<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Grouchy  est-il responsable  de la  défaite ?

18 septembre 2018 | Livres, N°2 Histoire Magazine, Napoléon

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Grouchy est-il responsable de la défaite ?

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Article publié dans Histoire Magazine N°2

Le 15 juin 1815, Napoléon joue ses dernières cartes. Avec une armée de 122 000 hommes, il traverse la Sambre et entre en Belgique. Son objectif : diviser les Prussiens et les Anglais en s’emparant de la chaussée de Charleroi qui conduit à Bruxelles. Les Anglais se concentrent aux Quatre-Bras alors que les Prussiens battent en retraite sur Ligny et Saint-Amand. Napoléon veut détruire l’armée prussienne afin de se retourner contre les Anglais de Wellington. Mais le maréchal Ney, qui commande l’aile gauche de l’Armée du Nord, n’est pas en mesure de s’emparer des Quatre-Bras afin de déboucher sur les arrières de Blücher à Marbais. Malgré tout, après de durs combats, Napoléon enfonce les Prussiens à Ligny le 16 juin 1815. S’ils sont battus, s’ils ont perdu 16 000 hommes dans l’engagement, ils ne sont pas détruits. Loin de là. Alors que la nuit tombe en ce soir du 16 juin, Gneisenau et les différents chefs de corps se réunissent au moulin de Brye pour décider de la suite des opérations. Ils attendent les ordres de Blücher, mais, ce dernier ayant été transporté à quelques lieues du champ de bataille, nul ne sait ce qu’il est devenu. En l’absence du maréchal, c’est à Gneisenau que revient le commandement. C’est à ce moment qu’il prend la décision la plus importante de cette campagne. Au lieu de se diriger vers Namur pour couvrir sa ligne de communication, il décide de battre en retraite sur Wavre afin de maintenir le contact avec Wellington. Dès l’instant où les Prussiens décident de collaborer véritablement avec les Anglais, Napoléon, sans le savoir encore, vient de perdre l’avantage. Ses pires craintes viennent de se réaliser. Il lui faut détruire Wellington avant que Blücher n’arrive pour lui porter assistance. Désormais, le temps joue contre lui.

Grouchy à la poursuite des Prussiens

A u lendemain de la bataille de Ligny, Napoléon attend toujours d’avoir des renseignements précis sur la position des armées ennemies. Ce n’est qu’entre 9 h 30 et 10 h qu’il reçoit des nouvelles du maréchal Ney. Celui-ci l’informe que les troupes de Wellington occupent toujours le bois de Bossu, Gémioncourt, Piraumont et les Quatre-Bras. Mais encore une fois, on constate de nouvelles défaillances au sein de l’armée, car envoyée à 6 h 30, la lettre de Ney n’arrive au quartier impérial que trois heures plus tard. S’il est bien difficile d’expliquer ce retard, on peut présumer que les problèmes d’État-major du maréchal ne sont pas étrangers à ce retard. Vers 11h, l’éclaireur envoyé plus tôt aux Quatre-Bras revient et confirme que les Anglais y sont toujours. De plus, une dépêche en provenance du général Pajol confirme ou une dépêche arrive de la part du général Pajol confirmant que les Prussiens cherchent à gagner la route de Namur. Enfin, Napoléon sort de son apathie et détache le maréchal Lobau avec deux divisions et sa cavalerie sur Marbais et les Quatre-Bras. Lui-même suit le mouvement avec toute sa Garde et le corps de cuirassiers de Milhaud. La division du défunt général Girard, ayant beaucoup souffert pendant la bataille, est laissée à Fleurus pour secourir les blessés. Du même coup, après avoir ordonné verbalement à Grouchy de poursuivre les Prussiens et de l’instruire de leurs mouvements, il lui précise ses ordres par écrit:

« Rendez-vous à Gembloux avec le corps de cavalerie du général Pajol, la cavalerie légère du 4e corps, le corps de cavalerie du général Exelmans, la division du général Teste, dont vous aurez un soin particulier, étant détachée de son corps d’armée, et les 3e et 4e corps d’infanterie. Vous vous ferez éclairer sur la direction de Namur et de Maëstricht, et vous poursuivrez l’ennemi. Éclairez sa marche et instruisez-moi de ses mouvements de manière que je puisse pénétrer ce qu’il veut faire. Je porte mon quartier général aux Quatre chemins (Quatre-Bras), où ce matin étaient encore les Anglais. Il est important de pénétrer ce que l’ennemi veut faire. Ou il se sépare des Anglais, ou ils veulent se réunir encore pour couvrir Bruxelles et Liège en tentant le sort d’une nouvelle bataille. »

Mais l’armée prussienne s’étant réorganisée, la mission de Grouchy est déjà sans objet. Afin de les renvoyer au combat, il suffit à Blücher de les approvisionner en munitions, ce qu’il ne manquera pas de faire au cours de l’avant-midi du 18 juin. Dans les circonstances, la mission confiée à Grouchy ayant pour objet la reconnaissance, on se demande bien pourquoi il y a consacré plus de 30 000 soldats. Cela est d’autant plus singulier que, si Blücher
se décide à attaquer Grouchy avec ses 90 000 soldats et ses 238 canons, ce dernier risque de se retrouver dans une situation pour le moins inconfortable. Après avoir été informé de l’étendue de ce déploiement par Grouchy, Soult critique sévèrement la décision de Napoléon. Pour lui, c’est une faute d’avoir envoyé un corps d’armée à la poursuite des Prussiens. En effet, avec des forces aussi faibles pour affronter l’armée prussienne et, parallèlement, beaucoup trop fortes pour effectuer une simple mission de reconnaissance, on se demande quelle était la mission de Grouchy exactement. Faut-il qu’il engage les Prussiens ou qu’il se contente de les suivre? Sans plus de précision, c’est justement cette ambiguïté qui sera la principale cause de son échec. Devant l’importance de la mission et des forces qui lui sont confiées, de nombreux auteurs, tels Houssaye et Margerit, ont dit et répété que Grouchy ne voulait pas de ce commandement, qu’il ne se sentait pas à la hauteur de ses responsabilités. Cela est peut-être vrai, mais sans documents véritables pour le prouver, il nous est difficile d’être en accord avec eux. En fait, si on se reporte à ses mémoires, les craintes du maréchal se justifient en raison du retard pris par Napoléon en matinée; car lorsqu’il lui donne ses ordres de marche, les Prussiens ont déjà douze heures d’avance. Par conséquent, n’ayant que peu d’espoir de les rattraper, comment Grouchy pourra-t-il accomplir sa mission? De plus, est-ce que l’armée prussienne marche sur plusieurs routes ou sur une seule? Ce sont là les questions que se pose le maréchal et afin de calmer ses appréhensions au moment où il lui transmet ses ordres de vive voix, Napoléon lui aurait répondu : « Toutes les probabilités me portent à croire que c’est sur la Meuse que Blücher effectue sa retraite. Ainsi, dirigez vous de ce côté. »

Évidemment, la retraite de l’armée prussienne n’est pas passée inaperçue dans le camp français. Pajol, toujours en avant-garde, en est informé le 17 juin dès 2 h du matin. Mais la direction qu’il fait prendre à ses hussards s’avère erronée. Au lieu de poursuivre les corps prussiens, il se lance derrière les quelques milliers de fuyards qui tentent de rejoindre Namur. Se livrant au pillage, ils répandent le bruit dans toute la région que l’armée prussienne a été défaite à Ligny. De son côté, Pajol et ses hussards ramassent des centaines de prisonniers parmi les voitures et les caissons abandonnés sur la route. Toutes ces données le confortent dans l’idée que les corps prussiens fuient par la route de Namur pour couvrir leur ligne de retraite, mais dans les faits, Pajol ne poursuit qu’une dizaine de milliers de fuyards. Ce n’est que vers 6 h du matin, après avoir sabré un escadron de uhlans qui se trouvait dans le secteur, qu’il s’aperçoit qu’il n’a devant lui que des traînards affaiblis. Arrivé au village de Mazy, qui se situe à l’ouest de Sombreffe, il décide de s’arrêter pour faire le point sur la situation. Sans renseignements fiables, ils envoient des éclaireurs dans toutes les directions pour dénicher l’ennemi. Rejoint par la division Teste que l’Empereur vient de lui faire envoyer, Pajol écrit à Grouchy qu’il a perdu la trace des Prussiens. Pendant ce temps, alors que Berton marche avec sa brigade de dragons pour rejoindre l’avant-garde de Pajol, les paysans l’informent de la route véritable prise par les Prussiens. Il en avertit aussitôt Exelmans, mais laisse Pajol dans l’ignorance. De fait, celui-ci restera à Mazy toute la journée, car ce n’est que vers 22 h qu’il recevra des ordres  afin de rejoindre le village de Grand-Lez. Exelmans ordonne aussitôt à Berton de marcher sur Gembloux où il arrive à 9 h. De là, ce dernier aperçoit les bivouacs de Bülow, dont il estime le corps à 20 000 hommes. Mis au fait de ce renseignement, puisqu’il a rejoint Berton entre temps, Exelmans n’informe pas Grouchy et transmet plutôt l’information au général Vandamme qui, de son côté, la lui retransmet. Évidemment, on pourrait blâmer Exelmans de ne pas avoir fait part de ce renseignement capital à Grouchy, mais celui-ci n’est pas encore informé qu’il est désormais sous les ordres du maréchal. À première vue, nous pourrions croire que le général Exelmans a fait preuve de négligence en n’ayant pas informé Grouchy et l’Empereur. Mais si Vandamme fut le premier averti, c’est tout simplement parce que son corps d’armée marchait à quelques kilomètres derrière Exelmans. Cependant, il semble que l’information soit arrivée très tard dans les mains de Grouchy, car ce n’est que vers 19 h qu’il répond à Exelmans, mais quoi qu’il en soit, le grand responsable de tout cet imbroglio sur le terrain est Napoléon. En ne transmettant pas ses ordres à Grouchy dès le matin du 17 juin, il ne l’avait pas mis en mesure de prendre contact avec les unités d’avant-garde qui poursuivent les Prussiens depuis 2 h du matin. En fait, ce n’est que vers 11 h 30 que le maréchal quitte Napoléon. Sans plus attendre, Grouchy ordonne aux généraux Vandamme et Gérard de se mettre en route vers Gembloux.

Grouchy n’a pas bénéficié des conditions idéales pour effectuer sa mission. En fait, il n’a pas été en mesure d’entrer rapidement en contact avec Pajol et Exelmans. Ainsi, ce n’est que vers 22 h qu’il informe Napoléon, dont l’armée campe maintenant devant le plateau du Mont Saint-Jean, des routes probablement empruntées par les Prussiens et de la possibilité réelle de les voir se rallier à Wellington. Néanmoins, en dépit des renseignements qu’il a reçus et de ce qu’il a écrit à l’Empereur, les ordres qu’il donne pour le lendemain laissent supposer qu’il ne croit pas que les Prussiens fassent route vers Wavre, mais vers Liège ou Maëstricht. À cette heure, Grouchy semble avoir perdu tout sens critique, car, de toute évidence, il a toujours en tête les premières indications de Napoléon précisant que les Prussiens se sont dirigés vers la Meuse et cherchent effectivement à rejoindre Maëstricht. En conséquence, Grouchy ordonne à Vandamme et à Exelmans de se porter à Sart-lez-Walhain, qui se situe à 23 kilomètres à l’ouest du Mont Saint-Jean. Dans le même temps, Pajol reçoit l’ordre de se diriger au sud de Sart-lez Walhain afin de prendre position à Grand-Leez. Enfin, Gérard reçoit les mêmes ordres lui demandant de rejoindre cette dernière localité. Mais les lenteurs de Napoléon et sa mauvaise appréciation de la situation sur le terrain n’ont pas que des conséquences sur les opérations menées par Grouchy. Elles ont également un impact sur ses propres mouvements, ce qui lui fera manquer les Anglais aux Quatre-Bras.

Grouchy pouvait-il rejoindre Napoléon à Waterloo?

À Waterloo, alors qu’il inspecte le champ de bataille une dernière fois, Napoléon aperçoit un nuage de poussière dans la direction de Saint-Lambert, sur sa droite. Alors qu’il s’apprête à faire envoyer la division du général Domon pour couvrir sa droite, quelques hussards reviennent avec un prisonnier. C’est un officier prussien. Les pires craintes de Napoléon sont en train de se matérialiser. Il est informé que le 4e corps de Bulow, soit 30 000 hommes environ, arrive sur sa droite. Pour contrer les Prussiens, il dépêche le corps de Lobau vers le village de Plancenoit. L’attaque sur le centre est privée de 10 000 hommes. Conscient de la précarité de la situation, il se tourne vers Soult et lui dit :

« Nous avions ce matin quatre-vingt-dix chances pour nous, l’arrivée de Bülow nous en fait perdre trente, mais nous avons encore soixante contre quarante; et, si Grouchy répare l’horrible faute qu’il a commise hier de s’amuser à Gembloux, et envoie son détachement avec rapidité, la victoire sera plus décisive, car le corps de Bülow sera entièrement perdu. »

Dans ce témoignage, issu de ses Mémoires de Sainte-Hélène, Napoléon exprime avec honnêteté ses inquiétudes du moment. Mais dans la deuxième partie, il accable Grouchy de s’être trop « amusé » à Gembloux, ce qui est faux. Sous une pluie battante et sur de mauvais chemins, les troupes de Grouchy ont marché toute la journée. Il faut rappeler que c’est Napoléon qui a trop tardé dans la matinée du 17 juin pour prendre une décision. C’est lui qui a divisé son armée et cela en dépit du manque d’informations dont il disposait pour entreprendre la poursuite des Prussiens. Quoi qu’il en soit, afin de soutenir le corps de Lobau, il demande à Soult d’envoyer un message à Grouchy afin de le faire revenir. Il est environ 12 h 30.

« Monsieur le maréchal, vous avez écrit à l’Empereur ce matin à 6 heures, que vous marcheriez sur Sart-à-Walhain (Walhain). Donc votre projet était de vous porter à Corbais et à Wavre. Ce mouvement est conforme aux dispositions de Sa Majesté, qui vous ont été communiquées. Cependant l’Empereur m’ordonne de vous dire que vous devez toujours manœuvrer dans notre direction et chercher à vous rapprocher de l’armée, afin que vous puissiez nous joindre avant qu’aucun corps ne puisse se mettre entre nous. Je ne vous indique pas de direction; c’est à vous à voir le point où nous sommes, pour vous régler en conséquence et pour lier nos communications ainsi que pour être toujours en mesure de tomber sur quelques troupes ennemies qui chercheraient à inquiéter notre droite et les écraser. En ce moment, la bataille est gagnée sur la ligne de Waterloo en avant de la forêt de Soignes; le centre de l’ennemi est à Mont Saint-Jean. Ainsi manœuvrer pour rejoindre notre droite. P.-S. : Une lettre qui vient d’être interceptée porte que le général Bülow doit attaquer notre flanc droit. Nous croyons apercevoir ce corps sur les hauteurs de Saint-Lambert. Ainsi, ne perdez pas un instant pour vous rapprocher de nous et nous joindre et pour écraser Bülow que vous prendrez en flagrant délit. »

Dans cette première missive, que Grouchy reçoit vers 13 h, Napoléon ne lui demande aucunement de le rejoindre à Waterloo. Il doit continuer de poursuivre les Prussiens jusqu’à Wavre. Quant au deuxième ordre, qui n’est pas des plus limpides, Grouchy ne le recevra que vers 18 h 30. À cette heure, le corps de Vandamme est engagé dans un combat avec celui du général Thielmann qui se tient devant Wavre. Il est manifestement trop tard. En outre, lorsqu’il reçoit le deuxième ordre de Napoléon, Grouchy n’a aucune raison de s’inquiéter puisqu’on lui annonce que la bataille est gagnée sur la ligne de Waterloo. Henri Houssaye a contesté ce document en disant que le mot n’était pas gagné, mais engagé. À la lumière du document que nous avons sous les yeux, Soult écrit bien : gagné. Évidemment, ce document n’est pas l’original, mais le commis qui en a fait la copie pour le compte du dépôt de la guerre en juin 1865, le commandant DuCasse, a pris la précaution de bien souligner le mot : gagné. Il est par conséquent impossible que tous les gens qui ont eu le document entre leur main aient pu se tromper en le lisant. D’ailleurs, contrairement à eux et à nous, il semble que Houssaye n’ait pas consulté l’original ni même la copie des archives puisqu’il signale en avoir pris connaissance dans les Mémoires de Grouchy qui le cite en écrivant :gagné. Alors, pourquoi remet-il sa parole en doute? En fait, ayant probablement utilisé l’ouvrage de Clausewitz qui reprend le mot engagé, nous soupçonnons le célèbre historien d’avoir voulu accabler Grouchy davantage dans le but de disculper Napoléon des erreurs qu’il a pu commettre; car, faut-il le rappeler, c’est tout de même lui qui a dicté les ordres à Soult. A la fin du 19e siècle, époque à laquelle Henri Houssaye a publié ses livres, se développe un sentiment de revanche contre la Prusse et de fait, le personnage de Napoléon, après avoir connu une période de disgrâce suite à la défaite de 1870, refait un retour triomphant sous la Troisième république. Étant redevenu une figure nationale au même titre que Jeanne d’Arc, il n’est pas de bon ton de le critiquer. Nous sommes alors dans l’exaltation du personnage d’où les nombreuses publications qui, à cette époque, arrivent en librairie.

Mais Grouchy devait-il marcher au canon? Devait-il contrevenir aux ordres de l’empereur afin de le rejoindre à Waterloo? Du moins le pouvait-il encore? Vers midi, dans les environs de Walhain, alors que ses troupes marchent en direction de Wavre, Grouchy et Gérard entendent le canon tonner au loin. Aussitôt, ce dernier se tourne vers Grouchy pour lui demander de marcher au canon. Il refuse catégoriquement en lui opposant qu’il ne peut diviser ses forces. Ses arguments sont incontestables, car devant des forces qui lui sont très supérieures, il ne peut prendre un tel risque. De plus, avait-il une raison valable de désobéir aux ordres de l’empereur? À cette heure, il n’avait aucune indication en ce sens. Afin de démontrer que Grouchy a commis une faute, certains auteurs ont écrit qu’à Marengo, le général Desaix n’a pas hésité à marcher au canon. C’est tout à fait inexact. En entendant le canon tonner dans la plaine de Marengo, Desaix s’est arrêté sur la route de Novi. Alors qu’il hésite à revenir sur ses pas, l’aide de camp de Bonaparte arrive sur les lieux afin de lui remettre ce message : « Je croyais attaquer l’ennemi, il m’a prévenu. Revenez, au nom de Dieu, si vous pouvez encore. » Aussitôt Desaix donne l’ordre à la division du général Boudet de revenir en arrière. Sur de bonnes routes, Desaix va mettre trois heures pour revenir et sauver la situation. Ainsi, l’hésitation de Desaix nous démontre que, dans l’armée napoléonienne, il n’y a aucune place à l’improvisation et encore moins à l’initiative. Dans ses Mémoires, afin de l’accabler davantage et se décharger de sa faute de l’avoir lancé à la poursuite des Prussiens avec dix heures de retard, Napoléon affirme que Grouchy pouvait le rejoindre en deux heures. De son côté, le général Valazé, le chef du génie qui était sous les ordres du maréchal, a prétendu qu’il aurait pu ouvrir un chemin à travers champs jusqu’à Waterloo en moins de cinq heures. S’il est plus réaliste dans ses estimations, nous sommes obligés de rejeter cette dernière possibilité. Dans les meilleures conditions, il serait arrivé vers 19 h, donc juste à temps pour être entraîné dans la déroute. Dans son livre, Waterloo : la fin d’un monde, le commandant Lachouque remet les choses en perspective. Il rappelle que la distance entre Walhain et Mont-Saint-Jean est de 28 kilomètres. De plus, pour couvrir les 15 kilomètres qui séparent Wavre de Chapelle Saint-Lambert qui se situe à l’extrême gauche de l’armée de Napoléon, il faut rappeler que le corps de Bulow a mis plus de huit heures. Dans ses Mémoires, Pajol rappelle que les chemins de traverse étaient très mauvais pour l’infanterie et presque impraticables pour l’artillerie. Donc, même en ne mangeant pas les fraises du notaire Höllert à Walhain, car selon la légende, c’est la principale cause de la défaite, comment Grouchy aurait-il pu faire passer 33 000 hommes à travers champs avec son artillerie et ses caissons de munition en moins de cinq heures? Si impossible n’est pas français, l’impossibilité s’applique dans ce cas de figure.

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À propos de l’auteur
Pascal Cyr

Pascal Cyr

Pascal Cyr est docteur en Histoire de l’université de Montréal (Canada). Spécialiste de l’histoire napoléonienne et militaire.
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