La bataille du Harzhorn – une bataille oubliée
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La bataille du Harzhorn – une bataille oubliée

par | À la une, Archéologie, N°12 Histoire Magazine

Peu de personnes connaissent la bataille du Harzhorn, surtout en France, car elle n’est mentionnée par aucun manuel. Cette ignorance, très répandue, s’explique par plusieurs raisons : elle n’a été rapportée par aucun auteur de l’Antiquité ; elle est une découverte récente, due à l’archéologie ; la bibliographie, parcimonieuse, est toute en langue allemande. Cette affaire est exceptionnelle pour au moins deux raisons :les circonstances de sa découverte et les conséquences historiques qu’elle entraîne.

Germains et Romains au IIIème siècle.

Article publié dans Histoire Magazine N°12

La découverte

L’hipposande, première pièce découverte sur le site de Harzhorn.

Le Harzhorn, disent nos collègues allemands, est «une bataille oubliée»; entendez : «oubliée» par les auteurs anciens.

À l’origine de cette affaire se place un acte qui, en France, aurait été jugé délictueux. En 2000, un fouilleur clandestin, qui utilisait un détecteur de métaux dans le Harzhorn pour y trouver des pièces de monnaie et des bijoux, sortit de terre quatre objets de fer qu’il ne sut pas identifier et qui lui parurent de peu de valeur. Il les entreposa dans un local pendant huit ans.

En 2008, il eut l’idée de les remettre au service archéologique de sa région, plutôt que de s’en débarrasser. Et le personnage qui le reçut identifia avec surprise dans ce lot une hipposandale. Il savait que cet objet était romain et militaire à la fois, car seuls les cavaliers de l’armée, en l’absence de fer à cheval, utilisaient ces véritables chaussures faites en métal pour protéger les sabots de leurs montures.

À l’historien, le problème de la date se posa d’emblée. Cette région n’avait vu de légionnaires qu’à l’époque d’Auguste.

Ce fut donc cette période qui fut envisagée en un premier temps.

Les archéologues allemands entreprirent des fouilles exemplaires sur ce site, et ils recoururent à une technique encore balbutiante, l’archéologie des champs de bataille. Ils mobilisèrent un grand nombre de détecteurs de métaux et ils parcoururent d’abord le Harzhorn, ensuite ses environs, où ils découvrirent plus de 3000 objets, en grande partie romains. Ils portèrent une attention particulière aux pointes de flèches et de javelots qui étaient fichées dans le sol ou dans les arbres, en relevant avec soin leur orientation et leur origine, qu’elles soient venues des Romains ou des Germains. Ils purent alors reconstituer toute la bataille. fichées dans le sol ou dans les arbres, en relevant avec soin leur orientation et leur origine, qu’elles soient venues des Romains ou des Germains. Ils purent alors reconstituer toute la bataille.

Recherches à l’aide de détecteurs de métaux au Harzhorn.

Le lieu et la date

Les pièces de monnaies découvertes au Harzhorn ont permis de préciser l’époque de la bataille.

Le Harzhorn se trouve sur le territoire du Land («province») de Basse- Sax, presque à mi-chemin entre Berlin et Mayence; l’actuelle autoroute n° 7 passe tout près, à l’est de ce site.

Ce petit relief, orienté approximativement de direction est- ouest, est prolongé par la hauteur du Vogelberg à l’ouest et le Böhmerberg au sud, avec, au sud-ouest, une autre petite hauteur isolée, le Kahlberg. Il est situé dans le Weserbergland, au cœur de l’Allemagne, dans la zone des moyennes montagnes (Mittelgebirg), entre les hauts massifs du sud, les Alpes, et la grande plaine du nord, Basse-Saxe et Mecklembourg. Dans l’Antiquité, le Harzhorn était couvert par des forêts de hêtres, arbres dont le bois était utilisé pour fabriquer des arcs et des lances.

Dans ce territoire vivaient sans doute des Chattes; les Suèves, à l’est de leur domaine, et les Hermundures, plus loin, au sud-est, leur servaient de voisins. Nous avons dit que les quatre premiers objets trouvés au Harzhorn avaient incité les archéologues à les dater de l’époque d’Auguste. Trois arguments le sont contraints à revoir cette hypothèse. D’abord, ils ont remarqué que les fibules(des agrafes destinées à attacher les vêtements sur l’épaule) et les casques dataient du milieu du IIIe siècle. Ensuite, le carbone 14 (14C) suggérait une époque de peu antérieure à ce milieu du IIIe siècle; il est vrai que cette technique n’est pas toujours très précise.

Enfin, la numismatique a été sollicitée, bien que les fouilles n’aient permis de dégager que peu de monnaies.

Paire de pila. Geschwinde M. et alii, 2000 Jahre. Varusschlacht Konflikt, Burmeister S. et Derks H. édit., 2009 (Stuttgart), p. 273, pl. 1. Photo © M. Falla, NLD Bezirksarchäologie Braunschweig.

Les détecteurs de métaux ont permis de trouver seize pièces, deux sesterces(bronze), treize deniers (argent) et une espèce provenant de Bithynie. Les plus récentes sont deux deniers de 225, et deux autres qu’on ne peut placer avec précision sur l’échelle du temps, et qui ont été frappés l’un entre 222 et 228 et l’autre entre 222 et 235; certes, seize monnaies, ce n’est pas beaucoup; mais c’est un bon début. De toute façon, il était donc clair qu’il fallait renoncer à l’époque d’Auguste. Les archéologues allemands ont proposé des datations très précises, peut-être trop. Ils savaient que des Alamans ont attaqué la province de Germanie supérieure à la fin du règne de Sévère Alexandre, qui est mort en 235; il a d’ailleurs été assassiné à Mayence alors qu’il se préparait à leur faire la guerre. Ensuite, une contre- attaque de l’empereur Maximin le Thrace a été datée de 236; elle a été suivie par d’autres opérations jusqu’au moment de l’année238 où une révolte a éclaté contre le pouvoir de ce souverain, jugé tyrannique par les aristocrates; née en Afrique, elle s’est étendue à Rome. Le souverain a alors détourné son armée vers l’Italie où il a été assassiné en 238.

À notre avis, toutefois, la date ne peut pas être proposée avec certitude ni avec précision : entre les environs de 240 et de 250.

Les combattants du Harzhorn

Les fouilles ont dégagé des armes de Romains et de Germains.

Cotte de mailles retrouvée sur le site. Photo © Landesmuseum Schleswig-Holstein, Schloss Gottdorf, Schleswig.

Les Romains de cette époque utilisaient une épée longue à bout ogival, la spatha, et une lance de hast ou un épieu. Mais, contrairement à ce qui était admis par tous les archéologues, des javelots du type pilum ont été retrouvés sur ce site: ils étaient faits d’une pointe de fer longue et fine (70 cm), à forte capacité de pénétration, et par un manche en bois (90 cm). Un casque a également été retrouvé; les archéologues disent qu’il appartient au type Niederbieber, du nom d’un camp romain où plusieurs autres casques ont été identifiés. Là encore, c’est un bouleversement de la chronologie traditionnellement admise : on croyait que ce modèle avait disparu au début du IIIe siècle. Outre le casque, les soldats se protégeaient avec un bouclier et une cotte de mailles ou une cuirasse à écailles(une veste en cuir sur laquelle étaient fixées des écailles de métal). Et ils étaient chaussés avec des caligae, des chaussures à clous; le site du Harzhorn a livré 1400 de ces clous.

Des équipements de cavalerie, notamment l’hipposandale à l’origine de ces découvertes, ont été également dégagés, ainsi qu’une pièce d’artillerie, une catapulte qui lançait des javelots. Du côté des Germains, le matériel retrouvé est moins abondant.

Les Germains du Harzhorn présentaient des originalités : ils privilégiaient le combat à distance et ils ne possédaient pas de cavalerie (du moins aucune trace n’en a été retrouvée).Leur arme typique était un grand arc en bois d’if ou d’orme, d’une portée de120 à 140 m, et ils utilisaient des lances qui pouvaient être de jet et pas de hast. Mais, pour le corps à corps, quand il se présentait, ils recouraient à des épieux. Ils se protégeaient avec des boucliers ronds, en bois, de 90 à 110 cm de diamètre, parfois avec une cotte de mailles de fabrication locale ou romaine, achetée auprès d’un commerçant ou prise au titre de butin.

Pointes de flèches utilisées par l’artillerie romaine. Site du Harzhor

Appuyant leurs calculs sur les pointes de javelots et de flèches retrouvées, les archéologues estiment les effectifs entre 10000 et 15000 Romains, et entre 2000 et 5000 Germains.

Les combats du Harzhorn

L’armée romaine venait du nord et elle retournait à Mayence quand elle se heurta à un parti de Germains qui voulait lui barrer le chemin.

Vue aérienne du Harzhorn. Photo Andreas Grüttemann

L’archéologie montre que les affrontements se sont déroulés sur un peu plus d’un kilomètre; si ce ne fut pas de la guérilla, ce ne fut pas non plus une bataille en rase campagne classique, qu’il est possible de décrire. Les Germains ont organisé une attaque de flanc, depuis la hauteur boisée du Harzhorn, pour empêcher la progression des envahisseurs; ils occupaient une position dominante. Puis s’en sont suivies, en terrain plat, des attaques et des contre-attaques, les Romains, appuyant leurs mouvements avec des balistes, progressant lentement, leurs ennemis reculant avec la même lenteur. La retraite des Germains se serait progressivement accélérée avant de se transformer en débandade.

Pièce d’artillerie d’après E.W. Marsden, Greek andRoman Artillery, 1971, Oxford, Clarendon Press

Des officiers virent alors que d’autres ennemis avaient pris position au Kahlberg,à presque 2 kilomètres du Harzhorn. Ils les attaquèrent à leur tour avec succès; les survivants prirent la fuite. Sur ce site, on a pu ramasser 2 deniers, 17 javelots romains, 2 pila, 2 casques, des fragments de jambières, des harnachements de chevaux, des débris de chariots, et 5 lances germaniques.

Dans le même temps, les combats se poursuivaient à l’ouest du Harzhorn, les Romains réussissant à chasser les Germains devant eux. Des clous de chaussures ont été trouvés, et ils ont été interprétés comme la preuve que des légionnaires auraient pris la fuite; si l’on suit le déroulement des événements et surtout leur résultat, il vaut mieux admettre qu’ils témoignent de la poursuite rapide d’ennemis en déroute. En un endroit ont été dégagées des armes des deux camps; leur enchevêtrement laisse penser qu’elles ont été perdues lors de combats au corps à corps : épieux contre épées ou lances de hast. Un autre lieu a également livré des armes de Romains et de Germains, les débris d’un chariot et des objets divers qui n’ont pas toujours été bien identifiés.

Bilan

Aucun corps n’ayant été retrouvé, nous ne savons pas combien ces combats ont fait de morts. En revanche, ce qui est sûr, c’est que ce fut une victoire des légionnaires et de leurs auxiliaires : ils voulaient progresser, les Germains voulaient les en empêcher, et ils sont passés malgré cette opposition. La découverte de cette bataille, comme il a été dit plus haut, doit être vue comme un miracle. Une autre raison de fort étonnement existe, et elle bouleverse tout ce qui a été dit sur la crise de l’Empire romain au IIIe siècle : elle prouve que des légionnaires, entre 240 et 250, pouvaient non seulement s’avancer au cœur de la Germanie, mais encore remporter une victoire sur leurs ennemis.

À propos de l’auteur
Yann Le Bohec

Yann Le Bohec

Yann Le Bohec est professeur émérite à l’université Paris IV-Sorbonne. Il est l’auteur de nombreux livres consacrés à Rome et à son armée, des succès comme Histoire romaine (1991), Naissance, vie et mort de l’Empire romain (2012), Alésia (Tallandier, 2012), La Guerre romaine (Tallandier, 2014), Spartacus chef de guerre (Tallandier, 2016) et plus récemment Histoire des guerres romaines (Milieu du VIIIe siècle avant J.-C.- 410 après J.-C.). La vie quotidienne des soldats romains. à l'apogée de l'Empire (Tallandier 2020). À paraître le 22 septembre, Germains et Romains au IIIe siècle. Collection Illustoria. Editions Lemmeedit
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