéficièrent d’un acquittement. Aux 61 prévenus jugés à Rouen, il faut ajouter les brigands arrêtés, emprisonnés ou exécutés avant ce procès comme Robillard, quelques brigands tués lors d’expéditions ou par leurs propres complices, les individus à la réputation douteuse en fuite ou non poursuivis faute de preuves formelles. Des recherches dans les archives ont permis d’identifier 14 autres brigands. La troupe de Robillard était donc importante mais rien de comparable avec la célèbre bande d’Orgères qui regroupait près de 400 bandits !
Si le recrutement géographique de ces malfaiteurs s’effectue sur plusieurs départements, c’est l’Eure qui fournit les ¾ des effectifs, les autres brigands étant originaires de l’Orne, de la Seine-Inférieure et la Seine-et-Oise (aujourd’hui les Yvelines). Trois zones de recrutement se dégagent : le pays d’Ouche (région englobant le sud-ouest de l’Eure, le nord-est de l’Orne et le nord-ouest de l’Eure-et-Loir), le Vexin normand, Rouen et ses environs. Le champ d’action de ces criminels recouvre 5 départements, le département de l’Eure concentrant les ¾ des délits, l’épicentre criminogène se localisant dans le pays d’Ouche.
Episodes de brigandage
La réussite d’un vol dépendait d’abord des renseignements recueillis. Diverses relations basées sur le voisinage, la connaissance ou le travail avaient permis aux brigands de côtoyer assez régulièrement leurs futures victimes, des cultivateurs propriétaires. Ces bandits, par des visites domiciliaires, s’étaient familiarisés avec les lieux, les occupants de la maison, leurs habitudes ; ils connaissaient, en outre, leur niveau de fortune. D’autres victimes avaient été choisies grâce à des renseignements que certains brigands, aux hasards des discussions, avaient pu recueillir dans les auberges, les estaminets ou autres lieux. Quand ces malandrins avaient la certitude que tel cultivateur était « bon à faire », ils repéraient et visitaient les lieux du futur délit sous divers prétextes.
La perfection dans la préparation et l’exécution du vol était de mise. Ces bandits, ne voulant pas être dérangés et désireux de limiter les risques de résistance de la part des victimes, attaquaient des fermes où résidaient des personnes âgées, des veuves ou des femmes laissées seules, par leur mari, avec enfants et servantes. En général, une dizaine d’hommes ou de femmes suffisait même si certaines expéditions regroupèrent jusqu’à 25 bandits.
La bande arrivait à proximité du domicile de la victime, à la tombée de la nuit ou à une heure avancée, par petits groupes séparés, venant de directions opposées. Certains arrivaient à cheval, d’autres à pied ; il s’agissait de ne pas attirer l’attention par un attroupement trop important. Les brigands formaient alors deux groupes. Le premier restait dehors afin de surveiller les alentours de la ferme pour prévenir toute approche humaine susceptible d’interrompre le vol, de garder les chevaux et de réceptionner les sacs contenant le butin.
Le deuxième groupe pénétrait dans la maison. Les bandits poussaient souvent les propriétaires à ouvrir eux-mêmes la porte en se faisant passer pour des marchands ou des personnes égarées, surpris par la nuit, demandant leur chemin. Pour tromper la vigilance des propriétaires, quelques bandits revêtaient parfois l’uniforme de la Garde nationale et annonçaient qu’ils cherchaient des suspects cachés ou venaient réquisitionner du blé. Si le propriétaire ne se laissait pas abuser par de tels prétextes, deux ou trois brigands forçaient alors la porte. Une fois dans la maison, les bandits, armés de flamberges (sabres) et de digoires (fusils à baïonnette), le visage masqué par un foulard, recouvert de farine ou encore noirci, maîtrisaient rapidement les occupants en les ligotant et en les menaçant de mort en cas de résistance. C’est à ce moment qu’intervenaient les violences : il s’agissait d’arracher très rapidement à ces propriétaires des aveux sur les endroits où se trouvait caché leur argent.
Pendant que des brigands torturaient et questionnaient leurs victimes, d’autres dévastaient, pillaient la maison au fur et à mesure des renseignements fournis par les propriétaires suppliciés. C’est un déferlement de violences qui s’abattaient sur les pauvres occupants des fermes : corps roués de coups de pieds ou de poings, traînés à terre ou suspendus en l’air. Si ces brutalités s’avéraient insuffisantes à délier les langues, ces assassins passaient au chauffage des pieds. Quelques-uns allaient chercher du bois sec pour alimenter le foyer de la cheminée et approchaient ensuite la plante des pieds de l’âtre rougeoyant. Lors d’un vol, les bandits entourèrent même les jambes d’un cultivateur de paille à laquelle ils mirent le feu ! Ces cruautés atteignirent l’horreur lors de 2 vols. Ce fut d’abord l’assassinat d’un couple, égorgé, la femme ayant été violée auparavant. Leurs cadavres, dépouillés de leurs vêtements, restèrent exposés sur une table où l’on retrouva aussi des verres et des assiettes. Ces assassins se seraient-ils restaurés pour fêter leur crime sauvage ? C’est un véritable calvaire qu’endura un autre couple. Le mari, attaché à une chaise, fut traîné dans les différentes pièces de sa maison par une corde qu’on lui avait passée autour du cou, puis tabassé avant d’être marqué à une jambe avec une barre de fer rougie. Le sort réservé à sa femme fut encore plus atroce. Après l’avoir terrassée et piétinée, ces bandits approchèrent ses pieds des braises et les arrosèrent d’eau de vie pour aggraver les douleurs. La peau tomba en lambeaux. Ce déferlement de violences de tout genre ne provoqua pas autant de morts qu’on pourrait le croire (4 décès au total sur les 36 vols).
L’expédition achevée, ces chauffeurs quittaient la maison, laissant leurs victimes dans les ténèbres, la détresse et la douleur. Ces bandits se rendaient alors chez l’un d’entre eux pour le partage du butin. Ce butin se composait de divers éléments. Le numéraire et le papier-monnaie (les assignats) ne constituaient pas toujours la part la plus importante de la rapine. Parfois, le linge et les habits en composaient l’essentiel. L’argenterie, des armes, des bijoux et même du petit mobilier complétaient le butin. Lors de certains vols, quelques produits, pour le moins inattendus, mais révélateurs de la misère qui régnait sous le Directoire, s’y glissaient : beurre, savon, sucre, tabac ou chandelle.
Une préparation minutieuse, une exécution ordonnée et rapide, des violences humaines : telles étaient les caractéristiques de ce banditisme qui n’étaient pas propres à la bande de Robillard.
Les chauffeurs de pieds, qui sévissaient en diverses régions de France, employaient à peu près les mêmes méthodes.
La bande de Robillard : une société marginale ?
La cohésion au sein de la cabale de Robillard s’explique d’abord par son recrutement social homogène. Ces brigands, exerçant des professions diverses, appartenaient aux couches moyennes des catégories populaires rurales et urbaines. Il ne s’agit, en aucune façon, de pauvres démunis vivant de l’aumône publique ou de vagabonds. Ces criminels, nés en majorité dans des milieux sociaux au niveau de vie confortable, étaient de petits artisans-paysans, de petits propriétaires parcellaires, des salariés ruraux, de petits marchands, des individus exerçant plus de petits travaux que de véritables métiers. Ils exerçaient avant tout des professions urbaines ou semi urbaines ; seuls 10 voleurs étaient des paysans. Le pays d’Ouche, épicentre du brigandage, s’était spécialisé dans la petite métallurgie rurale, plus particulièrement la fabrication d’épingle en laiton. Celle-ci se trouvait disséminée dans de petits ateliers ruraux dispersés dans la campagne. Quatorze brigands, par leur métier, se rattachent directement (fabrication) ou de loin (vente) à cette petite métallurgie rurale.
Si la part des femmes était faible (un cinquième des effectifs), leur rôle était loin d’être négligeable. Parallèlement au recel et à la dénaturation des effets volés, quelques femmes, à l’esprit intrépide, y joignaient une participation active et parfois féroce aux vols (3 femmes condamnées à mort sur 5 femmes inculpées).L’état-civil de cette bande, dont l’âge moyen s’élève à 35 ans, révèle une structure sociale normalisée. Un réseau de liens familiaux (moitié de la bande liée par différents degrés de parenté) structurait la bande et transformait ce brigandage en banditisme familial. L’absence de prostituées, compagnes ordinaires des brigands, et la présence de 37 brigands mariés dont 10 couples placent les individus de cette troupe dans les normes calquées sur celles de la société civile.
La répartition des tâches au sein de la bande est un autre élément de cohésion. Cette dernière s’était faite autour de son « chef historique », François Robillard, dont la personnalité demeure mystérieuse.
Ce bandit sanguinaire à la forte personnalité souda autour de lui un noyau de fidèles comparses qui vouaient à leur chef omnipotent et indiscuté une profonde admiration mêlée de respect et de crainte.
Chaque brigand avait une place déterminée à l’intérieur de la bande suivant ses capacités et sa profession. Ainsi, Jacques Lemarchand, huissier à Rugles, assumait plusieurs fonctions d’ordre juridique comme l’assignation des faux-témoins pour les procès ou la délivrance de faux passeports et de faux visas. La maison des aubergistes était l’endroit idéal pour les rassemblements avant et après le crime. Les artisans, en l’occurrence les charpentiers et les maçons, se chargeaient des effractions par les croisés et du percement des murs. Les colporteurs et les petits marchands d’objet divers transmettaient les ordres, repéraient les lieux du futur délit par des visites domiciliaires en rapport avec leur profession, écoulaient les objets volés dans le cadre de leur commerce. Les marchands de chevaux fournissaient à leurs complices les montures nécessaires pour le trajet et le transport, parfois imposant, des différents effets dérobés. Les orfèvres s’occupaient de la fonte de l’argenterie dérobée ou de la vente des bijoux à des brocanteurs faciles. Le recel et la dénaturation des effets étaient, avant tout, une activité féminine. Les femmes s’étaient spécialisées surtout dans la dénaturation du linge et des habits volés : il s’agissait de changer pour certains vêtements les initiales des victimes par celles des brigands qui en étaient entrés en possession. Ce travail était d’autant plus facile que la plupart d’entre elles exerçaient chez elles, ordinairement, des activités liées au textile : on trouve dans la bande des couturières-lingères et des fileuses de lin. Ces femmes pouvaient également retailler dans certaines pièces de tissu de nouveaux vêtements. Les capacités de chacun et chacune étaient donc utilisées au mieux pour rendre plus efficace l’action criminelle de la bande. Cette répartition des rôles n’est en rien originale. D’autres bandes l’ont appliquée.
Profitant du désordre quasi général du Directoire, quelques brigands, par leur comportement verbal (déclarations publiques sur leur état de brigand) et leur audace ostentatoire (revêtir en plein jour les habits de leurs victimes ou payer en argent quand on est pauvre) étaient conscients de ne pas appartenir à la société établie. De même, l’adoption d’un nom d’emprunt constituait une sorte de baptême sanctionnant l’intégration d’un brigand dans la bande, au delà de la volonté de rester anonyme aux yeux des autorités judiciaires. Ainsi, le surnom « l’Enfer » attribué à Robillard faisait référence à sa cruauté.
Pourtant, la coupure n’était pas totale avec la société dominante comme en atteste le respect par quelques brigands de certains usages. L’enregistrement des mariages et des baptêmes sur les registres d’état civil, l’exercice d’un métier ou bien la possession d’une maison sont autant de preuves d’une relative intégration à la vie sociale de la commune.
La célèbre bande d’Orgères présentait une toute autre physionomie. La plupart de ces bandits de l’Eure-et-Loir étaient des mendiants professionnels ou occasionnels sillonnant les plaines de la Beauce,
vivant cachés à l’abri des forêts et des grottes. Ces chauffeurs constituaient une société nettement plus marginale que la bande de Robillard, association criminelle relativement insérée dans la société dominante.
Brigandage ou banditisme politique ?
Les victimes ont rapporté de nombreux propos tenus par leurs bourreaux tendant à faire d’eux des « chouans ». Ces déclarations font référence à la Vendée et à l’armée de Charrette, au contenu idéologique de la chouannerie, à l’ancienne noblesse et à ses coutumes ou encore aux profiteurs des biens nationaux. A l’occasion de quelques vols, ces brigands accomplirent des actes typiquement contre-révolutionnaires comme la destruction de symboles patriotiques et républicains (notamment abattage d’arbres de la Liberté) ou la délivrance à des percepteurs de l’impôt forcé d’une quittance au vocabulaire royaliste rejetant la Convention.
Se proclamer « chouan » et agir comme des Chouans ne constituent pas pour autant une preuve formelle d’appartenance à cette guérilla contre-révolutionnaire. La bande de Robillard endossa l’identité chouanne pour mieux légitimer aux yeux des autorités républicaines et de l’opinion publique, violences et crimes. Un phénomène de contigüité peut expliquer une telle usurpation. Le premier Directoire vit une résurgence de l’agitation royaliste et une reprise de la lutte vendéenne et chouanne à l’Ouest, lutte qui se transporta à de nouveaux départements. Depuis 1796, Louis de Frotté était à la tête d’une insurrection chouanne en Basse-Normandie. Des bandes chouannes ont pu s’infiltrer jusqu’aux confins de l’Eure. Par ailleurs, l’existence d’une chouannerie dans ce département est attestée, dans les environs de Verneuil-sur-Avre en 1795-1796 avec le bandit Orosmane, puis autour d’Evreux à partir de 1796 avec la bande des frères Lepelletier.
Pour autant, la bande de Robillard n’était pas chouanne. Des confidences maladroites de certains bandits ont trahi les vrais mobiles de leurs crimes. La nature du vol est également significative. La bande chouanne des frères Lepelletier, responsable entre 1796 et 1802 de 26 délits et crimes, s’attaquait en priorité aux personnes investies de fonctions politiques et administratives et aux convois sur les routes. Rien de tel avec la bande de Robillard qui pillait, quant à elle, les fermes de riches cultivateurs.
L’action purement criminelle de ces chauffeurs de pieds s’est donc donnée la couverture d’un soulèvement royaliste pour accroître l’effroi qu’ils causaient et se blanchir aux yeux des opposants de la République. D’ailleurs la confusion entre brigandage politique et banditisme de droit commun, que l’on retrouve pour d’autres bandes en France, était habilement entretenue par les autorités républicaines. Si les brigands cherchaient à légitimer leurs crimes sous le couvert d’actes de chouannerie, les Républicains s’efforçaient, quant à eux, de discréditer les Vendéens et les Chouans en les assimilant à de vils brigands.
L’origine de ce banditisme doit être plutôt recherchée dans le contexte socio-économique du Directoire. La réaction thermidorienne, consécutive à la chute de Robespierre en juillet 1794, permit un rétablissement de la liberté économique qui provoqua un effondrement accéléré de l’assignat et une inflation galopante, aggravée par une crise de subsistances.
Certains profitèrent de cette dépréciation du papier-monnaie, supprimé en 1796, et de la crise inflationniste pour s’enrichir, alors que les catégories populaires s’enfonçaient dans la misère. Si rien ne permet d’affirmer que tous les exploitants étaient tous des « spéculateurs » ou des « profiteurs », une chose est certaine : la bande de Robillard ne s’est pas trompée de victimes en allant chercher l’argent là où il était caché ! La majorité des victimes (les ¾) était de gros laboureurs et fermiers vivant dans l’aisance et la notabilité.
Sur cette situation spéculative et inflationniste vient se greffer une crise des subsistances consécutive à des conditions climatiques désastreuses (hivers 1794-1795 et 1795-1796 très froids). La pénurie céréalière acheva de paupériser les catégories populaires qui sillonnèrent comme nombre des brigands de Robillard le département à la recherche de blé. On assiste alors à une explosion criminelle ; la bande de Robillard commet 26 vols de septembre 1795 à septembre 1796 ! L’amorce d’une amélioration de la situation économique se ressent dans le rythme du brigandage puisqu’à partir de l’automne 1796, le nombre des délits s’effondre. L’action criminelle de la bande de Robillard s’inscrit bien dans un banditisme de la misère.
Le Directoire face au banditisme dans l’Eure : une lutte longue et difficile
La volonté des autorités d’éradiquer le banditisme s’est heurtée à une insuffisance des moyens de répression à la fois humains, matériels et financiers. La gendarmerie était numériquement faible avec un effectif d’environ 5 000 gendarmes pour tout le territoire (près de 100 gendarmes pour l’Eure) et manquait d’équipements (armes, montures, vivres). Les fonctionnaires étaient impayés ou mal payés avec des assignats fortement dépréciés. Les prisons se trouvaient dans un état de grand délabrement. Les gardiens étaient peu nombreux pour exercer une surveillance active et certains geôliers, mal payés, se laissaient corrompre par les brigands emprisonnés. Il était donc facile de s’évader, ce que firent 9 bandits de la cabale de Robillard. Le relâchement moral des geôliers avait facilité l’établissement d’une correspondance entre les détenus et des personnes extérieures : lettres de menaces à certaines victimes pour qu’elles se taisent, lettres de corruption à des gendarmes, lettres à des complices (pseudo-témoins à décharge) pour établir une version des faits identiques lors d’un procès. Toutes ces insuffisances criantes peuvent expliquer le manque de zèle de certains fonctionnaires dans la répression du brigandage. La lutte contre les bandits reposait alors sur l’énergie de quelques officiers : Payen, officier de gendarmerie à Verneuil-sur-Avre, s’illustra dans la traque et l’arrestation de la bande de Robillard.
Cette troupe profita aussi d’une certaine impunité. Les tribunaux se sont révélés d’une indulgence pour le moins surprenante. Parmi les 61 brigands jugés en 1799, près d’une dizaine avait été arrêtée, jugée et acquittée pour des vols à nouveau signalés dans l’acte d’accusation du procès de Rouen ! Les acquittements furent essentiellement l’œuvre du tribunal criminel de l’Eure : c’est peut-être à cause de cette impunité que ce tribunal a été dessaisi du procès de la bande de Robillard au profit du tribunal criminel de la Seine-Inférieure.
La clémence des juges s’avérait telle que certaines victimes n’osaient plus dénoncer leurs bourreaux.
Ce manque de confiance des citoyens dans leurs institutions judiciaires souligne l’état de décomposition morale dans lequel le Directoire se trouvait plongé. Le brigandage bénéficia aussi de l’inadaptation du Code Pénal de 1791 puisque les souffrances, résultant du chauffage, étaient ignorées (une loi en 1797 décrétera la peine de mort pour de tels mauvais traitements).
L’activité criminelle de la bande de Robillard, reposant sur des vols avec effraction à l’intérieur de fermes cossues et violences corporelles dont le chauffage de pieds, est commun au brigandage des grandes plaines céréalières, notamment celles du Bassin parisien. L’originalité de la troupe de Robillard tient à plusieurs éléments : un recrutement très régional et familial, une intégration partielle dans la société civile et un banditisme de la misère né des désordres socio-économiques et légitimé par une action politique liée à la chouannerie. Le brigandage, véritable fléau sous un Directoire en pleine déliquescence, créa une insécurité qui facilita l’exigence d’un régime d’ordre : ce sera le Consulat de Bonaparte au lendemain de son coup d’Etat du 9 novembre 1799.
Pour approfondir :
Fabrice Renault, Robillard : le banditisme dans l’Eure sous le Directoire, Mémoire de maîtrise préparé sous la direction de Claude Mazauric, Faculté de lettres de Rouen, 1987 Georges Lefebvre, La France sous le Directoire 1795-1799, Editions Sociales, Paris, 1984 André Goudeau, Le département de l’Eure sous le Directoire, Publications des universités de Rouen et du Havre, 2012 |