Le Hameau de la Reine avec Jean des Cars

Article publié dans HISTOIRE Magazine N°1

Entretien avec Jean des Cars. Propos recueillis par Sylvie Dutot.

La Maison de la Reine, au sein du Hameau, une des dépendances du Petit Trianon à Versailles, connaît  une véritable renaissance, qui a inspiré à Jean des Cars ce magnifique ouvrage abondamment illustré, «  Le Hameau de la Reine. Le monde rêvé de Marie-Antoinette » aux éditions Flammarion.
Jean des Cars, écrivain et historien, spécialiste des grandes dynasties européennes, retrace l’histoire du lieu, le Petit Trianon, devenu en 1774 le domaine privé de la Reine. Espace réservé à un cercle restreint de privilégiés, mais aussi refuge loin des contraintes de l’étiquette, le Hameau de la Reine va susciter toutes les critiques et les rumeurs malveillantes de la part de ses ennemis. Entretien avec Jean de Cars…

Si Marie-Antoinette a su laisser son empreinte à toutes les résidences où elle a séjourné, le Petit Trianon (et ses dépendances) est le plus imprégné de sa présence …
Jean des Cars : Sans doute parce qu’elle avait demandé au Roi de lui donner le Petit Trianon, ce qu’il a fait. Elle a eu la possibilité d’aménager le château et de transformer ses jardins exactement comme elle le souhaitait. Elle a commencé par la création du jardin anglo-chinois, complètement à l’opposé des jardins géométriques de Le Nôtre puis elle a créé le Hameau comme un prolongement du jardin qui correspondait à son évolution psychologique après la période des fêtes et des folles dépenses : devenue mère de famille, la Reine voulait un lieu où ses enfants puissent apprendre la réalité du monde rural.

Pourquoi la reine Marie-Antoinette a-t-elle autant aimé Trianon, son parc et son Hameau ?

Jean des Cars : Elle les a aimés parce qu’ils ont été son refuge tout près du grand château et si loin de l’étiquette pesante qui y régnait. Dans ce domaine imaginé par elle et pour elle, Marie-Antoinette pouvait vivre librement, seulement entourée de sa “société” qu’elle avait elle-même choisie.

La maison de la Reine restaurée et la tour de Malborough. Il est possible de visiter la maison de la Reine lors de visites guidées depuis le 12 mai. Photo Château de Versailles. Thomas Garnier.

Et pourtant elle y passera très peu de temps … 
Jean des Cars : Certes, on a pu calculer que, de 1779, date de son premier séjour, à l’été 1789, elle a passé 116 nuits à Trianon. Dès qu’elle y passait plusieurs nuits, elle appelait ça un “voyage”. Mais il lui arrivait aussi de n’y faire qu’une “promenade” dans la journée étant donnée la proximité, ce qui augmente sa présence réelle sur les lieux.

Jean des Cars, vous relatez l’histoire du lieu. Si le nom de Trianon est aujourd’hui associé à Marie-Antoinette, son histoire a commencé sous le règne de Louis XIV …
Jean des Cars : En effet, c’est Louis XIV qui a annexé le village de Trianon au grand parc du château pour augmenter son territoire de chasse. En 1668, le Roi décide de créer un petit château doté d’un merveilleux jardin, le Trianon de Porcelaine. Destiné aux fêtes et aux plaisirs, il était, en réalité, voué à abriter les amours du Roi et de sa favorite d’alors, Mme de Montespan. Après la disgrâce de cette dernière, il rase le Trianon de Porcelaine pour construire un nouveau château plus vaste mais tout aussi raffiné, le Grand Trianon, destiné, cette-fois ci, à Mme de Maintenon, sa nouvelle favorite puis son épouse secrète. Louis XV, après avoir peu profité du Grand Trianon, décide d’y venir plus souvent en compagnie de Mme de Pompadour lorsqu’il crée son jardin botanique dans le prolongement des jardins du Grand Trianon. Pour mieux surveiller ses jardins, le Roi demande, dans un premier temps, en 1749, à l’architecte Gabriel de lui aménager un petit pavillon au cœur de ces jardins où il pourrait se reposer. C’est le Pavillon français qui est toujours aujourd’hui au cœur du jardin à la française du Petit Trianon. C’est Mme de Pompadour qui a l’idée de faire construire, toujours par Gabriel, un petit château face au Pavillon Français où le Roi pourrait vivre et s’occuper de son jardin sans se fatiguer en déplacements inutiles. Mme de Pompadour mourra avant l’achèvement du Petit Trianon et c’est Mme du Barry, la dernière favorite du Bien-Aimé, qui en sera la maîtresse de maison. C’est d’ailleurs au Petit Trianon que le Roi ressentira les premiers symptômes de la petite vérole (variole) qui l’emportera le 10 mai 1774.

« il est paradoxal que la Reine, tout de suite après l’avènement de Louis XVI, lui ait demandé le Petit Trianon, château de Mme du Barry qu’elle détestait. »

Trianon de porcelaine puis Trianon de marbre sont destinés aux favorites …
Jean des Cars : Absolument : celui de porcelaine à Mme de Montespan, le Trianon de marbre à Mme de Maintenon et le Petit Trianon à Mme du Barry. Les trois châteaux étaient destinés aux favorites et il est paradoxal que la Reine, tout de suite après l’avènement de Louis XVI, lui ait demandé le Petit Trianon, château de Mme du Barry qu’elle détestait particulièrement. Louis XVI n’a pas eu de favorite. Il a toujours adoré sa femme et celle-ci sera donc en première ligne pour affronter les critiques et les médisances, autrefois assumées par les favorites.

La maison de la Reine après restauration. Domaine du château de Versailles et
de Trianon. Photo © château de Versailles, Thomas Garnier.

Louis XV a confié la réalisation de ses serres et de son jardin botanique à Claude Richard et ce dernier va constituer le plus vaste jardin botanique d’Europe …
Jean des Cars : En effet, Louis XV s’est beaucoup intéressé aux plantes peu connues et nouvelles ainsi qu’aux cultures d’arbres fruitiers. Claude Richard, le plus habile jardinier d’Europe, spécialiste des cultures en serres chaudes et froides, va donner vie au plus grand jardin botanique d’Europe à l’époque. Il cultive des ananas, des géraniums, des aloès, des figuiers d’Inde et il travaille en compagnie de Bernard de Jussieu, botaniste du Jardin du Roi, actuel jardin des Plantes. Les espèces nouvelles et exotiques étaient rapportées par la Marine Royale mais aussi par le fils d ‘Antoine Richard, Claude Richard qui fit d’innombrables voyages à travers la France mais aussi à travers toute l’Europe, le Saint-Empire, la Suisse, l’Espagne et le Portugal, ne sachant pas alors que les plantes qu’il rapportait lui seraient fort utiles plus tard pour réaliser les jardins de la Reine.

Le salon de la Maison de la Reine. Photo © château de Versailles, Didier Saulnier.

Et cette passion que Louis XV voue à ses serres et son jardin est à l’origine de la réalisation d’un pavillon qui va devenir le Petit Trianon …
Jean des Cars : Le Pavillon français, lieu de repos, est construit en 1750 par l’architecte Gabriel ; le Petit Trianon, nouvelle résidence royale, est achevé en 1770.

Après le décès de Louis XV le 10 mai 1774, une nouvelle ère commence pour Trianon, il va devenir le domaine de la Reine…
Jean des Cars : Marie-Antoinette désirait, depuis quelque temps, une maison à la campagne où elle pourrait échapper à l’étiquette rigide de Versailles. L’accession du trône de son époux lui permet de demander le Petit Trianon qu’il est très heureux de lui offrir. Le couple, marié depuis 1770, a quelques difficultés à concevoir un enfant mais le Roi, s’il a du mal à exercer son devoir conjugal, est amoureux de sa jeune épouse et ne peut rien lui refuser.

Marie-Antoinette constitue son équipe pour mener à bien son projet …
Jean des Cars : Marie-Antoinette veut se débarrasser de toutes les serres de Louis XV pour créer un jardin “à la mode”. Les plantes de Louis XV seront transférées au jardin du Roi. Il lui faut, bien sûr, un architecte pour concrétiser ses projets. Gabriel, âgé de 76 ans, ne s’entend pas très bien avec la Reine et démissionne. La Reine choisit, pour le remplacer, l’architecte lorrain Richard Mique qui devient architecte de la Reine, un titre qui n’existait pas et son jardinier sera Antoine Richard, le fils de Claude Richard, jardinier de Louis XV. Les plans du jardin élaborés par Mique ne plairont pas à la Reine. C’est le marquis de Caraman, possesseur lui-même d’un magnifique jardin, qui dessinera le jardin anglo-chinois de Marie-Antoinette mais il ne s’imposera pas. Il laissera Mique et Richard le réaliser. Le peintre, graveur et paysagiste Hubert Robert, sans que son nom apparaisse sur les documents, viendra compléter l’équipe pour les dessins, les fabriques, la grotte, le rocher et plus tard les petites maisons du Hameau. La Reine sera fidèle à son équipe pendant toute la durée des travaux du Petit Trianon.

Les goûts ont changé, le paysage va être entièrement remodelé, réinventé …
Jean des Cars : En effet, les jardins symétriques et géométriques de Le Nôtre lassent un public épris de jardins libres et sans contraintes mis à la mode par les Anglais et correspondant tout à fait au goût de la nature mis à la mode, notamment par les écrits de Jean-Jacques Rousseau. Le jardin de Marie-Antoinette va nécessiter des travaux gigantesques : le creusement d’un petit lac, l’érection d’une montagne suisse accompagnée d’un rocher et d’une grotte. Une cascade servira à alimenter le petit lac d’où s’écoulera une rivière au milieu de laquelle une petite île accueillera un Temple de l’Amour. Au-dessus du petit lac, un Belvédère octogonal offrira une vue sur l’ensemble des jardins. Mais pour justifier le nom anglo-chinois du jardin de la Reine, le manège, appelé jeu de bagues chinois, prendra place sur une pelouse jouxtant le Petit Trianon.

Si la Reine se rend presque quotidiennement à Trianon, pour suivre l’avancement des travaux, elle n’y reste jamais la nuit. Et son premier véritable séjour à Trianon se situe au printemps 1779 et donne lieu à commérages …
Jean des Cars : En effet, la Reine, se remettant d’une rougeole mais encore contagieuse, vient passer sa convalescence à Trianon en compagnie de sa belle-sœur, Madame Elisabeth mais aussi de quatre courtisans chargés de les distraire ; cet entourage, presque exclusivement masculin, va beaucoup choquer et faire jaser. Ce ne sera pas la dernière fois !

La Reine fait édifier un théâtre dans son domaine et donne de nombreuses représentations à un cercle restreint d’invités, ce qui là aussi va susciter de nombreux commentaires …
Jean des Cars : La Reine adore jouer la comédie en compagnie de sa “Troupe des Seigneurs”. On va lui reprocher, en premier lieu, de se produire sur une scène de théâtre, en second lieu de le faire devant un très petit nombre de spectateurs dont le Roi fait toujours partie mais qui comprend, parfois aussi, des domestiques. Toute une partie de la Cour qui n’a pas son “jeton d’entrée” à Trianon va critiquer le comportement jugé capricieux de la Reine.

La Maison de la Reine après restauration.© Château de Versailles – Thomas Garnier

On y donne des fêtes grandioses pour des invités de marque …
Jean des Cars : C’est le très bon côté de Trianon : chaque fois qu’un hôte de marque se présente, la Reine donnera des fêtes magnifiques comprenant théâtre, souper puis promenade en musique dans les jardins illuminés. Elle recevra ainsi son frère l’empereur Joseph II, le futur tsar Paul 1er de Russie et le roi Gustave III de Suède. Ces fêtes éblouiront l’Europe et là encore, leur coût suscitera des commentaires désapprobateurs.

Marie-Antoinette va avoir l’idée de son hameau. Nous sommes en 1783. Quelles sont les motivations réelles de la Reine ?
Jean des Cars : L’idée d’installer un “faux village” dans un parc n’est pas une invention de Marie-Antoinette. Cela existait dans de nombreux châteaux qu’elle avait visités. Mais elle a voulu son Hameau parce qu’elle avait déjà deux enfants et qu’elle souhaitait en faire pour eux un lieu pédagogique : ils s’initieraient à la vie des paysans et à leur labeur ainsi qu’au contact des animaux.

La Reine prend possession du Hameau en 1785. Vous reprenez l’expression « château éclaté » de Jérémie Benoît, Conservateur général du Patrimoine des châteaux de Trianon au sein du domaine national de Versailles, pour cet ensemble de constructions …
Jean des Cars : Les maisons du Hameau sont toutes d’apparence extérieure rustique : murs lézardés, toits de chaume mais lorsqu’on ouvre la porte de celles destinées à la Reine et à ses amis, on découvre alors un décor intérieur somptueux. C’est le cas, par exemple, de la laiterie de propreté entièrement décorée de marbre blanc et de l’éblouissante Maison de la Reine. L’extérieur est une masure, l’intérieur un palais. Chaque maison a sa spécificité mais l’ensemble équivaut à un “château éclaté”.

« L’extérieur est une masure, l’intérieur un palais. Chaque maison a sa spécificité mais l’ensemble équivaut un “château éclaté”…»

Marie-Antoinette fait également construire une véritable ferme à l’écart du Hameau, dont les comptes sont tenus avec rigueur, ce qui contredit la mauvaise réputation de la Reine en matière de finance …
Jean des Cars : En effet, la Reine est très attentive au confort des gens qui travaillent au Hameau. Leurs maisons sont très bien aménagées à l’intérieur. Marie-Antoinette, jugée dépensière, veille à la rigueur de la tenue des comptes. Pour son petit domaine, elle veut se révéler bonne gestionnaire. Pour son train de vie, c’est une autre affaire.

En août 1785 éclate « l’affaire du collier », un scandale d’État qui va être très mal géré par le couple royal et rajoute au discrédit de la Reine …
Jean des Cars : Le désastre de « l’affaire du collier » commence, pour la Reine, exactement au moment où elle prend possession du Hameau enfin terminé. Si la Reine est totalement innocente dans cette sombre machination, le traitement infligé publiquement au cardinal de Rohan, qui lui, n’est coupable que de naïveté et qui sera, finalement, innocenté par le Parlement, vont faire de la Reine la coupable idéale.

Le Hameau de la Reine
Le monde rêvé de Marie-Antoinette
de Jean des Cars.
éditions FLAMMARION
4 avril 2018
224 pages 23.90 € papier

Les séjours de la Reine à Trianon et au Hameau vont être troublés par des drames successifs …
Jean des Cars : En juillet 1786, après une grossesse paisible mais non désirée, la Reine accouche d’une petite Sophie qui mourra un an plus tard, en juin 1787. On ne saura même pas la cause du décès de cet enfant mais elle était chétive dès sa naissance. Par ailleurs, depuis plusieurs années, la santé du Dauphin est préoccupante : il est atteint (mais la Reine n’en sait rien) d’une tuberculose osseuse. Ses souffrances sont immenses. Sa lente agonie va être un cauchemar pour la Reine. Il meurt le 4 juin 1789, un mois après l’ouverture des États Généraux et quatre mois avant les journées d’octobre.

Est-il vraisemblable de penser que Marie-Antoinette passe ses dernières heures à Trianon et au Hameau avant son départ définitif de Versailles où elle ne reviendra jamais ?
Jean des Cars : Oui, la Reine était effectivement à Trianon, dans sa grotte, lorsqu’on est venu l’informer de l’arrivée de la marche du peuple de Paris sur Versailles, l’après-midi du 5 octobre 1789.

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