Article publié dans Histoire Magazine N°2
Un an après avoir été chargé d’une mission pour le patrimoine par le président de la République, Stéphane Bern dresse le bilan de son action et de la situation. Le sujet du patrimoine est, selon lui, un véritable enjeu de société qui nous parle de nos racines, de notre identité, de la convivialité et de la vitalité économique de nos villages. Le Loto du Patrimoine, dont le succès dépend de la mobilisation des Français, a été lancé et des solutions novatrices proposées, il appartient à l’État désormais de prendre sa part du travail.
Entretien …
Stéphane Bern, un an quasiment jour pour jour après que vous ayez été chargé par le président de la République, Emmanuel Macron, d’une mission pour le patrimoine, votre projet phare de « Loto du Patrimoine » voit le jour, cela est assurément une source de satisfaction pour vous…
Stéphane Bern : Je suis effectivement heureux que l’idée du Loto Patrimoine soit lancée et sur les rails. Encore fautil qu’il soit un succès populaire avec des grilles de tirage à 3€ permettant aux gagnants de remporter la somme de 13 millions d’euros, ou des tickets de tirage plus chers à 15€ dont un sur trois est gagnant. L’idée est bien ancrée déjà au Royaume-Uni pour préserver les monuments du National Trust, mais je suis surtout heureux que depuis un an, le sujet du patrimoine soit revenu au cœur du débat public : c’est un véritable enjeu de société qui nous parle de nos racines, de notre identité, de la convivialité et de la vitalité économique de nos villages. La France est le premier pays visité au monde mais qu’aurons-nous à montrer aux touristes de demain si près de 10% de nos trésors historiques sont en péril ? Il est temps de comprendre que le patrimoine est le trésor de la France, c’est notre pétrole, une source essentielle de revenus pour faire vivre ou revivre la ruralité. Certes, le Loto permet aux Français de se mobiliser mais j’espère aussi que l’État prendra pleinement sa part de responsabilité.
Sur plus de 2000 dossiers de patrimoine en péril reçus, vous en avez sélectionné 269 qui vont bénéficier des sommes collectées grâce au loto « mission du patrimoine ». Le choix n’a pas dû être facile. Comment s’est opérée cette sélection ? Selon quels critères ?
Stéphane Bern : Sur la plateforme numérique mise en place par le Ministère de la culture, nous avons effectivement reçu pas moins de deux mille dossiers émanant principalement de collectivités locales ou territoriales, d’associations de sauvegarde, de particuliers ou de simples citoyens choqués par ce patrimoine en danger. Il a fallu tout à la fois hiérarchiser les urgences et passer tous ces dossiers au tamis des Directions Régionales des Affaires Culturelles pour établir les priorités, déterminer ceux qui étaient déjà aidés par ailleurs, ou écarter hélas les monuments dont les propriétaires sont défaillants… afin de ne pas verser en vain des subsides qui seraient mal utilisés. Un comité de sélection s’est réuni avec des professionnels du patrimoine et les services du Ministère de la Culture, puis les projets ont été présentés au président de la République qui a tenu ensuite à réunir le 31 mai dernier TOUS les porteurs de projets et les élus des communes ou régions concernés. Mon autre priorité dans le choix des projets à défendre était de respecter la variété des patrimoines concernés – pas seulement les châteaux et les églises, mais aussi le patrimoine vernaculaire, le patrimoine du XXème siècle, archéologique, le patrimoine ouvrier et industriel, et les maisons d’illustres – dans toutes les régions administratives de France, y compris l’outre-Mer pour que tous se sentent concernés et que personne ne soit oublié.
Quels gains espérez-vous dégager au profit du patrimoine avec ce dispositif ?
Stéphane Bern : Si je m’en réfère à ce qui se fait en Grande-Bretagne et au dispositif mis en place par la Française des Jeux, ce serait un succès si la Fondation du Patrimoine, cheville ouvrière de ce dispositif pour récolter les sommes et les redistribuer, pouvait compter sur 15 à 20 millions d’euros. Il faut rappeler que c’est un jeu d’argent, donc l’essentiel des sommes est distribué aux gagnants, mais c’est plus ludique, moins douloureux qu’un « impôt patrimoine » et surtout un geste volontaire. J’en profite aussi pour rappeler que la Loterie Nationale a permis de construire des monuments emblématiques comme l’église sainte-Geneviève, désormais le Panthéon, l’Ecole Militaire de Paris ou même le Musée des Beaux Arts de Valenciennes en 1904…
Ce Loto du Patrimoine, c’est certes un goutte d’eau dans l’océan des besoins pour sauver le patrimoine mais c’est un élan citoyen qui ne doit pas se substituer aux efforts de l’État, mais qui montre la volonté des Français de préserver nos trésors.
Depuis le 3 septembre, un programme court de 90 secondes est diffusé quotidiennement, avec votre concours, pour mettre en lumière un des 269 édifices à sauver dans toutes les régions de Métropole et d’Outremer. En quoi consiste-t-il ?
Stéphane Bern : Comme je l’ai fait tout l’été à la radio sur RTL, mais aussi sur le site du Figaro, depuis la rentrée est en effet diffusé sur France 2, collé au JT de 20h, un programme court sur ces monuments emblématiques de la mission, financé par la Française des Jeux partenaire de l’opération. L’objectif est évidemment de sensibiliser les Français au fait que ce patrimoine nous appartient collectivement. Nous en sommes tous dépositaires. Pas seulement les particuliers propriétaires ou les collectivités territoriales, ou même l’Etat qui en est responsable, mais nous tous nous pouvons agir.
Au travers de l’audience de vos émissions à la télévision, qui sont autant de célébrations de la richesse culturelle de la France, vous mesurez parfaitement l’intérêt du public pour l’histoire et pour le patrimoine. Pensez vous les Français prêts à se mobiliser pour le sauvegarder ?
Stéphane Bern : Avec « Secrets d’Histoire » ou « Le village préféré des Français », j’ai pu mesurer depuis de nombreuses années l’appétence des Français pour leur patrimoine. Prenez le village gagnant 2018, Cassel, dans les Hauts de France, il a connu un doublement de son flux touristique avec toutes les conséquences économiques induites. Chaque émission de « Secrets d’Histoire » permet aux monuments visités de connaître une fréquentation en hausse de 30% dans les semaines qui suivent la diffusion. Et que dire des Journées Européennes du Patrimoine qui connaissent un intérêt grandissant ? Je crois que les Français sont profondément attachés à leur patrimoine qui témoigne d’une longue et grande Histoire. Reste à nous mobiliser pour agir et le sauver comme le font des associations comme Rempart, Acta Vista, Sites et Monuments, Sauvegarde de l’Art français, la Demeure Historique ou Vieilles Maisons Françaises, ainsi que la Fondation du Patrimoine ou maintenant des start-up comme Dartagnans. Aucun effort ne doit être négligé et tous doivent collaborer pour œuvrer dans la même direction, le bien commun.
Ces opérations ont pour but de répondre aux demandes les plus urgentes. Il y a un an, vous souhaitiez engager une réflexion sur ce qu’il faudrait faire pour sauver le patrimoine sur une plus large échelle alors que les dotations de l’État aux collectivités locales s’amenuisent et que les propriétaires privés n’ont plus les moyens d’entretenir les monuments dont ils sont les gardiens. Des solutions ont-elles été avancées ?
Stéphane Bern : Le constat n’a pas changé : les propriétaires n’ont plus les moyens d’entretenir ces lourdes maisons dont ils ont hérité – mais que l’Etat n’a pas vocation à supporter – et les collectivités locales sont dépassées par les sommes demandées pour sauvegarder le patrimoine dont elles ont la charge, d’autant que les dotations d’Etat ne cessent de baisser, que la pression est plus forte sur les dépenses sociales au détriment des lignes budgétaires d’entretien du patrimoine et que l’ingénierie administrative et financière s’alourdit. J’ai pu en un an établir des contacts avec de grands mécènes français et étrangers, mais aussi des entreprises, qui sont prêts à réinvestir dans le patrimoine d’autant que je n’ai pas ménagé mes efforts pour remettre ce sujet en vogue. J’espère que la contribution des mécènes privés et entreprises va permettre de doubler à terme la somme récoltée par le Loto Patrimoine.
Le patrimoine de la France est à la base de notre économie touristique. Des mesures fiscales pourraient-elles être proposées aux propriétaires, aux investisseurs, aux entreprises ?
Stéphane Bern : On parle toujours de niche fiscale lorsqu’il s’agit de défiscalisation des travaux liés aux monuments historiques. Mais franchement, comment défiscaliser des travaux quand vous n’avez pas le premier euro pour les réaliser ? On exonère d’impôt les œuvres d’art, pourquoi ne pas appliquer la même mesure à l’écrin qui les protège ? Je suis également favorable à l’exonération de l’IFI pour les monuments historiques en milieu rural ouverts au public, car c’est une charge trop lourde pour les propriétaires qui n’ont pas de revenus suffisants par ailleurs et finissent par être contraints de vendre ces maisons de famille qui perdent alors leur âme. Et que dire des droits de succession qui accélèrent la perdition des châteaux français dont plus de mille sont actuellement en vente ? Pour les entreprises, surtout les PME et les ETI, il faudrait faire sauter le plafond de 5/1000 du mécénat au patrimoine local. Cela permettrait aux entreprises locales de soutenir la vie culturelle et économique des villages.
N’est-il pas paradoxal et inquiétant, dans ce contexte, de voir la représentation nationale voter la loi ELAN dont les dispositions peuvent mener à la démolition de pans entiers du patrimoine dégradé, de la seule initiative des élus locaux, sans que quiconque puisse s’y opposer, et notamment les architectes des bâtiments de France (ABF) ?
Stéphane Bern :
Je n’ai pas caché ma franche hostilité à cette loi ELAN qui dispense les maires d’avis conformes des ABF, des maires qui auront les coudées franches pour détruire des pans entiers de notre patrimoine qu’ils jugeront dégradés et vétustes.
Quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage. Quand on voudra détruire un quartier, on prétendra qu’il est trop vétuste et dangereux pour la sécurité des habitants ! À ce tarif là, jamais le quartier parisien du Marais n’aurait été sauvé. Mais voilà, tout le monde n’est pas Malraux… ! La municipalité de Perpignan n’a pas attendu pour sacrifier le quartier Saint Jacques malgré l’opposition du collectif des riverains attaché à la préservation de l’âme de ce quartier qui a été déjà et va être complètement rasé. Ne pouvait-on pas rénover les habitations vétustes pour offrir de meilleures conditions de logement dans un environnement qui n’aurait pas perdu son âme ? Comment ne pas se décourager car j’ai le sentiment d’écoper un navire qui prend l’eau avec une petite cuillère.
Cette loi ne fait elle pas courir un risque important aux édifices actuellement en péril et qui ne bénéficieront pas de l’aide exceptionnelle du Loto ou des fonds de la « Mission Patrimoine » ?
Stéphane Bern : Tous les monuments que nous avons sélectionnés, et qui ont été proposés directement par les citoyens sur la plateforme numérique participative, seront sauvés à terme, à la fois grâce au Loto Patrimoine dont j’espère qu’il sera un succès, au lancement de crowdfunding sur les sites choisis par les dossiers sélectionnés (tels que ceux de la Fondation du Patrimoine, Dartagnans, KissKissBankBank etc), à l’action des DRAC et du budget supplémentaire alloué par le Ministère de la Culture aux monuments des petites communes rurales.
La volonté de sauvegarder notre patrimoine témoigne d’un attachement à l’histoire de (la) France, comme vous le rappelez bien souvent. Le vote de cette loi n’est-il pas révélateur d’un courant de pensée sous-jacent qui voudrait faire entrer la France dans une modernité plus européenne qu’hexagonale ?
Stéphane Bern : Je crois au contraire que la France avance sur ce terrain à contre-courant car j’étais à Berlin le 22 juin dernier pour recevoir un Prix Europa Nostra du Patrimoine Européen pour mon engagement – dont je rappelle qu’il est entièrement bénévole et que mes déplacements sont à ma charge, comme le travail de secrétariat… – et j’ai pu mesurer combien en Europe le patrimoine est à la fois un enjeu de civilisation autant qu’un gage de succès touristique et donc de croissance économique. Détruire le patrimoine ou ne pas tout mettre en œuvre pour le protéger, c’est se tirer une balle dans le pied.
Après la mise en place du loto du patrimoine et de cette opération de communication visant à mobiliser les citoyens et inciter aux dons, vous êtes-vous fixé de nouveaux objectifs ?
Stéphane Bern : Mon objectif, en acceptant la mission présidentielle, était de remettre le patrimoine au cœur des enjeux de notre société et de lancer le Loto Patrimoine. Je crois qu’une bonne trentaine, voire une cinquantaine, de monuments seront sauvés cette année et j’ai bon espoir que les 200 autres le seront rapidement. Je proposerai d’autres idées pour favoriser encore d’autres sources novatrices de financement du patrimoine – pourquoi pas une carte de membre bienfaiteur comme le National Trust anglais, des opérations de mécénat… ? – mais je n’ai pas vocation à poursuivre longtemps cette mission. D’une part je n’imaginais pas forcément les coups bas, les chausse-trappes, les attaques dont je pouvais être victime, alors que je donne de mon temps, de mon énergie, de mes moyens pour sauver le patrimoine ! J’ai un vrai métier, celui d’animateur radio et télé, de conteur d’histoire, de journaliste et d’écrivain… A l’Etat maintenant de faire sa part du travail, en espérant qu’il prendra pleinement conscience des enjeux. Je ne vais pas abandonner le combat du patrimoine pour autant, d’une part au Collège royal et militaire de Thiron-Gardais dans le Perche d’Eure-et-Loir, et d’autre part en continuant d’œuvrer utilement avec ma Fondation Stéphane Bern pour l’Histoire et le Patrimoine, abritée par l’Institut de France.