<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Entretien avec Michel Chamard : Vendée, la guerre des Géants
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Photo : François Athanase Charette de La Contrie, né le 2 mai 1763 à Couffé et mort fusillé le 29 mars 1796 à Nantes, est un militaire français et un général royaliste de la guerre de Vendée.
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Entretien avec Michel Chamard : Vendée, la guerre des Géants

par | Entretiens, Les crimes de la Révolution : du génocide au mémoricide, N°5 Histoire Magazine

Entretien avec Michel Chamard

Propos recueillis par Sylvie Dutot.

Michel Chamard est un des meilleurs connaisseurs de l’histoire de la Vendée, qu’il enseigne à l’ICES. Auteur de plusieurs ouvrages didactiques sur cette période de l’histoire, il est un interlocuteur de choix pour évoquer avec Histoire Magazine les grandes phases de cette «guerre des géants», son origine et la tragédie qui s’est jouée en 1793 et 1794. Entretien …

En premier lieu, qu’entend-on par « Vendée militaire » ?
Michel Chamard : Il convient avant tout de dissiper une confusion tenace : les « Vendéens » de 1793 ne sont pas des « chouans » !
Il y a tout d’abord une distinction géographique. La chouannerie s’étend au nord de la Loire : Bretagne, avec Cadoudal, Boisguy, Boishardy… ; Maine, autour de Laval, derrière Jean Cottereau, dit Jean Chouan, qui donne son surnom au mouvement ; Basse Normandie avec Frotté.
Les historiens nomment « Vendée militaire » la zone d’environ 10 000 kms2, sur la rive gauche du fleuve, qui englobe les 600 paroisses insurgées à partir de mars 1793 sur quatre départements (Deux-Sèvres, Loire-inférieure, Maine-et-Loire, et Vendée) issus de trois provinces d’Ancien régime (Anjou, Bretagne, Poitou). Une sorte de quadrilatère dont les angles seraient grosso modo Nantes et Angers au nord, Niort et Les Sables d’Olonne au sud.
Un territoire qui constitue une sorte de forteresse naturelle. Le bocage (nord-est de la Vendée, Mauges au sud du Maine-et-Loire, Gâtine au nord-est des Deux-Sèvres), avec ses « chemins creux » flanqués de hauts talus surmontés de haies épaisses, est peu propice aux déploiements d’artillerie et de cavalerie des armées républicaines. Même chose dans les marais, quadrillés d’étiers, au nord-ouest de la Vendée, qui se prolongent dans le Pays de Retz, au sud de Nantes.
Je vois aussi une autre différence. Même si chouans et « Vendéens » se battent « pour Dieu et pour le Roi », même s’ils combattent en portant le même Sacré Cœur cousu sur leurs vêtements ou leur chapeau, le but est plus politique pour les premiers (une restauration monarchique), l’imprégnation religieuse prime chez les seconds.
Chaque fois, au cours de la période 1793-1801, que la République fera un geste d’apaisement dans sa politique anti-catholique (accords de La Jaunaye avec Charette en 1795, Concordat octroyé par Bonaparte en 1801), les Vendéens rentreront dans leurs foyers.

C’est une région qui a en effet connu une forte évangélisation, sous l’impulsion de Richelieu d’abord, puis au début du XVIIIe siècle, du très charismatique père de Montfort…
Michel Chamard : Avant de mettre définitivement fin aux Guerres de religion lorsqu’il fut principal ministre de Louis XIII, Richelieu a joué un rôle important, en tant qu’évêque de Luçon (entre 1608 et 1622), dans l’application de la réforme tridentine dans son diocèse : meilleure formation du clergé de paroisse, rédaction du « Catéchisme de Luçon », implantation de congrégations religieuses, création d’un grand séminaire… Ces initiatives furent reprises par des confrères de diocèses voisins, dont celui de La Rochelle.

«…Et c’est à bon droit que le pape Pie XII, lors de la canonisation du père de Montfort en 1947, a pu dire que « la Vendée de 1793 était l’œuvre de ses mains…»

C’est d’ailleurs l’évêque de La Rochelle, à partir de 1709, qui chargera un prêtre breton, Louis Marie Grignion de Montfort, de « missions » de réévangélisation dans les paroisses bas poitevines de son diocèse. Après la mort de celui-ci, en 1716, les montfortains poursuivront tout au long du XVIIIème siècle, des missions dans le haut bocage, dans les Mauges, en Gâtine… D’où l’attachement de la population des futures paroisses insurgées à la vie religieuse et à ses « bons prêtres ». Et c’est à bon droit que le pape Pie XII, lors de la canonisation du père de Montfort en 1947, a pu dire que « la Vendée de 1793 était l’œuvre de ses mains ».

Le cardinal de Richelieu peint par Philippe de Champaigne.

La Révolution est-elle bien accueillie sur ces territoires ?
Michel Chamard : Comme partout dans le royaume, la Révolution bénéficie à ses débuts d’un accueil favorable en bas Poitou et dans l’ensemble de ce qui sera la « Vendée militaire », avec un terreau plus propice dans la plaine et dans les villes, à commencer par Nantes, la métropole portuaire, Angers (capitale de l’Anjou) et Fontenay-le-Comte (capitale du bas Poitou).
La bourgeoisie aisée – marchands, médecins, juristes (avocats, notaires, officiers des juridictions locales) – mais aussi les prêtres citadins constituent une « élite » lettrée qui se veut acquise aux idées nouvelles. A Fontenay-le-Comte, la liste des souscripteurs de l’Encyclopédie en 1787 est révélatrice : sur 15 noms, on compte pour moitié des ecclésiastiques, mais aussi des nobles, des juristes ou des médecins.
Le peuple des campagnes, ultra majoritaire dans la population à défaut de l’être dans les institutions représentatives, avec ses métayers et ses artisans ruraux obtient des mesures qui le satisfont : suppression des droits seigneuriaux (chasse, basse justice, corvée…), de la milice et de taxes diverses (gabelle, banalités…).
Le clergé paroissial, qui aspire à un train de vie plus large, va prendre une part importante dans la mise en place d’une Assemblée constituante : Ballard, curé du Poiré-sur-Velluire, sera l’un des premiers à rejoindre les élus du Tiers, puis Dillon, curé du Vieux Pouzauges, qui le suit quelques jours plus tard. Beaucoup s’impliqueront dans la vie politique locale.

Mais assez rapidement, les espoirs suscités par la Révolution cèdent la place à la déception, voire à la colère. Quelles en sont les raisons ?
Michel Chamard : Le petit peuple des campagnes (85 à 90 % de la population française à l’époque) s’aperçoit très vite que la Révolution, qui s’est faite en son nom, est accaparée par la bourgeoisie urbaine. Celle-ci confisque le pouvoir à son profit avec la distinction – fondée sur la fortune – entre citoyens actifs et passifs, elle est seule en mesure d’acheter les « biens nationaux »…
A cette déception constatée dans tout le royaume viendra s’ajouter, et particulièrement dans ce qui deviendra la Vendée militaire pour les raisons que l’on a vues, la colère devant l’escalade antireligieuse pratiquée par le pouvoir révolutionnaire dès ses débuts.
En 1790, comme la quasi-totalité de leurs confrères, les évêques d’Angers, La Rochelle, Luçon et Nantes, rejettent la Constitution civile du clergé, qui fonctionnarise les prêtres et les soustrait à l’autorité du pape. On compte 65 à 100% de prêtres « réfractaires » en Vendée, 72% en Loire-Inférieure, 45 à 65% en Maine-et-Loire.
La révocation des réfractaires, chassés de leur paroisse, et les persécutions croissantes à leur encontre suscite l’indignation des fidèles. La suppression des processions, des fêtes patronales, de tout ce qui rythmait la vie quotidienne dans les campagnes n’arrange rien. Les réfractaires qui refusent l’exil trouvent refuge dans la population, qui les cache et les ravitaille, célèbrent des messes clandestines dans les bois et les granges, tandis que les « trutons » (les « intrus » en patois vendéen), les prêtres qui ont prêté serment, sont insultés et molestés, que leurs messes sont désertées, les sacrements qu’ils administrent refusés.
Bien avant le 12 mars 1793, qui marque le début de l’insurrection vendéenne, les incidents et les émeutes se multiplient, au cri de « Rendez-nous nos bons prêtres ». Et c’est derrière les bannières paroissiales, en entonnant des hymnes religieux, dont le fameux « Vexilla regis », que paysans et artisans partiront au combat.

En mars 1793, la situation est devenue explosive…
Michel Chamard : Dans ses Mémoires, Mercier du Rocher, un notable jacobin de Fontenay-le-Comte, rend compte de la situation à la veille du soulèvement : « Le feu couvait sous la cendre et il me semblait entendre le bruit d’un volcan sous mes pieds. »
De fait, le territoire de la future Vendée militaire est devenu une véritable poudrière. De véritables « zones de non droit » se sont constituées en divers endroits des bocages, où gendarmes et gardes nationaux ne se risquent plus. Dès 1791 et 1792, divers rapports officiels adressés à l’Assemblée législative soulignent l’agitation religieuse, le manque d’effectifs de la force publique, les incidents de plus en plus violents qui se multiplient…


C’est le décret voté par la Convention le 25 février 1793 qui va mettre le feu aux poudres : celui-ci ordonne la « levée en masse » de 300 000 hommes par tirage au sort pour renforcer les armées aux frontières. Cette conscription obligatoire rappelle fâcheusement l’impopulaire milice d’Ancien régime. D’autant que les militants et fonctionnaires révolutionnaires en sont exemptés et que la bourgeoisie tire encore une fois son épingle du jeu : elle seule a les moyens de rétribuer le remplaçant d’un proche ayant tiré le mauvais numéro.
Le 12 mars, jour prévu pour le tirage, c’est l’explosion, spontanée et simultanée, en divers endroits de ce qui va être la Vendée militaire : à Saint-Florent-le-Vieil, en Maine et Loire, où les urnes sont renversées, les forces de l’ordre et les autorités municipales molestées, à La Verrie, en Vendée, à Machecoul, en Loire-Inférieure…
Les « Vendéens » ont franchi le Rubicon. Comme le dit Cathelineau, un père de famille réputé pour sa sagesse et sa piété, lorsque les rebelles de Saint-Florent viennent le consulter dans son village du Pin en Mauges : « Ce qui vient d’être fait exige une suite. »

Qui sont les premiers Vendéens à se soulever ? Les nobles restent en retrait …
Michel Chamard : Le soulèvement vendéen se caractérise par son caractère éminemment populaire. Des paysans, des artisans, des colporteurs, des meuniers, voire des contrebandiers et des braconniers. Ils n’ont pas d’uniforme, partent au combat en habits de tous les jours, avec pour seules armes leurs outils de travail, faux emmanchées « à rebours », bâtons ferrés, fourches… Les chefs qu’ils se donnent, les « capitaines de paroisse », sont des proches, cousins, voisins, qu’ils connaissent bien et en qui ils ont confiance.
Les premiers chefs sont issus du peuple : Cathelineau, colporteur qui deviendra généralissime de la Grande armée catholique et royale, Stofflet, un garde-chasse, d’autres moins connus mais tout aussi actifs, volailler, marchand de grains, chirurgien de campagne, petit officier fiscal, perruquier…
A l’exception de Sapinaud de La Verrie qui prend l’initiative dès le 12 mars, les nobles se sont tenus à l’écart du mouvement. Petits hobereaux vivant sur leurs maigres terres, au milieu de leurs métayers dont ils partagent les préoccupations quant aux récoltes, ils sont sans illusion sur l’issue d’un affrontement avec les « Bleus », surnom donné aux troupes républicaines en raison de la couleur de leur uniforme.
Quand les insurgés viennent les chercher dans leur « logis » pour les mettre à leur tête, ce n’est pas parce qu’ils sont nobles, mais parce qu’ils ont été officiers dans les armées du roi. Dès les premiers jours, l’insurrection a tout balayé sur sa route, prenant des villes, mettant en fuite les « patauds » (« patriotes » en patois, surnom donné aux révolutionnaires). Mais ces soldats de hasard se rendent compte qu’ils ont besoin de s’adjoindre des hommes ayant une formation et une expérience militaire.

Le soulèvement est-il général ?
Michel Chamard : Les autorités républicaines gardent le contrôle des villes, même si celles-ci tombent parfois – pour quelques jours seulement – aux mains des insurgés. L’insurrection n’a pas pris non plus dans des territoires comme la plaine méridionale du département de la Vendée, entre Luçon et Fontenay, moins enclavée.

Les insurgés se livrent à des actes de violence et des exécutions sommaires, en particulier sous le commandement d’un certain Souchu…
Michel Chamard : Lorsque Souchu s’est emparé de Machecoul dès le début de l’insurrection, il a laissé ses hommes se livrer à la chasse aux « patauds » : 160 morts en un mois, même si Charette a tenté de s’interposer. On est bien loin des 800 morts exploités par la propagande républicaine, mais ce n’en est pas moins un massacre indigne.
Il faut toutefois noter que c’est un cas isolé. La geste vendéenne se caractérise plutôt par la clémence chrétienne à l’égard des vaincus : c’est « le pater de Chemillé », avec D’Elbée qui fait honte à ses hommes qui veulent massacrer des prisonniers, en leur faisant réciter « pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons… » ; c’est le « Grâce aux prisonniers » de Bonchamps à l’agonie, qui obtient que les Vendéens vaincus à Cholet n’exterminent pas leurs 5 000 prisonniers à Saint-Florent-le-Vieil ; c’est le manifeste de sept généraux garantissant la vie des prisonniers républicains après la prise de Fontenay ; ou encore La Rochejaquelein tué par un blessé à qui il vient d’accorder la vie…

Ces insurgés sont principalement des paysans, des artisans, armés de fourches qui affrontent soldats de métier, et pourtant ils prennent l’avantage lors des premières confrontations …
Michel Chamard : A quelques échecs près, les Vendéens vont de succès en succès tout au long du printemps 1793. C’est ce qui leur permettra de se procurer des armes à feu, des canons et des munitions pris à l’ennemi.
Mais, malgré les tentatives des généraux de les organiser en unités constituées, avec divisions et drapeaux, ils restent des soldats improvisés, qui rechignent à s’éloigner de leur clocher et à exploiter leurs victoires. A l’issue d’une bataille (un « choc », comme ils disent) ou la prise d’une ville, ils célèbrent leur victoire par un Te Deum puis, le danger éloigné, retournent chez eux pour « changer de chemise », retrouver leur famille et leurs champs. Jusqu’au prochain rassemblement annoncé par le tocsin ou les ailes de moulin !
De sorte que jamais il ne pourra y avoir véritablement d’armée permanente. Après la prise de Saumur, assaillie par 10 000 Vendéens, La Rochejaquelein, nommé gouverneur de la ville, ne compte plus que 300 combattants sous ses ordres.

A combien estime-t-on les effectifs des Vendéens ?
Michel Chamard : Au plus fort des rassemblements, on estime que les combattants vendéens ont pu être jusqu’à 100 000 hommes. En moyenne, l’armée d’Anjou – celle de Cathelineau, Stofflet, Bonchamps, D’Elbée – a pu compter jusqu’à 40 000 hommes, celle du Centre – qui couvrait le bocage vendéen – 10 000, comme celle du Haut Poitou, celle de La Rochejaquelein et Lescure. L’armée du marais, celle de Charette, a pu aller jusqu’à 20 000.

Les insurgés vont chercher des nobles pour prendre le commandement de leurs troupes. Ceux qui vont devenir les grandes figures de cette guerre font leur apparition …
Michel Chamard : Je ne crois pas que l’on puisse dire que les nobles – même si ce sont les plus connus – aient l’exclusivité des grandes figures de cette « guerre de géants », comme disait Napoléon.

Pour moi, la figure emblématique de ce soulèvement populaire pour la défense de la foi est Cathelineau, le « saint de l’Anjou », humble colporteur des Mauges, réputé pour sa piété et sa réflexion, qui partit le premier et fut élu par une assemblée où dominaient des officiers nobles le premier généralissime de la grande armée catholique et royale.
A côté de personnalités comme Bonchamps, « M. Henri » de La Rochejaquelein, généralissime de vingt ans, Lescure, à côté du panache de Charette, il ne faut pas négliger Stofflet, souvent traité de façon injuste par les mémorialistes pour sa brutalité et ses façons de rustre, mais qui sut galvaniser ses hommes et ses pairs, l’abbé Barbedette, curé du Grand-Luc, ou d’humbles personnages, comme Renée Bordereau, paysanne angevine qui combattit sous des habits d’homme dans la cavalerie vendéenne pour venger sa famille massacrée par les « Bleus »…

Celui que l’on appelle le « roi de la Vendée » Charette ne voulait pas prendre part au conflit en mars 1793. Par la suite, il fait bande à part…
Michel Chamard : Officier de marine ayant participé à la guerre d’indépendance américaine à un rang d’officier subalterne, le chevalier Charette de La Contrie avait participé à la défense des Tuileries le 10 août 1792 puis était rentré chez lui dans son logis du marais nord-vendéen.
Une tradition non attestée veut qu’il se soit caché sous son lit lorsque les paysans de la Garnache sont venus le chercher. Toujours est-il qu’il a fini par accepter, à ses conditions : « Vous me voulez pour chef ? J’accepte ! Mais c’est moi qui commande : celui qui n’obéit pas, je lui casse la tête. »
Jaloux de son autorité, il fait effectivement bande à part en permanence. A part de ses homologues de l’Armée du marais, à part de la Grande armée catholique et royale avec qui il n’opérera qu’en de rares occasions, dont le siège manqué de Nantes.
Acculé par les « Bleus », qui l’ont chassé du marais en septembre 1793, il appelle au secours les chefs de la Grande armée, avec qui il remporte la victoire de Torfou. Mais il n’est pas au rendez-vous de Cholet, le mois suivant, laissant ses alliés se faire battre de façon décisive. Il ne prend pas part à la « Virée de galerne », outre-Loire, préférant accroître son pré carré en l’absence de ceux qu’il considère comme des rivaux.

L’échec de Nantes marque un tournant dans le soulèvement vendéen …
Michel Chamard : Les 27 et 28 juin 1793, les Vendéens –pour une fois toutes forces réunies – ne réussissent pas à s’emparer de Nantes. Ils sont parvenus jusqu’au centre de la ville, mais Cathelineau est frappé d’une balle par un tireur embusqué derrière une fenêtre au moment où la victoire est acquise. Le croyant mort, ses hommes se débandent. Il ne mourra en fait le… 14 juillet suivant, à Saint-Florent où il a été ramené.
Cet événement coïncide avec la chute des Girondins, qui dominaient jusque-là la Convention. Robespierre entre au Comité de salut public, où il impose son autorité, et les Montagnards prennent le pouvoir.
Sous leur impulsion, la Convention, jusque là décontenancée par la déroute de ses troupes en Vendée militaire, va organiser la contre-attaque.

Devant la Convention, Barère rend un rapport le 1er octobre 1793 qui incite à la plus grande fermeté face à la Vendée, les termes employés sont terribles …
Michel Chamard : « Anacréon de la guillotine » connu pour son talent oratoire, Barère est chargé de présenter à la Convention et de faire adopter les projets de décret élaborés par le Comité de salut public.

C’est à ce titre qu’il a fait voter à l’unanimité, le 1er août, le premier des deux « décrets de la Vendée », qui prescrit la destruction totale de cette « plaie gangréneuse » qu’est la Vendée et l’extermination de cette « race rebelle ».
Décontenancés par « l’inexplicable Vendée » qui résiste tout l’été en dépit des renforts envoyés aux troupes républicaines et a infligé aux Mayençais la déroute de Torfou, les robespierristes du Comité de salut public élaborent un second décret, qui renforce les dispositions du précédent, non seulement contre les insurgés en armes, mais aussi contre l’ensemble de la population et du territoire sur lequel elle vit.
A la tribune de la Convention, Barère lance sa célèbre anaphore « Détruisez la Vendée… », qui s’achève en ces termes : « La Vendée, et encore la Vendée, voilà le charbon politique qui dévore le cœur de la République française. C’est là qu’il faut frapper ! »

Après une défaite militaire à Cholet, la Grande Armée catholique et royale entame ce que l’on va appeler la virée de Galerne. En quoi consiste-t-elle et dans quel but ?
Michel Chamard : Vaincus à Cholet le 17 octobre 1793, les Vendéens passent la Loire dans la nuit pour échapper à leurs poursuivants. Sous la conduite de « M. Henri », tout juste élu à la tête de la Grande armée après que D’Elbée, successeur de Cathelineau, ait été mis hors de combat lors de la bataille, 80 000 hommes, femmes, enfants, vieillards, dont la moitié de combattants, accompagnés de chariots, de carrosses, de charrettes et de cheptel, s’aventurent en pays de galerne (du breton « gwalarn » qui désigne un glacial vent de nord-ouest).
Une épopée de 987 kilomètres en 67 jours, émaillée d’une trentaine de combats (dont vingt-cinq victoires), qui les conduit jusqu’aux murailles de Granville, en Normandie, contre lesquelles ils échouent. Le retour vers la Loire est un long martyr, avec une dernière victoire au Mans, suivie d’un terrible horrible massacre lorsque les républicains reviennent par surprise, de nuit.
Les quelques milliers de survivants parviennent à Savenay, près de Nantes, où ils sont anéantis lors d’une dernière bataille, la veille de Noël 1793.

« La Vendée en armes » n’est plus. La Convention a le choix entre la pacification et la répression.Elle choisit celle-ci, dans sa forme la plus impitoyable…
Michel Chamard : Lorsque s’ouvre l’année 1794, la Vendée n’existe plus en tant que force armée : la Grande armée a été anéantie la veille de Noël, les prisonniers survivants – hommes, femmes et enfants – affluent vers les prisons de Nantes, Angers, Niort…, les principaux chefs sont morts à l’exception de Charette et Stofflet qui se réfugient dans les forêts avec une poignée d’hommes, la population est à bout de forces.
Robespierre et ses amis, qui dominent la Convention, ont le choix entre la pacification et la répression. Ils choisissent celle-ci et ordonnent aux généraux et aux représentants en mission sur place d’appliquer strictement les décrets d’août et octobre, selon leur mot d’ordre transmis par Barère : « Détruisez la Vendée ! »


Ils donnent libre cours aux noyades de Carrier à Nantes, aux fusillades du « champ des martyrs » d’Avrillé, près d’Angers, aux massacres des « colonnes infernales de Turreau, qui s’ébranlent fin janvier… Celles-ci tuent, pillent, violent, incendient : tout ce qui vit sur le territoire insurgé, cette « race de brigands », doit être anéanti, sans distinction d’âge, de sexe, ni même de sensibilité politique.
Le symbole de ce que certains historiens et juristes qualifient de génocide se tient aux Lucs S/Boulogne, où un mémorial a été inauguré en 1993 par Soljenitsyne : 564 morts en deux jours, fin février, dont 110 enfants de moins de sept ans.

La chute de Robespierre se traduit par une certaine accalmie pour la Vendée …
Michel Chamard : La fin du robespierrisme, en juillet 1794, coïncide avec un constat d’échec en Vendée. Turreau avait promis de liquider celle-ci en quinze jours. De fait, les massacres ont eu un effet inverse : n’ayant rien à espérer, les Vendéens ont eu une réaction de bête traquée qui se jette sur le chasseur. Stofflet et Charette ont été rejoints par des milliers d’hommes et mené une contre-offensive, harcelant et défaisant les troupes républicaines. Turreau rappelé à Paris en mai, ses successeurs ont choisi de rester sur la défensive, à l’abri de camps retranchés. De nouveaux succès vendéens conduisent la Convention à demander la paix. Ce sera chose faite, en février 1795, avec les accords de La Jaunaye. •

Michel Chamard est historien et écrivain. Après avoir été à la tête du service politique du Figaro en tant que rédacteur en chef adjoint, il s’installe en Vendée, participe à la création du musée d’histoire de la Vendée, l’Historial, et a assuré pendant plusieurs années la direction du Centre vendéen de recherches historiques, créé en 1994 sous l’égide de la Sorbonne. Il est chargé de cours en licence et master à l’ICES à La Roche sur Yon. Auteur de « La Vendée pour les Nuls » qui a obtenu le grand prix des écrivains de Vendée, il a publié « Les guerres de Vendée pour les Nuls » qui a obtenu le prix Charette en 2017. Il est aussi l’auteur des textes du docudrame réalisé par Patrick Buisson «Les manants du roi» en 2018.

Les Guerres de Vendée
pour les nuls
de Michel Chamard
Éditions First
368 pages 22,95 € papier
15,99€ version numérique

Cet article est extrait du numéro 5 d’HISTOIRE MAGAZINE  spécial Guerres de Vendée. Acheter le magazine ici  . PDF 5.50 € ou abonnez-vous ici pour accéder à tous les numéros d’HISTOIRE MAGAZINE.

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À propos de l’auteur
Michel Chamard

Michel Chamard

Michel Chamard est historien et écrivain. Après avoir été à la tête du service politique du Figaro en tant que rédacteur en chef adjoint, il s’installe en Vendée, participe à la création du musée d’histoire de la Vendée, l’Historial, et a assuré pendant plusieurs années la direction du Centre vendéen de recherches historiques, créé en 1994 sous l’égide de la Sorbonne. Il est chargé de cours en licence et master à l’ICES à La Roche sur Yon. Auteur de « La Vendée pour les Nuls » qui a obtenu le grand prix des écrivains de Vendée, il a publié « Les guerres de Vendée pour les Nuls » qui a obtenu le prix Charette en 2017. Il est aussi l’auteur des textes du docudrame réalisé par Patrick Buisson «Les manants du roi» en 2018.
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