Le caractère éphémère des jardins conçus, l’ampleur et la diversité de son œuvre, la rareté des archives de sa main, la notoriété qui efface l’homme et le fait disparaître derrière des apparences trompeuses, tout cela rend malaisé l’approche d’André Le Nôtre. Un comble pour un personnage dont le nom fut célèbre au point d’être connu et respecté dans toute l’Europe, un nom qu’il suffit encore de prononcer pour voir défiler devant ses yeux le règne de Louis XIV, la splendeur de Versailles, un nom, enfin, associé à ces jardins à la française que des visiteurs venus des quatre coins du monde viennent admirer quotidiennement dans nos châteaux et nous envient. Pour approcher « le bonhomme Le Nôtre », c’est ainsi qu’on le surnomme, l’historien n’est heureusement pas complètement désarmé : mémoires, correspondances et actes de la vie courante (contrats de mariage, achats, locations, ventes, inventaires après décès…) fournissent une matière qu’il faut sans cesse assembler et réinterroger avec de nouvelles questions.
Jardiniers aux Tuileries.
André le Nôtre naît à Paris le 12 mars 1613. Comment échapperait-il à une voie qui, dès son enfance, semble toute tracée ? Pierre Le Nôtre, son grand-père, fut jardinier du roi aux Tuileries avant de transmettre son office à Jean (1575-1655), son fils. Une certaine tradition historiographique fera vite de ce Pierre le digne fondateur d’une dynastie de jardiniers. Marie Jacquelin (1587-1675), sa mère, était fille de Toussaint Jacquelin, qualifié de maître jardinier dans un contrat de mariage ! Son parrain, André Bérard de Maisoncelles, dont il reçoit le prénom, n’est autre que le contrôleur général des Jardins sous Henri IV et Louis XIII. Sa marraine, Claude de Martigny, avait épousé en secondes noces Claude Mollet, qui se disait « premier jardinier du roi » et travailla avec Jean Le Nôtre aux Tuileries. Les Mollet, et leur entourage, favoriseront le moment venu la carrière d’André. Plusieurs décennies durant, la famille Le Nôtre évolue donc dans ce microcosme de jardiniers qui vécurent et travaillèrent dans le quartier et les jardins des Tuileries. Des liens y sont tissés et des solidarités s’y exercent. Quant à la communauté que forment les jardiniers de Paris, elle obtient du roi la reconnaissance de ses statuts en mai 1600. Chacun y trouve son compte. La monarchie en profite pour réglementer la profession tandis que la corporation peut désormais contrôler la manière dont on accède au métier.
Quelques contrats permettent de mesurer les progrès de la carrière de Jean Le Nôtre. Ainsi, en 1608, on le découvre, aux côtés de Claude Mollet, Yves Bouchard et Macé Regnault, chargé de l’entretien des jardins et orangers aux Tuileries. En 1625, il est rémunéré en qualité de dessinateur des jardins du roi. Le fait d’être au service du roi apporte à la famille une certaine position, synonyme de stabilité et de sécurité en un temps où la promotion sociale n’est pas toujours facile. C’est donc dans ce milieu doublement protégé, des Tuileries et de la communauté des jardiniers « royaux », que grandit André. Etant donné ses origines, la question du choix de sa profession ne se pose guère. A douze ans, il entame donc, dans le sillage de son père et de ses oncles qu’il suit sur les lieux de leur travail, un apprentissage de quatre ans (1625-1629). Passé 1629, il suit les cours de Simon Vouet, premier peintre de Louis XIII. Le maître avait coutume de dispenser son savoir dans son propre appartement situé dans la grande Galerie du Louvre. Dans ce vivier, Le Nôtre côtoie de brillants condisciples avec lesquels il gardera des liens (Perrier, Le Brun, Sarazin, Mignard, Patel…).
L’ascension d’André Le Nôtre, jardinier et dessinateur.
En 1635, il entre au service de Gaston d’Orléans en qualité de « premier jardinier de Monsieur, frère du roi ». Il a 22 ans. C’est son premier engagement officiel. Auprès du prince mécène, qui paie ses turbulences passées par un « exil » durable à Blois, Le Nôtre assume des tâches variées et développe encore son réseau de connaissances. Dans ce château du Val de Loire, il retrouve François Mansart qui y travaille à reconstruire un nouveau logis au goût du jour. S’il demeure difficile encore aujourd’hui de préciser quelles furent leurs relations, leurs fonctions nécessitèrent, entre l’architecte et le jardinier, une étroite collaboration. Le Nôtre s’efforce alors de maîtriser un terrain difficile. Il ordonne assèchement de marais, drainage et curage de rivière. Une expérience formatrice ! Il dessine aussi pour Philippe de Kessel, seigneur de Wattignies (sud de Lille) de nouveaux jardins. Sa réputation grandit, ses cachets augmentent. Des soucis de famille vinrent cependant obscurcir un peu ce bel horizon sans nuages. Début 1639, son père avait été enfermé quelques jours en prison en raison de dettes accumulées. La situation financière de la famille vite rétablie, la mésaventure fit néanmoins connaître à tous une humiliation morale plus difficile à effacer. La carrière du père en subit irrémédiablement le contrecoup alors même que celle du fils venait de décoller. Un événement singulier était venu le rappeler. Lire la suite…