Article publié dans Histoire Magazine N°2
En dix ans, le Premier Empire a «panthéonisé» plus de «Grands Hommes» que ne l’ont fait en deux siècles l’ensemble des régimes politiques qui lui ont succédé : quarante-deux des quatre-vingt-deux hôtes que compte aujourd’hui le Panthéon furent en effet désignés par Napoléon Ier. Parmi eux figurent quelques étrangers jugés dignes de reposer à jamais dans le temple de la renommée. Hé oui, la célèbre formule du marquis de Pastoret «Aux Grands Hommes la Patrie reconnaissante » ne s’adresse pas exclusivement aux Français de souche, mais concerne également quelques amis de la France triés sur le volet par l’Empereur en personne. Sur ces six glorieux étrangers, champions du sabre ou du goupillon, quatre étaient italiens.
Au maniement du sabre, Jean-Guillaume de Winter (1761-1812) et Jean-Louis Ebenezer, comte de Reynier (1771- 1814). Le premier est un officier batave qui, ayant échoué à mener à bien la révolution dans son pays contre Guillaume d’Orange, s’exile en France où il devient général de l’armée révolutionnaire. Ministre plénipotentiaire de l’éphémère République batave, il est nommé maréchal par Louis Bonaparte, roi de Hollande. Après quoi, la Hollande ayant été rattachée à l’Empire, Napoléon le fait commandant des forces navales du Texel, grand officier de la Légion d’honneur et comte d’Empire. Lorsque la maladie emporte prématurément ce valeureux quinquagénaire, l’Empereur reconnaissant honore ce grand mort d’une glorieuse sépulture au Panthéon. Précisons toutefois que de Winter n’y repose pas «dans son intégralité» puisque son cœur, scellé dans une urne, est conservé dans une petite église de sa ville natale de Kampen, sans doute l’unique petit coin de Hollande où ce héros franco-batave n’est pas considéré comme traître à sa patrie.
Ressortissant suisse, le comte de Reynier est de la même trempe qu’un de Winter. Compagnon d’armes du grand Desaix, héros de la prise de Malte, des campagnes d’Egypte, de Prusse et d’Espagne… un géant de l’épopée impériale, dont le nom est gravé sur l’Arc de triomphe, c’est tout dire !
Au Panthéon des étrangers, le goupillon l’emporte en nombre sur le sabre, puisque le noble édifice accueille sous l’Empire un trio de cardinaux italiens. Entre les négociations du Concordat de 1801, le déplacement forcé du pape Pie VII à Paris pour le sacre de 1804, l’annexion par Napoléon en 1808 des possessions pontificales, la rupture par Rome des relations diplomatiques suivie de l’excommunication de Napoléon et de l’enlèvement du pape, retenu captif pendant 6 ans, les relations de l’Empereur avec Rome furent pour le moins houleuses ! Que Napoléon ait souhaité récompenser les obligeants prélats qui s’entremirent pour mettre un peu l’huile dans les rouages entre Rome et Paris, il n’y a rien là de bien surprenant.
Qui sont-ils ? Giovanni Battista Caprara (1733-1810). En tant que légat du pape auprès du gouvernement français, c’est lui qui conclut avec Bonaparte le Concordat de 1801 rétablissant en France le culte catholique ; lui également, qui sacre Napoléon empereur d’Italie le 26 mai 1805. Pour la peine, il est gratifié d’un siège de sénateur et d’un cercueil au Panthéon. Même privilège pour Antonio Vincenti-Mareri (1738-1811) distingué pour avoir fermé les yeux sur le divorce de Napoléon et béni sa nouvelle union avec Marie-Louise. Quant au dernier des trois, le cardinal italo-écossais Charles Erskine de Kellie (1739-1801), Napoléon lui est sans doute reconnaissant d’avoir partagé la captivité de Pie VII à Rome et à Fontainebleau. L’infortuné cardinal meurt le jour même de la naissance du roi de Rome, le 20 mars 1811. Tout à la joie d’être père, l’Empereur ne lui en tient pas rigueur puisqu’il lui fait les honneurs du Panthéon. Notre quatrième Italien, le marquis Girolamo (Jérôme) Durazzo (1739-1809) n’est ni soldat, ni cardinal. Membre d’une illustre famille génoise, il participe aux négociations menées par Bonaparte au cours de la campagne d’Italie et lorsque la République de Gênes se transforme en République Ligurienne, il en devient le doge et en rédige la constitution. Méritait-il pour autant un siège de sénateur, un titre de comte et un carditaphe au Panthéon ? Sans doute, si l’on sait qu’en y accueillant son cœur, Napoléon faisait d’une pierre deux coups en honorant à travers lui son père Marcello Durazzo. Or, qui était ce Marcello Durazzo ? Le tout puissant doge de la République de Gènes qui fut l’artisan de la cession de la Corse à la France. C’est donc grâce à lui que Bonaparte, in extremis, ne naquit pas génois mais français !