Article publié dans Histoire Magazine N°3
« Je combattrai toujours même après épuisement de mes forces » Charles Nungesser
Il a survécu à plus de 100 combats aériens ce héros de la Grande Guerre, cet aviateur hors pair, cet homme qui avait une chance formidable, qui tentait l’impossible : « T’en fais pas on passe !… »
Marcel Jullian, homme de télévision, écrivain, dialoguiste, publie cette biographie en 1953, il retrace l’histoire familiale de Charles Nungesser né à Paris en 1892. Déjà à 15 ans, il embarque pour rejoindre son oncle à Rio de Janeiro, puis en Argentine, il avait commencé à voyager, il ne pensera plus qu’à ça, cette furieuse hâte qui posséda Nungesser jusqu’à sa disparition, précise Jullian. C’est d’ailleurs en Argentine qu’il accomplira son premier vol en tant que passager puis pilotant un vieux Blériot. Révélation, il volera toujours, il tutoierait le ciel encore !
Les nouvelles étaient arrivées en Argentine à l’été 1914, Nungesser embarqua en hâte vers la France : un rendez-vous avec la gloire l’y attendait. D’abord hussard, il vécut la guerre de mouvement, puis celle d’estafette automobile. Sauvé d’une embuscade, il s’adressera à un général : « je sais piloter, je voudrais être affecté à une unité aérienne. »
Janvier 1915, il retrouve ses ailes, on reconnut ses aptitudes. Quelques semaines après arrive sur la base un pilote fin et distingué, il deviendra vite ami avec Guynemer. Affecté à l’escadrille 106 près de Dunkerque. C’est là qui choisit le mécanicien qui allait lui être fidèle : Pochon.
A partir de là c’est la foire d’empoigne, il est partout, survolant les tranchées ennemies, récoltant des éclats d’obus, des traces de balles. Sur un morceau de toile récupéré sur son Voisin, il écrit et envoie par courrier à son père : Trace d’obus faite par les batteries allemandes sur Ostende le 15 avril 1915.
Et les combats aériens se succèdent Albatros et Fokker le pourchassent, il combat, continue sa mission, le fuselage percé d’impacts. Il teste l’attaque en piqué, le mitraillage en aveugle, l’emport d’une bombe de 200 kilos. Maréchal des Logis, adjudant, puis lieutenant Nungesser montait dans la hiérarchie militaire comme son biplan sur les nuages.
L’escadrille 106 envoyée à Nancy sa réputation le précéda, plusieurs combats à son actif et pour un pilote un combat gagné et celui d’où l’on revient ! La foule assistait aux rotations des Voisin, un quidam déclarait : « le type qui est là-haut c’est Nungesser, c’est un as, il ira loin ! » Sa première victoire il l’obtint en combat rapproché, laissons-le nous narrer l’événement :
J’ai l’honneur de vous adresser les renseignements que vous avez eu la bienveillance de me demander. Hier matin à 5 heures 30, j’ai pris le départ pour faire un essai, ayant abord un mitrailleur. Arrivé à la hauteur de 1.600 mètres, j’ai aperçu une fumée noire venant du plateau, que j’attribuais à l’éclatement d’un obus. Au même instant, cinq avions ennemis se dirigeaient sur Nancy ; leur hauteur étant sensiblement supérieure à la mienne, je décidai de me diriger sur les lignes pour prendre de l’altitude.
Arrivé dans la région de la Moselle, je vis un des avions se diriger sur le « drachen » de Bézaumont ; Je marchais à sa rencontre sans qu’il m’eût aperçu. Je vis qu’il lançait un obus sur le « drachen » ; Le projectile tomba à vingt mètres du ballon. À ce moment, mon mitrailleur tira ses premières balles à une distance de cinquante mètres environ. Le pilote ennemi, m’ayant aperçu, fit demi-tour pendant qu’il continuait à être mitraillé par nous. Il ne tira que deux balles, sa mitrailleuse s’étant probablement enrayée. L’appareil ennemi, touché piqua du nez et essaya de rentrer dans ses lignes.
Je l’accompagnai jusqu’au bord de la Seille, en faisant des cercles au-dessus de lui et en descendant de 600 mètres. Au moment où il touchait le sol, je constatai que j’étais trop rapproché des lignes allemandes pour chercher à m’emparer des deux aviateurs. Je retournai atterrir à côté du « drachen » de Bézaumont ou j’avais engagé la lutte.
J’eus la grande joie d’être félicité par les officiers du « drachen » ; je ne cite comme nom que le lieutenant Wolf. Eux et leurs hommes pourront certifier :
1° que l’Albatros n’a piqué qu’après l’attaque à coup de mitrailleuse ;
2° qu’à ce moment aucun projectile d’artillerie n’a été tiré sur l’avion allemand. Les officiers de la batterie spéciale contre avions de mont Sainte-Geneviève, qui n’a pas tiré, vous confirmeront de la façon la plus formelle le témoignage du lieutenant Wolf et de ses hommes.
Il faut ajouter celui des soldats d’infanterie du 232° qui m’ont vu accompagner l’Albatros et tourner autour de lui, comme ils l’ont spontanément raconté. Une voiture ayant été mise à ma disposition par le lieutenant Wolf, je me rendis sur les bords de la Seille à l’endroit exact que j’avais indiqué en descendant et je fis démonter et transporter l’avion hors de l’atteinte des soldats allemands. …/…
L’appareil allemand demeura exposé plusieurs jours place Stanislas. Charles écrit à son père, il expédie la lettre de Nancy, on y retrouve les traits caractéristiques de son caractère de « chevalier du ciel », amour du combat, acceptation simple du devoir, esprit de famille, séduction et sens de l’humour. Le lecteur attentif remarquera la force de l’écriture. Sa renommée l’avait précédé y compris lors de sa première permission en famille. Mais déjà il savait que sa place était là-bas dans le ciel au-dessus des tranchées où les fantassins en riant et en l’admirant reconnaissant son blason, tête de mort et cercueil : « Qu’ils essaient de le décrocher çui-là les Boches ! ». Lui toujours en l’air, toujours victorieux comme Guynemer, Daurat et Fonck, demeurait l’un des plus fameux pilotes de chasse de la Grande Guerre. Cité plusieurs fois à l’ordre de l’Armée, c’est déjà un trompe la mort qui connaît autant de fractures que de victoires, auréolé d’une baraka jamais démentie. Ah ! Il fait le malin, vrombit au-dessus des toits de Nancy avec son nouveau Nieuport, cabriole à trente mètres des avenues, salue la foule. Des habitants se plaignent, le capitaine le sermonne : « si vous voulez faire le malin, faites-le au dessus des lignes ennemies ». Il le fera, cabriolera à quelques mètres des toits d’un aérodrome allemand, un looping entre les avions qui le pourchassent, il vire sur l’aile à quelques mètres de leur piste, puis rentre sans une égratignure : « c’est fait mon capitaine ! ». Note de service rageuse, jours d’arrêt, il ne doit plus combattre.
On lui demande pour punition de régler les machines pour les autres pilotes, il est sagement en vol au-dessus de leur base quand il est attaqué par deux avions ennemis, il n’a rien demandé, mais il répond, les autres se doutant d’une vilaine affaire se sauvent, il en abat un. La punition est levée.
En 1916, il s’écrase, les deux jambes brisées, mâchoire fracassée, il s’en sort, mais les médecins sont formels : il ne volera plus. Contre toute attente, à peine réparé, il file au Bourget se fait prêter un Nieuport, vrille, tourne, boucle, finit par des tonneaux. Nungesser est toujours Nungesser. Il veut rejoindre l’escadrille. Il vole à nouveau, combat, descend des ennemis, une balle se fiche dans son casque, dans ses bottes, il revient, victorieux : « j’ai reçu trois mille balles ». Son mécanicien répond : « c’est pas cher ! »
Pendant des semaines, il vola avec ses béquilles posées dans le cockpit, il marchait très mal, il fallait juste le hisser à bord pour qu’il puisse voler. Et il se ratatine plusieurs fois, 42 balles dans la toile ! Aux vaches, les fantassins ne peuvent pas aller le chercher entre les lignes : « Tiens bon l’aviateur ! On te sortira de là ! » Et on va le récupérer à la nuit, genou déboîté, mais les gars sont fiers de porter le héros. Une autre fois, il abat un adversaire sous les yeux de milliers de gars de l’infanterie et il est contraint de se poser à côté du pilote ennemi déjà fait prisonnier : il est acclamé par une ovation délirante sur 300 mètres de tranchées… direction l’hôpital.
En permission de convalescence à Paris, il souhaite assister à une course de motocyclette, il porte une gabardine sur son uniforme et ses décorations, mais il est reconnu, la clameur couvre le circuit. Rougissant, il accepte de donner le départ, on lui tend le pistolet de starter, il plaisant : « c’est pas dangereux au moins ? »
Puis la Somme d’autres combats et des blessures – il se disait puzzle humain-, des distinctions, étoiles, palmes, décorations, citations à l’ordre de l’escadrille, de l’armée. L’armistice le retrouva aussi populaire, aussi avide d’aventure, la paix le laissait décontenancé. Les sollicitations ne manquaient pas, lui voulait créer une école de pilotage à Orly.
Mais un jour : « Gloire ou pas gloire, il faut vivre, j’envisage un voyage en Amérique, mais pas en bateau ! » Il prend une part active à son école, mais participe à des meetings pour ne pas perdre la patte. Cependant être un héros et un gestionnaire n’est pas donné à tout le monde et Charles dépité ferme son école. Il partit en exhibition aux Etats-Unis… sur un paquebot.
Malgré tout l’aventure le taraude : « J’ai décidé de traverser l’Atlantique, je recherche actuellement le type d’avion le mieux adapté à cette entreprise »
C’est à Marseille que Nungesser rencontre Coli. Celui-ci est un navigateur borgne qui cherche l’aventure. Tous deux, animés de la même passion, contactent le constructeur Levasseur, qui est d’accord pour leur fournir un appareil exceptionnel, équipé d’un moteur Lorraine Dietrich de 450 CV. Comme à son habitude, le chevalier du ciel ne laisse rien au hasard : essais, calculs, hypothèses de trajets, allègement maximum de l’appareil, tout est pensé, réfléchi, jusqu’au moindre détail.
C’est dans le livre de Jacques Bureau, La motocyclette merveilleuse paru chez Robert Laffont en 1981 que l’on retrouve ces descriptions qui caractérisent les hommes de la Grande Guerre :
Lorsque la guerre fut finie, les hommes rentrèrent, on ne les reconnut pas, on les prenait pour leurs frères aînés. Ils avaient beaucoup à dire car de là-bas, ils avaient peu écrit : ils s’étaient contentés d’être muets, d’être absents, d’être morts.
Ils savaient tout faire, cuire un poulet, réparer une galoche, ferrer un cheval, mais ils étaient inutiles pour la vie en général. On les employait dans les fêtes de famille comme garçons d’honneur, dans les incendies comme pompiers, partout où il faut du courage et de la prestance mais, ils n’avaient leur place nulle part.
Charles Nungesser et François Coli firent partie de ces hommes pour qui la guerre ne pouvait qu’aboutir à l’aventure. Le groupe Safran dans lequel je travaillais encore il y a quelques années avait participé en tant que mécène au Retour sur l’épopée de l’Oiseau Blanc, 90 ans après.
Aujourd’hui encore, les noms de Charles Nungesser et François Coli restent très présents dans l’imaginaire collectif. Outre des rues qui portent leur nom dans de nombreuses villes un peu partout en France, une statue a été érigée en leur honneur à l’aéroport de Paris-Le Bourget, leur point de départ, ainsi qu’un monument à Étretat, où ils ont été aperçus pour la dernière fois depuis la France. Mais on associe moins souvent leur exploit à Safran, dont l’ancêtre propulsait l’Oiseau Blanc !
Cette énigme qui a passionné le grand public des deux côtés de l’Atlantique dans les années 1920 continue de fasciner aujourd’hui.
Le 8 mai 1927, l’Oiseau Blanc, un avion biplan, disparaissait lors de la première tentative de traversée de l’océan Atlantique sans escale entre Paris et New-York. A son bord, deux aviateurs français : Charles Nungesser et François Coli, eux aussi portés disparus.
Le moteur Lorraine 12 Eb propulsant l’Oiseau Blanc constitue une pièce majeure du patrimoine historique de Safran et de l’industrie aéronautique. Ce moteur d’une puissance de 450 chevaux fut développé dans les années 1920 et fabriqué à plus de 8 000 exemplaires par la société Lorraine-Dietrich, reprise en 1941 par l’entreprise Gnome & Rhône, ancêtre du Safran d’aujourd’hui.
Depuis maintenant 90 ans, plusieurs hypothèses ont vu le jour pour expliquer la disparition de l’Oiseau Blanc et de ses deux pilotes. La plus commune d’entre-elles est que l’avion, pris dans un épais brouillard, se serait écrasé dans l’océan. Mais d’autres recherches laissent à penser que le biplan aurait atteint Terre-Neuve avant d’aller s’écraser à proximité de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, ou encore près de la côte du Maine, aux États-Unis. D’autres encore ont abouti à la conclusion que l’Oiseau Blanc, confondu avec un avion des garde-côtes américains, aurait été la cible de tirs de contrebandiers d’alcool – un scénario plausible à l’époque de la prohibition.
Moins de deux semaines après la disparition du tristement célèbre biplan, l’Américain Charles Lindbergh réussit la traversée de l’océan Atlantique à bord du Spirit of St. Louis, en partant cette fois-ci de New-York pour atterrir à l’aéroport du Bourget le 21 mai 1927.
Une question persiste : qui a traversé l’Atlantique sans escale en premier ?
Voici ci-dessous la liste des livres indispensables si l’on veut être documenté sur la guerre de 14-18 en général et l’aviation à cette période en particulier.
Les as de la grande guerre, par Patrick de Gmeline, Presses de la Cité
Baron rouge et cigogne blanche, Manfred von Richthofen et René Fonck, par Patrick de Gmeline, Presses de la Cité
Nungesser : le chevalier du ciel, par Marcel Jullian, Ed. Presse Pocket
Nungesser et Coli : premiers vainqueurs de l’Atlantique, par Charles Garreau ; préf. de Roland Nungesser, Ed. Acropole
Les As français de la Grande Guerre, par Daniel Porret, Ed. Centre de documentation de l’armement
Carré d’as, par Jacques Mortane, Ed. Baudinière
Leur dernier vol, par Jacques Mortane, Ed. Baudinière
Sentinelle de l’air, par Jacques Mortane, Ed. Baudinière