<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Pirates, corsaires et flibustiers
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Article publié dans Histoire Magazine N°12

Professeur émérite des universités et spécialiste de l’histoire du monde méditerranéen à l’époque moderne (XVIe- début XIXe siècle), et particulièrement de Malte et des Régences barbaresques, Alain Blondy propose une synthèse sur un sujet récemment enrichi par de nombreuses recherches internationales.La piraterie étant aussi ancienne que la navigation, l’auteur l’explore sur le temps long, depuis l’âge du bronze, avant de considérer la course et la flibuste trop souvent confondues, mais toutes objets de fantasmes qui ont la vie dure, comme le rappelleraient Barbe-Noire, Ann Bonny et Jack Sparrow,le plus séduisant peut-être mais aussi le plus virtuel de ces bandits des mers !La mer antique : « bien sans maître ou bien commun ? »Cette question centrale est le point de départ de l’étude. Elle conduit à la définition d’un « droit d’usage de la mer » et à son corollaire, la mise en place d’un appareil répressif pour frapper les contrevenants. C’est à partir du moment où la piraterie, pourvoyeuse d’esclaves et de marchandises diverses, n’est plus utile aux puissances riveraines, et notamment à la République romaine, qu’elle devient intolérable, comme le montrent les luttes conduites par Pompée contre les Ciliciens, qui auraient capturé Jules César, et autres brigands.« De la désagrégation romaine à la féodalité », du IVe au Xe siècle, Alain Blondy retient les actions de la « piraterie viking»– qui mérite nuances mais insiste surtout, à juste titre, sur la codification de la course au Moyen âge, des mers du Nord à laMéditerranée. L’apparition du droit de marque, qui suit celui de représailles, et la prise en main de la course par l’État semblent faire de celle-ci, qui n’est pas fille naturelle de la piraterie, un« ascenseur social » au XVe siècle. Toutefois, à compter du VIIe siècle, la Méditerranée est un«théâtre à part ». Elle connaît une situation originale à la suite de l’expansion musulmane, puis de l’affirmation ottomane à partir du XIIIe siècle et de l’irruption des Latins au XIe siècle renforcée, au XVIe siècle, par la présence à Malte de l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem que connaît parfaitement l’auteur. La croissance commerciale au XVIe siècle, qui ne met pas la Méditerranée à l’écart de la « grande histoire » atlantique, est un temps de grande ébullition dans ces mondes maritimes. Les navires marchands, escortés ou non, sont des proies recherchées par les « chiens de mer » de la reine Élisabeth d’Angleterre, par les « gueux de mer » desPays-Bas et les raïs des régences barbaresques, véritables «états-corsaires » (Alger, Tunis, Tripoli) contre lesquels s’exerce une«contre-course chrétienne ». Et alors que s’esquisse la nouvelle puissance maritime de la France au début du XVIIe siècle, l’auteur pointe « le grand désordre des océans », de la merde Chine aux mers des Caraïbes dominées par les flibustiers.Ces aventuriers hybrides, corsaires encouragés au XVIe siècle par des puissances européennes et devenus pirates hors-la-loi au siècle suivant par ces mêmes états, enflamment toujours les imaginaires collectifs : Henry Morgan, l’Ollonais, Rackham,Montbars l’exterminateur…. Tout comme « Libertalia »,cette construction libertaire établie à l’aube des Lumières près de Madagascar, imaginée hier par Daniel Defoe et décryptée aujourd’hui par David Graber.Le renouveau de la course européenne au Grand Siècle, jalonné de figures emblématiques ( Jean Bart, Duguay-Trouin, Cassard pour rester dans les eaux françaises) et sa codification internationale (1659) s’accompagnent de tentatives de mise au pas des Barbaresques, y compris de Salé (Rabat). Des bombardements, véritables opérations punitives, et des accords bilatéraux réduisent les razzias le long des rivages et les « rapines en mer»,parfois réalisées « sous couvert de religion ». Les vaisseaux de la Religion (ceux de l’ordre de Malte) participent activement à la police des mers. Un temps assoupie au siècle des Lumières, la course connaît un ultime sursaut sous la Révolution et leConsulat, mais enregistre ses « derniers feux à l’époque napoléonienne », tout comme la corso piraterie méditerranéenne à la suite d’opérations menées par les marines américaine et européenne (1815-1830).L’abolition officielle de la course, lors du congrès de Paris(1856) au terme de la guerre de Crimée, ne fait pas vraiment disparaître cette pratique, comme le rappelle l’auteur à propos de la guerre de Sécession. Et c’est moins encore le cas de la piraterie, par définition non-réglementée, et qui affecte aujourd’hui la circulation maritime au large de la corne de l’Afrique et dans le golfe de Guinée.L’ouvrage ne bouleverse certes pas les connaissances acquises et renouvelées récemment, mais fournit une synthèse solide, agréable à lire. Il contribuera peut-être à évacuer certains clichés, sans tuer de nécessaires rêveries. Un regret toutefois à savoir l’absence de cartes dans cette approche résolument mondiale.

Pirates Corsaires et flibustiers par Alain Blondy. 416 pages, Perrin, 2021. 23 €

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À propos de l’auteur
Gilbert BUTI

Gilbert BUTI

Gilbert Buti est Professeur émérite en histoire à l’université d’Aix-Marseille. Agrégé et docteur en histoire, chercheur à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme, laboratoire TELEMMe (CNRS-Aix-Marseille Université), spécialiste des économies maritimes et sociétés littorales dans le monde méditerranéen du XVIIe au début XIXe siècle, membre du GIS-Histoire et Sciences de la mer. Délégué pour la Méditerranée de la Société française d’Histoire maritime, président de l’académie du Var, il est auteur de nombreux ouvrages dont Histoire des pirates et des corsaires. De l'Antiquité à nos jours , CNRS Éditions, Paris, 2016 (avec Ph. Hroděj) et plus récemment, Rouge cochenille Histoire d’un insecte qui colora le monde, XVIe-XXIe siècle avec Danielle Trichaud-Buti CNRS Editions, 2021 et Les mutins de la mer. Rébellions maritimes et portuaires en Europe occidentale (XVIIe-XVIIIe siècles), avec Alain Cabantous, Paris, Cerf, 2022
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