Les dernières épreuves :Marie-Antoinette au Temple
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Photo : Marie-Antoinette, prisonnière à la tour du Temple, en robe et bonnet de veuve, février ou mars 1793. Alexandre Kucharski. Musée Carnavalet. Paris.
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Les dernières épreuves :Marie-Antoinette au Temple

par | Marie-Antoinette, N°1 Histoire Magazine, Révolution française, XVIIIème siècle

Article publié dans Histoire Magazine N°1

Le 10 août 1792, les Tuileries sont prises, la famille royale se réfugie dans la salle du Manège où les députés de la Législative tiennent séance. Sous la pression de la Commune insurrectionnelle qui a pris le contrôle de la capitale, les parlementaires vont suspendre Louis XVI et accepter son enfermement au Temple avec sa famille… Le 13 août, commence ainsi une incarcération qui durera 1222 jours : Louis XVI restera enfermé dans le donjon jusqu’à son exécution le 21 janvier 1793, Marie-Antoinette le quittera pour la Conciergerie le 1er août suivant, suivie par Madame Élisabeth, happée par le Tribunal révolutionnaire le 9 mai 1794. Ne resteront plus que les deux enfants, l’innocent « Louis XVII », qui mourra de tuberculose le 8 juin 1795, et sa grande sœur, la mélancolique Marie-Thérèse, qui quittera le Temple le 19 décembre 1795 pour gagner l’Autriche, suite à une négociation entamée par la Convention et achevée par le Directoire.

La captivité au Temple est connue, ressassée depuis plus de deux siècles, mais curieusement, elle n’avait jamais été abordée pour elle-même : on connaissait l’histoire individuelle de chacun de ses détenus, mais l’étude de la prison, de son administration, de la vie quotidienne que les captifs et leurs geôliers menaient dans l’ancien enclos des Templiers restait encore à découvrir. Le donjon, loin d’être coupé du monde, était fréquenté chaque jour par des centaines de personnes. Les moyens mobilisés étaient immenses, le fonctionnement de cette prison coûtait incroyablement cher et servait de prétexte à des trafics et des détournements d’argent en tous genres. Surtout, le Temple a joué un rôle majeur au sein du Paris de l’époque : tour à tour invoqué comme prétexte par l’accusateur public du Tribunal révolutionnaire, brandi comme épouvantail au club des Jacobins ou à la tribune de la Convention, la prison royale fut aussi l’objet de centaines d’articles de journaux, fut espionnée par des agents royalistes ou étrangers, tout en étant régulièrement visée par des manifestations ou des mouvements de foule.

Les archives inédites ou peu connues, qui ne manquent pas, font ressortir l’incroyable complexité du système carcéral mis en place par la Révolution pour surveiller la famille royale, dont les conditions de détention se dégradèrent continuellement, jusqu’à l’isolement complet et aux mauvais traitements endurés par les deux orphelins royaux. Si cette phase n’avait presque jamais été étudiée, c’est d’abord parce qu’elle suscite l’effroi, mais aussi parce qu’elle gêne jusqu’aux admirateurs de la Révolution : pour tous les acteurs de cette période, elle fut un remords, ou un regret.

Le seul traitement de Marie-Antoinette fait ressortir tout le caractère tragique de cette captivité. À la fin de l’été 1792, elle fut confrontée à la froideur et à l’hostilité des élus de la Commune chargés de surveiller le Temple, craignant constamment pour sa vie et pour celle de ses enfants. Le 3 septembre, des émeutiers défilèrent autour du donjon du Temple en portant en procession la tête de la princesse de Lamballe massacrée à la prison de la Force, et il s’en fallut de peu qu’ils ne forcent la reine à embrasser le visage livide de son amie. Enfermée avec ses enfants au deuxième étage de la grande tour du Temple au début de l’automne, elle eut la douleur de voir son fils lui être arraché une première fois le 27 octobre 1792, les révolutionnaires l’accusant déjà d’être une mauvaise mère cherchant à corrompre son fils. S’il lui fut rendu quelques semaines plus tard, c’est parce que Louis XVI avait été placé à l’isolement dans l’attente de son procès. Le 20 janvier 1793, les adieux de la reine à son mari furent déchirants : ils avaient trouvé dans la captivité et dans l’épreuve une intimité qu’ils n’avaient pas éprouvée à Versailles. Durant tout le printemps, Marie-Antoinette, désormais « régente » d’un royaume de France limité à deux pièces glaciales dans un donjon sinistre, parvint à prendre contact avec des révolutionnaires « convertis » à la cause royale, malgré la surveillance incessante. Toulan et Lepitre, les deux conspirateurs, parvinrent à faire passer quelques lettres de la reine à l’extérieur, mais leur plan d’évasion, patiemment mis au point, échoua au début du mois de mars 1793, brisant les ultimes espoirs de la reine : « Nous avons fait un beau rêve, voilà tout », écrivit-elle dans une de ses dernières lettres.

La paranoïa révolutionnaire atteignit de nouveaux sommets, alors même que Marie-Antoinette s’inquiétait des premiers symptômes de la tuberculose qui devaient emporter son fils deux ans plus tard.

Atteint d’une pleurésie durant les mois de mai et juin, le petit roi sans couronne fut soigné une dernière fois par sa mère.

Le 3 juillet, malgré les pleurs et les cris de la reine, le petit garçon fut confié au cordonnier Simon, un élu de la Commune, que tous les témoignages décrivent comme un homme violent et porté sur la boisson. Lui et son épouse étaient chargés de « soigner » l’enfant. Marie-Antoinette eut la douleur de savoir que son fils avait été confié à une brute qui s’employait à lui faire subir un véritable lavage de cerveau destiné à le transformer en parfait petit Sans-culotte. Depuis sa cellule, elle l’entendait marcher au troisième étage de la tour, et passait des heures à la fenêtre dans l’espoir d’apercevoir sa frêle silhouette coiffée d’un bonnet phrygien. Même après son transfert à la Conciergerie, Marie-Antoinette n’oublia jamais ses deux enfants, et elle conserva jusqu’à la fin l’espoir de les revoir. Elle dut subir une dernière épreuve en apprenant, lors de son procès, que l’on avait arraché un faux témoignage à son fils, qui l’avait accusée d’avoir abusé de lui. Faisant appel à ses dernières forces, la reine démentit fermement ces propos, si atroces qu’ils ne pouvaient que discréditer ses accusateurs. Le 16 octobre, quelques heures avant d’affronter la guillotine, elle rédigea son fameux testament. Ses pensées se tournaient toujours vers le Temple. Dans son livre d’heures, elle griffonna un ultime adieu à ses enfants : « Mon Dieu ! Ayez pitié de moi ! Mes yeux n’ont plus de larmes pour pleurer pour vous mes pauvres enfants ; adieu, adieu ! Marie-Antoinette ».

L’histoire du Temple ne s’arrête pas avec la mort de la reine, qui marque cependant l’entrée dans une nouvelle phase de durcissement pour les captifs royaux qui durent souffrir de l’isolement, du froid et de la faim durant de longs mois. Les archives évoquent les achats somptueux de viande et de fruits de mer destinés à leurs geôliers, tandis que les prisonniers devaient se contenter de lentilles et de légumes bouillis. Les documents révèlent aussi la peur terrible que le Temple continuait d’inspirer :même après la mort du roi, de la reine et de Madame Élisabeth, les deux orphelins étaient toujours considérés comme de dangereux conspirateurs, certains révolutionnaires ayant même réclamé de les guillotiner à leur tour. Après la chute de Robespierre et la fin de la Terreur, la mort de Louis XVII et la libération de Marie-Thérèse entraînèrent
la fermeture de la prison du Temple, qui devint un lieu légendaire, objet d’un véritable culte, au point que Napoléon se sentit obligé de détruire le vieux donjon en 1808.

Cette démolition ne fit que renforcer la légende, dont les échos hantent encore la mémoire des Français qui entretiennent un rapport plus qu’ambigu avec leur héritage révolutionnaire.

La captivité de la famille royale et les souffrances de Marie-Antoinette sont peut-être des éléments de réponse à l’énigme de la Terreur. Les frères Goncourt en avaient déjà eu l’intuition, dans leur Histoire de Marie-Antoinette : « Gloire et crime dépassent leur théâtre. L’humanité tout entière, associée à elle-même dans la durée et dans l’espace, en revendique le bénéfice ou en porte leur deuil ; et il arrive que la mort d’une femme désole cette âme universelle et cette justice solidaire des siècles et des peuples : la conscience humaine ; il arrive que le remords d’une nation profite aux nations, et que l’horreur d’un jour est la leçon de l’avenir ».

À propos de l’auteur
Charles-Eloi VIAL

Charles-Eloi VIAL

Historien, docteur en histoire, archiviste paléographe, conservateur à la Bibliothèque nationale de France.
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