<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Pierre LAVAL  – Un mystère français
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Entretien avec Renaud Meltz

Article publié dans Histoire Magazine N°6

Pierre Laval (1883 – 1945) qui le connaît aujourd’hui ?                                                                                Renaud Meltz : Les jeunes générations ignorent jusqu’à son nom. Il a rejoint la liste des méchants dans l’Histoire de France. Et en a pris la tête : il est le seul chef de gouvernement à avoir été fusillé en France au XXème siècle.

Votre ouvrage remarquable – permet d’explorer cet enfer personnel.                                                          Renaud Meltz : La haine de soi, le complexe de sa laideur étrange, étrangère, la violence qui sourd dans cet homme caractérisent une vie de revanche. Revanche personnelle, et revanche sociale d’un fils d’aubergiste auvergnat devenu un homme politique et d’affaires parisien, riche, très riche.

Longtemps, on a présenté Laval comme l’héritier d’Aristide Briand, l’apôtre de la paix (1862-1932)…
Renaud Meltz : C’est vrai et faux. Vrai, puisqu’il s’attache à son sillage. Faux, car Briand est favorable au multilatéralisme dans les relations internationales. Laval y est clairement opposé. Briand est un humaniste, doux et cultivé. Laval n’est ni l’un ni l’autre. Il ne lit pas, et demeure d’une inculture crasse. De ce fait, il n’a pas une vision large des choses, ni ancrée dans l’Histoire. Et pour finir, il sabote la candidature de Briand à la présidence de la République. Il tue le père.

A vous lire, deux aspects semblent résumer Pierre Laval : son pacifisme sincère, et sa personnalité archaïque…                                                                                                                                                 Renaud Meltz : Laval est favorable à la paix, du début jusqu’à la fin. Attention ! Il n’est pas munichois en 1938 et admet une guerre défensive. Mais son patriotisme est terrien.
Il est de ce point de vue vichyste avant l’heure. Pour autant, il veut ignorer la dimension idéologique, passant de l’extrême gauche à la fréquentation des ultras de la Collaboration.
Des ultras auxquels il refuse l’entrée en guerre aux côtés de l’Allemagne, en 1942-1944.
C’est une personnalité archaïque, furieuse, âpre au gain, violente quand la douceur ou la drôlerie ne suffisent pas. Il recherche la complicité, pas l’amitié.

Le tandem Pétain-Laval forme un attelage étrange. La droite contre-révolutionnaire, avec Pétain, sans compter l’idolâtrie du sauveur de Verdun, dont la belle figure attire plus largement la nostalgie patriotique, et la personnalité sombre et drôlatique de Laval, …

…qui finit par catalyser toute la haine de soi d’une France honteuse de sa résignation. Laval puise dans cette impopularité croissante en 1942-44 un surcroît paradoxal de conviction : «Je ferais le bonheur des Français malgré eux !». L’homme-Laval est depuis toujours superstitieux jusqu’à la puérilité. Il offre le meilleur exemple des difficultés de la dissociation du religieux et du politique, lorsque l’apparente rationalité de l’homme moderne est sapée par des passions, celles de l’argent, du pouvoir et, plus périlleuse encore, la passion d’avoir raison. Laval n’a pas de recul sur lui-même. Il sera étonné qu’on veuille le fusiller.

L’étude du numéro 2 du régime de Vichy per- met de découvrir des dimensions jusqu’alors ignorées. Par exemple, le rôle des Etats-Unis…                                                                                                                  Renaud Meltz : En 1931, le journal «Time» fait de Laval l’homme de l’année. Relevons au passage que les Américains ne font rien pour sauver les démocraties européennes dans les années 1930, quand ils ne les combattent pas. Le père de Kennedy est à cet égard très caractéristique. Laval est lui fasciné par la puissance américaine. Sa richesse, son pouvoir ascendant. Le règne du tangible lui convient. Il ne se veut pas l’adversaire des Etats-Unis, alors qu’il ne dissimule pas son anglophobie, et Washington, en retour, demeure longtemps très compréhensive avec le régime qui copie les lois raciales de l’Allemagne nazie.

Vous rappelez que Laval se compare à Adolphe Thiers (1797-1877)….
Renaud Meltz : Oui. «Gérer» une défaite et assurer l’ordre social contre le «péril» révolutionnaire.

L’aspect qui découle de tout ce qui précède, c’est l’incohérence de Pierre Laval….
Renaud Meltz : Pendant l’Occupation, Laval, qui cumule les ministères -Intérieur, Affaires Etrangères, Information – du régime de Vichy fait l’éloge de la … République. Il rêve d’une République autoritaire sans Pétain, avec un Salazar qui s’appellerait Laval. Et il est obsédé par l’entente qu’en dépit de tout, l’Allemagne pourrait établir avec…l’Angleterre. Le petit homme perpétuellement renvoyé à son image d’étranger, désigné comme juif par Au Pilori, redoute une alliance de l’Europe du Nord. Il imagine une Europe du Sud, latine et
curieusement, catholique, opposée aux nations protestantes du Nord, dont l’hégémonie le hante.

“Pierre Laval. Un mystère français” de Renaud Meltz
Editions Perrin
Octobre 2018 1232 pages 32 €

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À propos de l’auteur
Renaud MELTZ

Renaud MELTZ

Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Haute-Alsace, directeur du CRESAT, Renaud Meltz a été en 2008 l’auteur d’une biographie remar- quée de Saint-John Perse. Il a codirigé un ouvrage sur les écrivains-diplomates et publié de nombreux articles sur les relations internationales et l’opinion publique.
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