Article publié dans Histoire Magazine N°3
Dans l’aviation française, une femme n’a pas sa place au front quelles que soient les qualités de pilote dont elle a pu faire preuve avant-guerre. Cette règle souffre une exception avec la célèbre casse-cou Marie Marvingt qui va prendre part à deux bombardements au dessus de Metz et s’échiner à promouvoir les avions sanitaires de son invention; mais une femme pilote, dans nos coucous, en pleine guerre ? Pas question !
Où donc alors trouver quelque femme pilote “amie de la France” dans le ciel sombre des champs de batailles de la Grande Guerre ?
Peut-être en Russie, puisque ce sont les français Louis Blériot et Elise Deroche qui ont provoqué avant-guerre la vocation de la première femme pilote de chasse de l’histoire de l’aviation, la Princesse russe Evguenia Shakhovskaya, (1889-1920). C’est en effet en assistant à leur meeting aérien à Saint-Pétersbourg en présence du Tsar Nicolas II, que la princesse décide de devenir pilote. Rappelons qu’Elise Deroche, (1886-1919) a été la toute la première femme au monde à quitter le sol aux commandes de son biplan Voisin, le 22 octobre 1909 à Chalons, 19 ans quasiment jour pour jour après Clément Ader, premier homme à s’être arraché du sol ( à bord de l’Eole, le 9 octobre 1890). Elle a aussi été la première femme en France et dans le monde à obtenir un brevet de pilote, le 8 mars 1910 : le brevet N° 36 de l’Aéro-club de France, un classement qui fait l’admiration de bien des hommes. De son côté, Evguenia Shakhovskaya, formée à Berlin auprès des as mondiaux de la voltige, est la 4 ème russe à décrocher son brevet. Quand son pays entre en guerre, elle obtient du Tsar l’honneur d’être intégrée avec le grade de lieutenant au sein d’une escadrille impériale, devenant ainsi la première femme pilote de chasse au monde. Un honneur interdit aux pionnières françaises de l’aviation.
L’exceptionnelle pilote belge Hélène Dutrieu, surnommée La flèche humaine (1877-1961), se voit conférer le 9 janvier 1913 la Croix de Chevalier de la Légion d’Honneur pour tous les records du monde féminins d’altitude et de distance battus sur des avions français. Mais que vienne la guerre et alors là, plus question de voler ! Elle sert au front comme ambulancière de la Croix Rouge française, puis dirigera l’hôpital de campagne du Val de Grâce jusqu’à la fin du conflit.
Citons enfin, une pionnière de l’aviation dont le destin va se nouer en France, juste au lendemain de la guerre : l’américaine Bessie Coleman, (1892-1926), dite, “l’ange noir”. De retour à Chicago, son frère John qui a combattu sur notre sol, lui raconte les exploits d’Eugène Bullard, premier pilote afro-américain de l’aviation française. Bessie rêve de voler. Elle a lu les récits des premiers vols des frères Wright et de la traversée de la Manche par Harriet Quimby. Hélas, aux Etats-Unis c’est impossible ! Les écoles sont trop chères (elle est manucure dans un barber shop), et sont interdites aux noirs. Mais la France n’est-elle pas le pays des Droits de l’homme ? Et la ville de Paris ne vient-elle pas d’accueillir à bras ouvert des Joséphine Baker ou des Sidney Bechet ? Convaincue, Bessie se met à apprendre le français et persuade un entrepreneur noir américain de financer son voyage. La France, enfin ! Arrivée Gare du Nord, Bessie prend le train jusqu’à Noyelles-sur-mer pour rejoindre la base du Crotoy, dans la Baie de Somme. Créé par les Frères Caudron, cet établissement n’a pas 10 ans et pourtant, il est déjà la plus ancienne école de pilotage au monde ! A 28 ans, (en 1920), unique femme de sa promotion, Bessie obtient le brevet de pilote de la Fédération aéronautique internationale, devenant la première femme noire au monde à pouvoir piloter un avion.
De retour aux Etats-Unis, elle se spécialise dans la voltige, se produisant le plus souvent possible pour réunir des fonds afin de créer une école de pilotage ouverte à tous. Hélas, le 30 avril 1926, lors d’un vol préparatoire pour un meeting aérien à Jacksonville en Floride, elle commet l’imprudence de ne pas s’attacher et tombe du cockpit, faisant une chute mortelle. Elle avait 34 ans. Son corps est rapatrié à Chicago où dix mille membres de la communauté noire viennent saluer sa dépouille. Trois ans après sa mort, un certain William J. Powell donne corps à son rêve en créant la première école d’aviation pour afro-américains. Ce jour-là à Noyelle, chez les frères Caudron, même si les coqs, incapables de voler n’ont pas la cote chez les pilote, ils ont dû pousser plus d’un joyeux Cocorico!