Article publié dans Histoire Magazine N°12
Chronique du Grand Siècle
Force est de constater que la place réservée aux femmes à Versailles, et plus largement dans l’histoire de France, ne rendait pas justice aux rôles qu’elles ont pu tenir. Pourtant, on peut relever la force singulière de l’empreinte féminine sur la société du Grand Siècle. Dans l’historiographie, l’histoire des femmes a toujours été partielle. D’un côté celle de l’invisibilité et de la marginalité, de l’autre celle de la femme d’exception ou rebelle.
Au début du XXe siècle, le conservateur du château de Versailles, Pierre de Nolhac constatait, dans un somptueux recueil intitulé Les Femmes de Versailles, que « tout le monde sait que plusieurs d’entre elles tinrent, en leurs mains légères, les rênes assouplies du pouvoir». Malgré deux autres Marie-Antoinette et Mme de Pompadour du même auteur, il semble bien que les femmes de Versailles soient retombées dans l’oubli. Dès lors, il fallut attendre la publication d’Alexandre Maral (Femmes de Versailles, 2016), lui aussi conservateur au château de Versailles et reprenant la méthodologie de Nolhac, pour découvrir le rôle, les conditions de vie, l’influence mais aussi la destinée et les déboires des principales femmes qui ont laissé leur empreinte au cœur du château.
L’exemple le plus emblématique, le plus mystérieux voire le plus fabuleux, semble être celui de Mme de Maintenon (1635-1719) pour qui Mme de Sévigné constatait en 1684 : « La place de Mme de Maintenon est unique dans le monde ; il n’y en a jamais eu, et il n’yen aura jamais ».
Le destin hors normes et l’ascension sociale fulgurante de celle qui naquit dans la conciergerie d’une prison, dans la misère et la déchéance familiale, puis gagna la cour et une influence politique et religieuse certaine jusqu’à épouser son roi, ont fait couler beaucoup d’encre.
Françoise d’Aubigné épouse le poète Paul Scarron en 1652après avoir intégré le milieu précieux parisien qu’elle continuera de fréquenter une fois devenue veuve en 1660.Presque dix ans plus tard, elle devint la gouvernante des enfants naturels de Louis XIV et de Mme de Montespan. Le secret de l’éducation de ces enfants cessa lorsqu’ils furent légitimés en décembre 1673, ce qui leur permit ainsi qu’à leur gouvernante de s’installer à la cour. Grâce à plusieurs gratifications royales, Françoise Scarron acquiert, le 27 décembre 1674, le château de Maintenon dont elle portera désormais le nom.
La faveur royale fut croissante et dès décembre 1679, elle se vit octroyer la place, créée pour elle, de seconde dame d’atour de la dauphine ce qui permit au roi de la loger à proximité de son appartement à Versailles. La favorite fut alors surnommée « Mme de Maintenant», comme le nota Mme de Sévigné en 1680. Dès lors son influence grandit, notamment avec l’installation de la cour et du gouvernement à Versailles en 1682 où l’on se sert de son intermédiaire pour toucher le roi. La mort de la reine Marie-Thérèse, le 30 juillet 1683, précipita les choses puisque le roi ne tarda pas à la demander en mariage. Dès le mois d’octobre, le mariage morganatique fut contracté à Versailles, en présence de l’archevêque de Paris, probablement dans l’une des pièces de l’appartement intérieur du roi où règnent une plus grande intimité et les conditions du secret.
Personne n’est dupe à la cour de ce secret de Polichinelle et la nature des relations nouées entre Louis XIV et Mme de Maintenon fut manifeste : «Il avoit tous les jours avec elle de très longues conversations et il témoignoit avoir pour elle toute la considération et toute l’amitié imaginables» (Sourches). Madame, belle-sœur du roi, relevait encore ce caractère particulier dans une lettre d’avril 1688: «Ce qu’il y a de certain, c’est que le roi n’a jamais eu, pour aucune maîtresse, la passion qu’il a pour celle-ci. C’est quelque chose de curieux à voir quand ils sont ensemble. Si elle est quelque part, il ne peut pas y tenir un quart d’heure sans aller lui parler à l’oreille et l’entretenir en secret, bien qu’il ait été toute la journée après d’elle.» Elle était présente au travail du roi, qu’il soit seul ou avec un ministre, lorsqu’il venait s’installer dans sa chambre- cabinet où le roi tenu Conseil à plusieurs reprises. Manifestement, Mme de Maintenon fut la « reine dans le particulier » (Saint-Simon) du règne de Louis XIV. Si son influence politique est à nuancer, son investissement artistique et culturel, d’un raffinement extrême, n’est plus à démontrer et le château de Versailles en demeure un témoin privilégié
Dans les allées du pouvoir. cat. de l’exposition tenue au château de Versailles en 2019. Mathieu Da Vinha et Nathalie Grande (dir.). «Toute la cour était étonnée». CRVC/PUR, 2022.