Cette fois, nous vous proposons de découvrir ces « fous de l’histoire » qui, en tous lieux et par tous les temps, s’efforcent de donner corps à l’épopée napoléonienne. Animés d’une passion contagieuse et d’un constant souci d’exactitude historique, les voilà qui font revivre le passé sous nos yeux et devant l’objectif des caméras de télévision. Pour nous, l’historien Emile Kern analyse de manière fine un phénomène qui a connu en 2015 son point d’orgue avec la commémoration du bicentenaire de la bataille de Waterloo.
F.T.H. : En ces temps de commémoration du bicentenaire de la bataille de Waterloo, beaucoup de spectacles vivants ont lieu. L’occasion rêvée pour faire le point sur la reconstitution napoléonienne en France.Depuis quand cette pratique s’est-elle installée et qui en sont les principaux acteurs ?
Emile Kern : La reconstitution historique est une pratique qui consiste à recréer certains aspects d’un événement passé, d’une période historique ou d’un mode de vie précis, en s’appuyant sur des éléments matériels reproduisant celui de la période concernée (vêtement, mobilier, armement, etc.). Cette activité peut reconstituer une bataille célèbre ou bien la vie quotidienne d’une époque passée. De nos jours, on peut dire qu’il ne se passe pas une semaine sans qu’une reconstitution d’un événement historique n’ait lieu quelque part dans le monde ! Ainsi, les 2 et 3 mai derniers à Nîmes, des spectacles de reconstitutions romaines qui ont mobilisé plus de 500 reconstitueurs romains, gaulois et carthaginois, ont animé toute la ville. Le mois de juin sera l’occasion de voir déferler de toute l’Europe et même des autres continents des reconstitueurs qui vont nous faire revivre les grands moments de la campagne de Napoléon en Belgique en 1815 et surtout l’ultime bataille de Waterloo.
Ces « fous de l’histoire »comme les surnomme l’historien Jean Tulard précise qu’ «ils sont tous dignes de respect » ! « L’historien froncera le sourcil, mais comment ne pas être désarmé devant tant d’enthousiasme et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, tant de souci d’exactitude ? La passion anime ces volontaires de tous les âges qui courent avec l’équipement réglementaire sur le dos au risque d’une crise cardiaque ou d’une foulure de cheville. Ces nouveaux grognards perpétuent la Légende. Ce sont eux les vrais amoureux de Napoléon. »
Reconstituants, reconstitueurs, reconstituteurs, ils ne savent pas eux- mêmes quel terme utiliser ! L’historien Alain Pigeard a tranché la question justifiant définitivement le terme de reconstitueur. Quoi qu’il en soit, ces « voyageurs du passé » se retrouvent dans une même passion : revivre l’Histoire ! Peu importe l’époque choisie, ils sont habités par la même envie et procèdent souvent de la même manière : revêtir les costumes du légionnaire romain, du chevalier du Moyen Âge, du mousquetaire du roi ou du grognard de l’empereur et passer la nuit dans un bivouac en respectant scrupuleusement les modes de vie de l’époque qu’ils ont choisis de reconstituer.
La reconstitution apparaît en France dès l’entre-deux-guerres, comme le montrent les photos et images filmées que l’on peut encore voir sur la commémoration des adieux de Napoléon à Fontainebleau au début des années 1930. Les débuts sont néanmoins plutôt timides et le contexte, entre fin du nationalisme et l’après-guerre pacifiste, ne laisse pas beaucoup de place pour reconstituer et commémorer les batailles de l’empereur. Les reconstitutions se développent en revanche de l’autre côté de l’Atlantique, aux États-Unis, avec les nostalgiques de la guerre de Sécession.
Pour la période napoléonienne, il faut vraiment attendre les années 1960-1970, durant la Guerre froide, pour voir des groupes se constituer en RDA et en URSS. L’homme, à l’origine de la première association de reconstitution napoléonienne, est en effet un Russe, historien et passionné de la période, Oleg Sokholov. Il fut le premier président des reconstitutions napoléoniennes de son pays, sachant que de nos jours le nombre de reconstitueurs en Russie s’élève à 20 000 personnes, toutes périodes confondues (Guerre civile et Moyen âge surtout et 5 000 pour la période napoléonienne).
En France, notre Oleg Sokholov, président de la première association de reconstitutions napoléoniennes s’appelle Alain Pigeard. L’historien bourguignon a commencé la reconstitution en mai 1982 alors qu’il était en voyage en Allemagne de l’Est, à Leipzig. Il rencontre des reconstitueurs est-allemands et tchèques en uniforme d’époque. Lorsqu’il rentre en France, il décide de fonder une association dans sa ville natale, Dijon, en 1984 : c’est le 27e régiment de ligne. En 1985, il se rend à Waterloo pour la reconstitution de la bataille avec les 16 reconstitueurs du 27e ligne. Au début des années 2000 naît la fédération Française de reconstitution historique dont il devient le président. En 2003 il démissionne de la présidence et la fédération disparaît.
Malgré l’échec de la fédération à l’échelle nationale, le nombre d’associations de reconstitutions ne cesse de se multiplier durant les années 1990-2000. De nos jours, il suffit d’aller sur internet, un grand nombre d’associations de reconstitutions historiques s’affiche. Sur un total de 474 associations, 55 sont des associations Premier Empire. La période napoléonienne apparaît en troisième position, derrière le Moyen Âge. Il faut néanmoins noter que le Premier Empire arrive devant la Seconde Guerre mondiale. Il faut préciser que beaucoup de reconstitueurs pratiquent différentes époques historiques au gré des commémorations et des festivités locales. Ainsi Patrick Ailliot incarne à la fois un grognard du 27e régiment de ligne de Dijon mais il devient Louis Thury quand il revêt l’uniforme d’un poilu de 1914 ou Paddy Flaherty quand il devient Américain, d’origine irlandaise et qu’il intègre les rangs de l’armée nordiste ou enfin Serguei Ivanovitch Pavkhov quand il joue dans la guerre civile russe ! Il faut donc recenser les associations plutôt que les reconstitueurs pour essayer de chiffrer leur nombre en France de nos jours.
Alain Pigeard estime autour de 2 000 le nombre de reconstitueurs en France, pour 20 000 en Russie et 50 000 aux Etats-Unis.
F.T.H. : Les « reconstitueurs » sont majoritairement des hommes. Que recherchent-ils au juste ?
Emile Kern : Agés de 30 à 50 ans en moyenne, à l’origine férus d’histoire et d’histoire napoléonienne en particulier, les reconstitueurs (car ce sont des hommes à 80%) aiment revêtir leur uniforme d’époque et se retrouver dans les bivouacs. Leur métier ne les met pas forcém ent au contact avec l’Histoire, mais une rencontre, des parents ou la famille, une reconstitution qui a eu lieu dans leur ville ou le goût des costumes et uniformes les poussent un jour à franchir le pas. C’est ce que nous montre le film Demain dès l’aube de Denis Dercourt réalisé en 2009. L’acteur Jérémie Renier incarne un passionné des reconstitutions napoléoniennes dans la région parisienne. Il pousse son frère ainé, Vincent Perez, à le suivre dans un bivouac durant un week-end, le faisant entrer dans l’univers « étrange » de la reconstitution.
La majorité des reconstitueurs rejoint et adhère à une association. Les nombreuses commémorations du bicentenaire de Napoléon (mais aussi celles des deux guerres mondiales en 2014-2015) leur donnent l’occasion de multiplier leur apparition, de jouer les « vedettes », de partager leur passion.
Parmi les autres motivations, on trouve la camaraderie, notamment pour les soldats du rang. Le goût des uniformes et de l’épopée napoléonienne motivent davantage les officiers. Il faut noter le cas des cavaliers qui forcément aiment autant l’équitation (cas des 7 lanciers polonais de la Route Napoléon) que l’Histoire ! Ces reconstitueurs prennent plaisir à défiler dans les différentes villes qui les accueillent et ont un goût particulier pour le grand moment, le bivouac. Les officiers y passent rarement la nuit alors que pour les soldats du rang, c’est un moment privilégié. Ils se regroupent par corps d’armes, par associations et par nationalités mais il n’est pas rare de voir des Français partager le verre de l’amitié avec des Belges, des Allemands, des Tchèques, des Italiens et même des Anglais (comme à Malmaison en septembre 2014).
F.T.H. : Quelle place est dévolue aux femmes et aux enfants dans la reconstitution napoléonienne ?
Emile Kern : Quand on parcourt les bivouacs, on s’aperçoit que la reconstitution n’est pas seulement une affaire d’hommes ! Si l’on trouve peu de femmes lors de la reconstitution des batailles, elles sont beaucoup plus présentes autour des feux dans les bivouacs ! Lavandières, vivandières ou, plus rarement, simples soldats dans un uniforme d’homme, elles accompagnent leur mari, leur compagnon, leur frère ou père dans ces moments et ces lieux. Elles restent cependant minoritaires même si leur nombre ne cesse d’augmenter ! Suivons le parcours de trois femmes que j’ai eu le plaisir de rencontrer et d’interviewer : Delphine Potage Samson, Julie Devine et Elodie Carlier.
L’impératrice Joséphine (Delphine Potage Samson) est la femme de l’empereur lors des reconstitutions mais ils forment aussi un couple dans la vraie vie. Agée d’une quarantaine d’années et mère de deux enfants, eux aussi reconstitueurs, Delphine Potage Samson incarne Joséphine depuis 2005 avec une fréquence de 5 à 6 reconstitutions par an. Sans emploi, elle accompagne son « impérial mari ». Elle était présente au bicentenaire de Golfe-Juan le 1er mars dernier mais aussi à Fontainebleau en avril 2014 ou lors de la reconstitution du sacre, en mai 2010.
Julie Devine est âgée de 26 ans et elle a, comme elle le dit, « 11 ans de campagne de reconstitution ». Palefrenier d’officier à cheval, vivandière sur le champ de bataille de Plancenoit ou représentante d’une famille bourgeoise de l’époque impériale, elle est fonctionnaire de l’armée française dans la vraie vie. Elle fait donc de la reconstitution depuis 2004 (lorsqu’elle était étudiante, elle faisait 10 à 15 sorties par an, aujourd’hui avec son travail, la fréquence a un peu diminué, c’est plutôt 3 à 5 fois par an). Elle insiste sur le rôle pédagogique de la reconstitution, sur le contact avec le public, sur les retrouvailles avec les autres membres des associations et sur le respect scrupuleux de l’époque ! Si elle apprécie les moments dans les bivouacs, elle ne dédaigne pas non plus les moments agréables des bals impériaux. Enfin, s’agissant des batailles, elle évoque l’adrénaline que provoque ce moment fort de la reconstitution. Si elle a commencé avec le 10e escadron des chasseurs à cheval, elle se revendique indépendante et participe à différents groupes de reconstitution : le 18e de ligne, le 4e Hussard ou le 8e de ligne entre autres.
Elodie Carlier, enfin, est une jeune belge de 19 ans au moment où je l’ai croisée en avril 2014 à Fontainebleau. Elle passe alors son bac pour devenir institutrice. Elle vit à Charleroi et me dit-elle, « elle est née dans Napoléon car ses parents sont des fous de Napoléon ». Elle a commencé à 11 ans la reconstitution, elle pratique « aussi souvent que possible » soit plus de dix fois par an. Elle se produit en Belgique, à Leipzig, durant la campagne de France et rejoint en soldat la Corse. Elle joue généralement une vivandière régimentaire, c’est-à-dire qu’elle prépare les repas mais elle appartient aussi au corps de santé. Elle ne rêve pourtant pas d’être infirmière. Elle aime dormir dans les bivouacs car, précise-t-elle, « elle se sent en sécurité avec les présences autour d’elle » ! Elle rêve de participer à Austerlitz.
Comme les femmes, des enfants étaient présents dans les armées napoléoniennes qui parcouraient l’Europe, en tant que tambour ou derrière leurs parents tout simplement. On les retrouve aussi dans les reconstitutions.
Peu nombreux, ils endossent l’uniforme pour accompagner leurs parents passionnés par l’empereur.
F.T.H. : On imagine pour les grandes reconstitutions une logistique poussée et un montage financier complexe. Sans jeu de mots, tout cela c’est un peu le parcours du combattant, non ?
Emile Kern : Quand on les interroge, les reconstitueurs disent tout assumer à leurs propres frais. Seuls les repas leur sont fournis, soit en nature (du riz, du pain, du bois pour faire le feu des bivouacs) soit en argent, comme à Limonest, (banlieue de Lyon) où la municipalité a donné 50 euros par personne, à charge pour eux d’acheter des produits alimentaires.
Pour les cavaliers, le traitement est différent. La municipalité peut payer les frais de déplacement, jusqu’à 300 euros par exemple par cavalier présent (comme à Montereau, par exemple. Ils venaient du Sud-Ouest de la France). A cela s’ajoute la paille qui est généralement fournie.
Enfin il y a le cas particulier des officiers et de l’état-major. Ils ont forcément un tout autre traitement. Ils sont logés généralement chez l’habitant ou dans des hôtels ou maisons d’hôtes au frais des organisateurs. Bien entendu, leurs repas sont également pris en charge, quand ils ne mangent pas à la table du maire, comme à Montereau avec le député-maire Yves Jégo qui réunit au passage les historiens invités et le prince Napoléon, qui était présent ce jour-là. Napoléon, quant à lui, affirme ne pas recevoir de dédommagement financier pour ses prestations. Il arrive que les autorités civiles qui organisent des manifestations donnent des réceptions où les reconstitueurs sont invités comme ce fut le cas à Fontainebleau en avril 2014. Ce soir du 20 avril, j’ai pu assister à une soirée grandiose dans la Salle des Cerfs du château de Fontainebleau, exceptionnellement ouverte aux reconstitueurs par le président du château, Gérard Hubert.
F.T.H. : En cette année 2015, qui a-t-on choisi pour incarner Napoléon ?
Emile Kern : Ils sont quatre en 2015 à revêtir l’uniforme des chasseurs à cheval de la Garde avec le fameux bicorne. Parmi ces quatre prétendants, on a un Américain, un Belge, un Italien et un Français.
Mark Schneider, le « Napoléon américain » est comédien de profession et vit en Virginie. Une quarantaine d’années, d’une mère française d’origine, il parle français avec un accent anglais. Il joue Napoléon depuis 1998 mais participe aussi à des reconstitutions de la guerre d’indépendance des Etats- Unis. C’est sa ressemblance physique avec Napoléon qui a fini par le convaincre d’incarner l’empereur dans les commémorations aux Etats-Unis (Louisiane 2003 pour le bicentenaire de la vente de l’Etat par la France aux Etats-Unis) ou dans les pays d’Europe (Austerlitz 2005, Iéna 2006, Friedland 2007, Borodino 2012). Suite à quelques soucis avec la justice américaine, il disparaît un moment pour revenir incarner l’empereur aux journées de Malmaison en septembre 2014.
Jean-Gérald Larcin, dit « la doublure », est quant à lui Belge. Jean-Gérald Larcin porte également le bicorne régulièrement. Né en 1968 et domicilié à Mons, près de Bruxelles, il incarne l’empereur des Français depuis maintenant huit ans. Chimiste de formation, il s’est reconverti il y a sept ans comme bijoutier joaillier. Il affirme ne pas être rémunéré pour incarner l’empereur, pas plus que Franck Samson, mais insiste sur le coût important qu’il doit investir pour ses différentes tenues. Il « met lui-même la main à la pâte » comme il aime à le souligner c’est-à-dire qu’il n’hésite pas à coudre lui-même ses costumes de souverain. Néanmoins, après avoir fait ses calculs, il arrive à un montant de 5 000 euros de dépenses. Pour lui, cette somme élevée pour l’achat de différents accessoires, est indispensable pour incarner correctement Napoléon en public. Désigné « par la troupe », il entend bien continuer d’endosser l’empereur après Waterloo c’est-à-dire après le départ du principal représentant de l’empereur dans les reconstitutions, Franck Samson.
L’Italien Roberto Colla est âgé de 55 ans. Médecin, il vit à Milan et incarne Napoléon durant la reconstitution du bicentenaire de l’exil à l’île d’Elbe. C’est lors d’une rencontre accidentelle aux débuts des années 1990, qu’il découvre le monde de la reconstitution napoléonienne. Il commence par faire partie d’un régiment de la Grande Armée qui recrutait en Italie, dans le Piémont, le 111e de ligne. Voltigeur, il fait ses premières expériences en 1996, à Milan, lors de la commémoration du bicentenaire de la campagne d’Italie. En 2006, avec trois de ses amis, il décide de fonder une association de reconstitution napoléonienne : l’Association Armée d’Italie, dont le président est Luciano Casoli. Cette association donne vie à un état-major et à un maréchal, Masséna, à un général de brigade ainsi qu’à divers colonels, capitaines et lieutenants. A partir de 2013, sa ressemblance et son entourage finissent par le convaincre d’incarner Napoléon. Sa première sortie publique se déroule en septembre 2013 à Paris à l’école militaire à l’occasion d’une journée porte ouverte. Il a surtout incarné Napoléon à l’île d’Elbe avec trois reconstitutions, en particulier l’arrivée de l’empereur en mai 2014, l’arrivée de Marie Walewska en septembre, et enfin le départ à la fin du mois de février 2015.
Pourtant, parmi les reconstitueurs qui n’hésitent pas à porter le célèbre bicorne en public, un homme retient l’attention des organisateurs lors des reconstitutions du bicentenaire : c’est le breton Franck Samson.
Franck Samson enfin, âgé de 47 ans et breton d’origine, est avocat au barreau de Paris. Il est réputé pour une spécialité dont il fut le précurseur, le droit automobile. L’avocat reconstitueur possède un curriculum vitae important en la matière : une thèse sur le code de la route et les droits de l’homme. Il est chargé de cours de droit de circulation routière à l’École de Formation du Barreau, chroniqueur du droit de la circulation routière à La Gazette du Palais, auteur de plusieurs ouvrages dont un Guide de combat anti-Etat et un Guide de combat anti-PV. Dans son cabinet de l’avenue Kléber, ce n’est plus Bonaparte que l’on retrouve mais l’homme de loi. Membre et président de l’association Empire 1805, Franck Samson incarne Napoléon depuis maintenant dix ans lors des principaux événements en France et en Europe. C’est lui que l’on retrouve lors de la reconstitution de la bataille de Waterloo en 2010 ou bientôt en 2015, pour le bicentenaire. Sauf à Borodino et Austerlitz, il participe chaque année dans la peau de l’empereur aux grands événements. Il est présent à la campagne de France, au débarquement de Golfe-juan ou encore aux cérémonies civiles comme pour la reconstitution du couronnement à Boulogne en mai 2010. Les difficultés personnelles de Mark Schneider ont permis à Franck Samson d’être le principal prétendant depuis 2012. Il a néanmoins confirmé vouloir « abdiquer » et céder sa place après la commémoration de Waterloo en juin prochain.
F.T.H. : Ces dernières années, les reconstitutions ont fait la part belle aux batailles et aux évènements tels que le sacre de Napoléon ou ses mariages. Les politiques de tous les pays sont associés à ces évènements…
Emile Kern : On peut dire que le bicentenaire du sacre, en 2004 (via les nombreuses publications de livres et d’articles) et Austerlitz en 2005 ont lancé les grandes commémorations du bicentenaire et l’engouement pour les reconstitutions napoléoniennes. Les villes et lieux de mémoire ont fait appel aux associations pour participer à des week-ends de reconstitution. Défilés de troupes et batailles étaient complétés par des débats, des conférences, des salons du livre et des présentations des métiers de l’époque dans les villages Premier Empire.
Parmi les grandes reconstitutions, il faut citer : Austerlitz en 2005, Iéna en 2006, Waterloo en 2010, Borodino en 2012, Leipzig en 2013, la campagne de France en 2014 et, actuellement, l’année 2015.
Je passe sur les commémorations des « Masses de granit » où on pouvait observer la présence de quelques grognards aux côtés des présidents Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, pour évoquer des événements civils. Il s’agit par exemple de la reconstitution du mariage de Napoléon avec Marie-Louise en avril 2010 à Compiègne suivi par la reconstitution du sacre de 1804, en mai 2010 à Boulogne. Parmi les manifestations de grande ampleur, il faut ajouter les journées napoléoniennes de la Malmaison, en septembre 2012 puis en septembre 2014. Enfin, les adieux de Fontainebleau, le 20 avril 2014, puis le départ de Napoléon pour l’île d’Elbe suivi par le débarquement à Golfe-Juan le 1er mars 2015. A ces manifestations qui suivent le calendrier du bicentenaire, il faut ajouter les reconstitutions organisées par des associations locales qui mettent en avant le passage de Napoléon dans leur ville et font appel à des associations de reconstitutions napoléoniennes pour créer une manifestation. C’est le cas des journées napoléoniennes organisées par l’association Bonaparte à Valence régulièrement en septembre.
F.T.H. : Waterloo sera un peu le point d’orgue de ces commémorations.
Emile Kern : Le bicentenaire de la bataille de Waterloo, qui va se dérouler en Belgique les 19, 20 et 21 juin prochains, sera précédé par la commémoration de la bataille de Ligny du 12 au 16 juin mais aussi par le colloque inrenational de Bruxelles qui aborde « la bataille de Waterloo dans l’iconographie durant le XIXe siècle ». Si les organisateurs attendent 1500 reconstitueurs à Ligny, ils seront plus de 6 000 à Waterloo pour 150 000 visiteurs ! Pour l’occasion, une Route Napoléon belge a été créée depuis Beaumont en France jusqu’à Waterloo, balisée par des bornes pour permettre aux visiteurs de reprendre la route suivie par l’armée française entre le 12 et le 18 juin 1815.
Après Waterloo, la reconstitution du départ de l’île d’Aix devrait représenter une des dernières commémorations napoléoniennes mais certainement pas la dernière reconstitution historique.
F.T.H. : Quel bilan peut-on tirer de toutes ces commémorations ? Comment peut- on voir l’avenir ?
Emile Kern : Le bilan que l’on peut tirer sur les reconstitutions napoléoniennes est plutôt positif, la reconstitution se porte donc bien ! Le nombre de reconstitueurs qui augmente chaque année et notamment le nombre de femmes et de jeunes, en témoigne.
Pourtant, deux problèmes apparaissent. Le premier est d’ordre chronologique car nous touchons à la fin des commémorations du bicentenaire. Après Waterloo et le départ de l’Ile d’Aix, il faudra attendre 2021 pour le bicentenaire de la mort de l’empereur. On imagine mal d’ailleurs, comment des milliers de reconstitueurs pourront se déplacer dans cette île perdue au sud de l’Atlantique.
Le deuxième problème est d’ordre financier. Il porte sur l’organisation des reconstitutions napoléoniennes. En effet, les restrictions budgétaires des municipalités risquent de faire reculer voire même disparaître les reconstitutions de grande ampleur.
L’espoir repose, peut-être, sur la création du parc Napoléon, « Napoéland », cher au cœur du député-maire de Montereau, Yves Jégo, prévu pour 2017-2019 ? L’avenir n’est-elle pas, tout simplement, dans la passion que les Français entretiennent pour leur Histoire ? Revues spécialisées et émissions de télévision l’attestent. L’utilisation des reconstitueurs pour la réalisation de fictions historiques est un filon opportun qui permet de penser que la reconstitution ne vit pas encore ses derniers moments ! L’Histoire vivante, par son sens du spectacle et de la mise en scène, attise une curiosité qui va au-delà de la période napoléonienne.
Interview de Christian Dutot pour France Terres d’Histoire.
Pour approfondir
BOUDON (Jacques-Olivier), Les habits neufs de Napoléon, Bourin Editeur, 2009, Paris, 167 pages
KERN (Emile), L’impossible commémoration de Napoléon, de Napoléon III à Nicolas Sarkozy, Edilivre, 2012, 386 pages
TULARD (Jean), Dictionnaire amoureux de Napoléon, Plon, 2012, page 477
« Reconstitution de la bataille de Borodino », interview d’Oleg Sokolov dans Napoléon Ier, Hors-série n°8, Borodino 1812, octobre 2007
« Demain dès l’aube », film de Denis Dercourt, 2009
Interviews des reconstitueurs Franck Samson (mai 2010), Delphine Potage-Samson (mai 2010 et mars 2014), Julie Devine (avril 2014), Mark Schneider (septembre 2014), Elodie Carlier (mars 2014), Jean-Gérard Larcin (mars 2014) et Robert Colla (mars 2015).