<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’invention du travail
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L’invention du travail

par | À la une, N°12 Histoire Magazine

Article publié dans Histoire Magazine N°12

Le travail est un champ de recherche pluridisciplinaire qui a connu un important renouvellement ces dernières décennies comme en témoignent de nombreuses publications, rencontres scientifiques ainsi que sa place au sein des programmes des collèges et lycées. Cet intérêt ne se retrouve-t-il pas, de manière directe ou non, au cœur de débats actuels sur le chômage ou les droits à la retraite? Travail en miettes, télétravail et burn out: la métamorphose des formes et des pratiques du travail n’est-elle pas en cours, alors que d’aucuns annoncent, purement et simplement, sa «fin»?

Comprendre ces perceptions du temps présent oblige à une réflexion sur l’invention du travail menée sur le temps long, car complexes ont été les rapports que les sociétés du passé ont entretenu avec le travail considéré tantôt comme une malédiction, tantôt comme une voie d’épanouissement. Il ne s’agit donc pas pour Olivier Grenouilleau de retracer dans cet ouvrage l’histoire technique, économique ou sociale du travail. De bonnes études existent pour cela. Il s’agit moins encore de débusquer le lieu et le moment où le travail aurait été inventé et d’en retracer l’évolution des formes, mais de rendre compte de la manière dont on a pensé et réinventé, au fil des siècles, les significations du travail. Celui-ci a pu, en effet, être considéré comme une malédiction et un moyen de rédemption, un facteur d’épanouissement et une source d’aliénation. Comment a-t-on pensé et repensé, dans le cadre des sociétés occidentales, la signification du travail, plus ou moins issue de la nécessité, et «porteur de sens, social voire spirituel»? C’est au décryptage de cette complexité mouvante que s’attache l’historien dont on connaît les précédents travaux dédiés au négoce maritime et à l’esclavage.

Trois questionnements scandent la réflexion menée sur la longue durée en croisant un large éventail de sources: le travail, un fardeau de l’homme entré en civilisation? Le travail, un mal pour un bien? Le travail, clé de la réforme sociale?

Des débats relatifs au Néolithique (âge béni pour les uns, âge maudit pour d’autres) à la révolution industrielle, en passant par les grands récits des origines de l’humanité, sans omettre les temps médiévaux jalonnés de poncifs maintes fois répétés, les approches semblent converger pour considérer l’invention du travail comme un traumatisme. Les humains ont-ils été créés pour être esclaves des dieux? Les Anciens méprisaient- ils vraiment le travail? Certes, le travail pour autrui, le travail salarié, le travail manuel ont été, pour des raisons socioéconomiques clairement identifiées, relativement discrédités. Néanmoins, le travail de la terre, poursoi ou les siens, ou dans l’atelier artisanal, demeurait empreint de dignité et pouvait également être perçu comme utile. Ainsi, le travail pouvait être, aux mêmes moments, considéré comme service entre les humains, et ce bien avant Adam Smith qui insiste, au XVIIIe siècle, sur la valeur d’échange associée au travail, au cœur de la richesse des nations.

Au terme d’un panorama foisonnant, Olivier Grenouilleau reconnaît les limites, géographiques et culturelles, de son enquête qui n’apporte, qui plus est, que le regard de l’historien et non celui du juriste, du philosophe ou du sociologue, malgré des emprunts faits à leurs domaines. Néanmoins l’ouvrage, qui ne constitue pas une énième histoire du travail, est novateur dans la mesure où il entend «penser et repenser la signification du travail.»

Car l’invention du travail ne se résume pas à un glissement d’un monde édénique que nous avons perdu, celui des chasseurs- cueilleurs sans travail, vers un ensemble de contraintes et de souffrances. «D’inventions en réinventions» les significations du travail ont évolué de manière non linéaire et les ambivalences de ses conceptions dominent dans le monde occidental, dévalorisé ou surestimé, à la fois porteur d’utopies sociales et source de révoltes. De la Mésopotamie aux travailleurs contemporains «chaque époque, chaque société a vu coexister et s’opposer des perceptions à la fois négatives et positives du travail», des perceptions parfois étroitement imbriquées. Les constructeurs sur fond bleu(1950), de Fernand Léger, qui illustrent la couverture de l’ouvrage pointent dans une certaine mesure cette complexité du travail à la fois labeur, relation humaine et création.

“L’invention du travail” par Olivier Grenouilleau295 pages, Editions Le Cerf, 2022. 20 €

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À propos de l’auteur
Gilbert BUTI

Gilbert BUTI

Gilbert Buti est Professeur émérite en histoire à l’université d’Aix-Marseille. Agrégé et docteur en histoire, chercheur à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme, laboratoire TELEMMe (CNRS-Aix-Marseille Université), spécialiste des économies maritimes et sociétés littorales dans le monde méditerranéen du XVIIe au début XIXe siècle, membre du GIS-Histoire et Sciences de la mer. Délégué pour la Méditerranée de la Société française d’Histoire maritime, président de l’académie du Var, il est auteur de nombreux ouvrages dont Histoire des pirates et des corsaires. De l'Antiquité à nos jours , CNRS Éditions, Paris, 2016 (avec Ph. Hroděj) et plus récemment, Rouge cochenille Histoire d’un insecte qui colora le monde, XVIe-XXIe siècle avec Danielle Trichaud-Buti CNRS Editions, 2021 et Les mutins de la mer. Rébellions maritimes et portuaires en Europe occidentale (XVIIe-XVIIIe siècles), avec Alain Cabantous, Paris, Cerf, 2022
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