16 février 2020 | N°6 Histoire Magazine

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Napoléon premier chef d’Etat «Manager»

par | N°6 Histoire Magazine

Manager ? On ne saurait trouver meilleur qualificatif pour Napoléon. Ce mot, d’origine italienne et française, emprunté à la langue de Shakespeare semble avoir été créé pour lui. Car les réalisations de l’Empereur forcent l’admiration : réorganisation de l’Etat, mise en place d’institutions, création d’un code civil. Et pour y parvenir, Napoléon avait toutes les qualités. Thierry Lentz nous en dit plus…

Article publié dans Histoire Magazine N°6

La chance de Napoléon n’est-elle pas de réunir sur sa personne toutes les qualités et les ambitions qui correspondent aux aspirations de la population à un moment donné, un besoin d’ordre et de stabilité ?

Thierry Lentz : La réussite d’un grand homme n’est pas certaine a priori. Outre ses qualités personnelles et ses compétences, il faut aussi que le destin lui fasse signe, que le moment soit propice. C’est en effet ce qui se passe pour le général Bonaparte au 18 brumaire. Il bénéficie de circonstances favorables, de la mauvaise réputation du Directoire à la préparation ancienne de la prise de pouvoir par Sieyès. Il est « le » général qui doit appuyer le vieux juriste- philosophe. Mais voilà, Bonaparte est bien plus que cela : il possède ce que Machiavel a appelé la virtù, mélange de volonté, de sens de la décision et de courage. C’est ce qui lui permet de dépasser les autres, qui sont des hommes de pouvoir ordinaires, et de « confisquer » leur coup d’Etat à son profit. Et comme son programme correspond aux attentes de la population, que sa notoriété est réelle dans le pays, nul ne s’en plaindra.

Après ces années de Révolution, la société française a besoin d’être organisée et là encore, Napoléon est l’homme de la situation …

Thierry Lentz : Napoléon l’a dit lui-même à de multiples reprises : il abandonne ce qu’il appelle le « roman » de la Révolution pour en tirer ce qui est praticable, réalisable et souhaitable. L’organisation générale du pays fait partie de ce qu’il ambitionne. Il est en effet l’homme de la situation, en
ce qu’il sait gouverner (il l’a prouvé en Italie et en Egypte), a beaucoup réfléchi à ce qu’il voulait faire (on ne dira jamais assez à quel point sa formation théorique a été approfondie) et, surtout, il sait s’entourer.

Thierry Lentz, vous voyez en Napoléon le premier chef d’Etat « manager ». Le génie de cet homme n’est-il pas de savoir se donner les moyens de ses ambitions ?
Thierry Lentz : L’ex pression de Jacques Jourquin- Napoléon est le « premier chef d’Etat manager »- est d’une justesse absolue. Bien sûr, il sait ce qu’il veut et a la force politique de le faire, mais il a aussi ce génie de trouver les hommes qui vont le seconder dans cette ambition. S’entourer, fixer des objectifs, suivre pas à pas l’action des collaborateurs, récompenser et sanctionner, trancher lorsqu’il y a un débat… c’est bien le portrait du « manager » et du chef. La génération qui arrive avec lui aux affaires n’est pas composée de jeunes gens, mais d’hommes d’expérience, comme Cambacérès, Lebrun ou Roederer. Ils ont eu l’habileté de traverser la Révolution presque sans encombre, ce qui est signe de prudence politique. Ils arrivent dans les palais gouvernementaux avec des projets qui conviennent au nouveau chef de l’Etat. Partant, avec un moment propice, la virtù du chef et les moyens politiques d’agir, avec le consentement des populations, donnent la recette de la réussite.

En deux ans, il va profondément réorganiser l’Etat. Quelles sont ses grandes réalisations ?
Thierry Lentz : Si Napoléon avait quitté le pouvoir en 1802, son œuvre aurait été presque achevée sur le plan de la définition et de l’adoption des réformes constitutionnelles, administratives, judiciaires, juridiques, etc. Tout a été mis en place en un temps record, à une époque où les moyens de communication étaient embryonnaires et, en tout cas, très longs à produire leurs effets. La chance du pays a été que cet homme exceptionnel ait encore eu ensuite une dizaine d’années pour asseoir, peaufiner et faire fonctionner cette France nouvelle. Quels que soient les défauts «domestiques » de Napoléon, il a montré toujours son exceptionnalité.

J’irai même plus loin : deux cents ans après, sans que l’on s’en rende compte, « Napoléon est en nous », par la structuration sociale due au Code Civil.

En dépit des réformes successives et qui s’accélèrent aujourd’hui, l’ossature reste et nous influence dans la vie de tous les jours. Je ne sais pas si nous pourrons encore le dire dans dix, vingt ou cinquante ans, mais c’est aujourd’hui encore peu contes- table. Napoléon reste bien l’organisateur et le créateur de la France contemporaine.

Thierry LENTZ : Directeur de la Fondation Napoléon et un des meilleurs historiens du Consulat et de l’Empire. Titulaire de la chaire Napoléon de l’ICES où il enseigne.

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