On ignore souvent que la Première Guerre mondiale fut précisément à l’origine du renseignement moderne. À l’issue de celle-ci, « le renseignement s’installe comme une composante permanente des armées et des États et ne va cesser de se développer jusqu’à nos jours », rappelle Alain Juillet dans la préface de ce livre qui s’annonce déjà comme un ouvrage de référence en la matière.
L’extension mondiale du conflit, sa durée, et le gigantisme des armées en présence décuplent, en effet, les besoins en renseignement des armées et des gouvernements. Les guerres incitent souvent à développer de nombreuses techniques nouvelles. C’est aussi le cas dans ce domaine.
La combinaison de l’aviation naissante avec la photographie donne ainsi naissance au renseignement d’origine image. Le renseignement aérien ne cessera d’ailleurs de prendre de l’importance tout au long du conflit. Des avancées dans le domaine électromagnétique permettront l’utilisation de la radiogoniométrie. Ces deux domaines seront déjà utilisés pleinement lors de la bataille de Verdun.
Le développement des interceptions et de la cryptologie donneront naissance au renseignement d’origine électromagnétique (les « écoutes »), avancée facilitée par le fait que de 1881 à 1914, la cryptographie militaire française avait déjà connu une modernisation sans précédent, facilitée par la publication en 1883 du livre d’Auguste Kerckhoff, La cryptographie militaire. L’usage de la correspondance chiffrée se généralise alors et se perfectionne. La France sera ainsi le pays le mieux préparé dans ce domaine lorsque la guerre éclatera. Par contre, les belligérants ne découvriront le potentiel exceptionnel de l’interception des communications ennemies qu’au cours de la guerre, notamment dans le domaine naval. L’interception des communications allemandes par la Royal Navy, qui en avait brisé les codes, lui permettra ainsi de remporter un certain nombre de succès. La Room 40 intercepta notamment le télégramme Zimmermann en janvier 1917, ce qui entraîna l’entrée en guerre des États-Unis. Pour la petite histoire, la même unité avait en 1915, localisé le sous-marin allemand U-20 à proximité du Lusitania, mais le gouvernement anglais avait choisi de ne pas donner l’alerte afin de créer un casus belli potentiel pour les États-Unis…
Le renseignement humain, auparavant prédominant, semble perdre un peu d’importance, mais continue à se développer au cours du conflit. Ainsi, l’exploitation de la presse adverse permet souvent de recueillir des informations sur le mouvement des troupes ennemies. Le renseignement économique fait aussi son apparition.
Parallèlement, le contre-espionnage se structure et s’étend, notamment dans un domaine nouveau, celui du contrôle postal.
Paradoxalement, dès la fin du conflit, l’intérêt des états-majors français pour le renseignement s’estompe et la discipline est quelque peu négligée entre les deux guerres, ce qui n’est pas le cas, loin de là, en Grande-Bretagne. Dans beaucoup de domaines, notre pays a souvent tendance en effet à partir en tête puis à s’essouffler face à ses concurrents. L’Allemagne constitue un cas un peu à part, car il lui manque, même en 1918, une véritable culture du renseignement, contrairement à l’Autriche, empire multiethnique.
Ce gros volume tend à l’exhaustivité. Si la France fait l’objet de la première partie, les cas britannique, américain, allemand, japonais et italien ne sont pas oubliés. La diversité des facettes que peut prendre l’activité du renseignement nous garantit une lecture tout à fait passionnante.
Centre français de recherche sur le renseignement (sous la direction d’Éric Dénécé), Préface d’Alain Juillet, Renseignement et espionnage pendant la Première Guerre mondiale, Ellipse, 2023, 576 pages. 29.50 €