Léonard naît le 15 avril 1452 à Anchiano, près de Vinci, petite bourgade de Toscane. Il est l’enfant illégitime de Ser Piero Fruosino di Antonio da Vinci, jeune notaire exerçant à Pise et à Florence. Cet « enfant de l’amour » ne sera pas élevé en marge de sa famille car il est le premier fils de ce « coq de village » qu’est son père. Il connaîtra peu sa mère, une jeune paysanne prénommée Caterina mais sera aimé par ses grands-parents. Son grand- père, Antonio, lui répète à longueur de temps : « Po l’occhio ! » (« Ouvre l’œil ! »), conseil que Léonard suivra avec assiduité. Il mène l’enfance d’un petit campagnard et ne sera pas un « lettré » (il n’apprendra que tardivement et de façon imparfaite le grec et le latin ).
Il se surnommera d’ailleurs vers 1490 « l’homme sans lettres » et « le disciple de l’expérience ». Sa grand-mère, Lucia, pratique la céramique et c’est peut-être elle qui initie Léonard au monde de l’art.
En 1469 (peut-être dès 1464), Léonard rejoint à Florence l’un des ateliers les plus actifs du Quattrocento, celui d’Andrea del Verrocchio, « orfèvre, maître en la perspective, sculpteur, graveur, peintre et musicien ».
En 1472, il est inscrit à la guilde de Saint-Luc de Florence ; sa formation est officiellement achevée mais il continuera à collaborer avec Verrocchio jusqu’en 1478.
En 1476, le nom de Léonard est mentionné dans une « sale affaire » dont les archives judiciaires de Florence gardent la trace. Il est accusé avec trois autres hommes de sodomie sur Jacopo Saltarelli. Les quatre jeunes- gens seront relevés des charges retenues contre eux (grâce à l’intervention de Laurent le Magnifique) mais Léonard a passé deux mois en prison et gardera un profond traumatisme de cet épisode scabreux.
En 1482, Léonard quitte Florence pour Milan et entre au service de Ludovic Sforza, dit le More, pour lequel ses talents dans le domaine de l’ingénierie feront merveille.
Délaissant le néoplatonisme en vogue à Florence, il s’installe dans une ville riche, moderne et industrieuse où domine l’influence d’Aristote qui est en phase avec l’empirisme de son caractère et de ses recherches.
C’est alors qu’il rédige ce prodigieux curriculum vitae adressé à Ludovic le More où il démontre l’étendue de ses savoirs.
En voici quelques extraits : « J’ai le moyen de construire des ponts très légers. Et des moyens de brûler et de détruire ceux de l’ennemi. J’ai les moyens de détruire toute citadelle dont les fondations ne posent pas sur la pierre. J’ai aussi des méthodes pour faire des bombardes, très commodes et faciles à transporter. Je ferai des chars couverts sûrs et inattaquables, l’infanterie pourra les suivre impunément et sans rencontrer d’obstacles ».
Mais il ajoute aussi : « Je puis exécuter de la sculpture, en marbre, bronze ou terre cuite ; de même en peinture, mon œuvre peut égaler celle de n’importe qui » (Codex Atlanticus ).
On ne saurait mieux dire !
Léonard demeure à Milan jusqu’en 1499 lorsque les armées de Louis XII, roi de France, s’emparent du duché.
Avant de regagner Florence, il séjourne à Mantoue, puis à Venise.
Durant dix mois, de 1502 à 1503, il travaille pour César Borgia, duc de Valentinois et fils du pape Alexandre VI, avec le titre de « capitaine et ingénieur général ».
En 1506, Léonard retourne à Milan au service des Français et tout particulièrement auprès de Charles d’Amboise, gouverneur français de Milan.
En 1513, Léonard part pour Rome où il bénéficie du mécénat de Julien de Médicis, frère du pape Léon X et futur duc de Nemours. Ce séjour romain demeurera la pire période de toute la carrière de l’artiste- ingénieur. Peu de commandes, de nombreuses rivalités et médisances, des déceptions multiples entraînent découragement et désillusion chez Léonard gagné par l’âge et par ce que notre époque nomme dépression.
Heureusement l’invitation de François Ier à venir travailler pour la Cour de France arrive à point nommé et c’est en France que Léonard, entouré et choyé par un roi qui lui confère le titre de « premier peintre, premier ingénieur et premier architecte du roi » et qui, dans l’intimité, le nomme
« padre », s’éteint à l’âge de 67 ans.
Ses multiples talents?
Autant de manières de voir le monde, les corps, les choses, la nature en variant seulement d’angle et de style.
Tour à tour peintre, sculpteur, architecte, urbaniste, ingénieur, anatomiste, metteur en scène, poète, philosophe, Léonard change de perspective mais pas d’œil.
Gloire de la Renaissance, Léonard nous donne des leçons pour le présent et pour vivre demain !
Dès l’âge de 14 ans, il est fasciné par les machines, qu’elles soient volantes, flottantes ou roulantes. Passionné de mécanique, il recherche et étudie tout ce que ses prédécesseurs ont écrit et dessiné sur les machines civiles ou militaires. Au passage, il ajoute tel ou tel détail, pour les perfectionner.
Il ne cessera jamais de s’intéresser au vol des oiseaux et la grande idée de Léonard est de libérer l’homme de la pesanteur terrestre pour qu’il puisse un jour se déplacer dans les airs mais aussi sous l’eau.
De l’hélicoptère au deltaplane, de la combinaison de plongée au sous-marin, que d’inventions étonnantes, visionnaires mais aussi abracadabrantes et purement spéculatives !
Estomper les contours entre mythe et réalité dans le domaine scientifique mais aussi effacer les bords et les arêtes en peinture, c’est ce que Léonard invente avec le sfumato qui donne l’illusion qu’un subtil voile de fumée nimbe les visages, les paysages, …, toute forme peinte.
« Ô peintre, ne cerne pas tes corps d’un trait » et « Veille à ce que tes ombres et lumières se fondent sans traits ni lignes comme une fumée dans l’air », ce sont les conseils d’un artiste de génie mais c’est aussi l’incarnation de la fluidité du regard et de la mobilité du monde en peinture.
L’œuvre peint de Léonard est extrêmement limité, autour d’une quinzaine de tableaux de chevalet ( suivant les spécialistes, entre 12 et 18 œuvres ).
Il comprend des peintures inachevées ( « L’Adoration des Mages » de la Galerie des Offices de Florence ou « Saint Jérôme » de la Pinacothèque du Vatican ), des compositions murales ruinées (« La Cène » de Santa Maria delle Grazie à Milan) ou disparues (« La Bataille d’Anghiari » du Palazzo Vecchio de Florence).
Ultime paradoxe : le peintre le plus célèbre du monde auteur et créateur de l’œuvre peint le plus réduit qui soit !
La fabuleuse « Scapigliata », conservée à la Galerie nationale de Parme, marque la limite entre dessin et peinture. Il s’agit d’un petit panneau de bois presque monochrome peint vers 1508 où la douceur irréelle de l’expression du visage de « l’Echevelée » contraste avec la force du relief suggéré par les puissantes oppositions entre zones de lumière et zones d’ombre.
Ce visage qui semble flotter dans une atmosphère irréelle où le temps est comme suspendu rivalise avec la sculpture et devient le paradoxe tangible d’une sculpture en deux dimensions.
De Giorgio Vasari : « Léonard fut vraiment admirable et céleste. La nature l’avait tellement favorisé qu’il arriva à l’excellence dans tous les domaines où il dirigea son esprit, sa pensée et son âme » à André Chastel : « L’apport de Léonard dans les thèmes, dans les modes de composition, dans les partis pris du style, déborde évidemment les imitations et les formules répandues par son atelier milanais ; c’est jusque dans la manière de Raphaël à Rome, dans celle de Giorgione et de Sebastiano à Venise, dans les subtilités de Corrège que les idées de l’admirable et célèbre fils de Ser Piero ont trouvé leur prolongement infaillible » et même à Marcel Duchamp qui, après avoir voulu défigurer La Joconde, assumera sa « jocondolâtrie » et reconnaîtra en Mona Lisa une icône de la peinture classique transformée en une figure emblématique de la mythologie moderne, les hommages se succèdent et se multiplient.
Le mythe de Léonard génie universel de la Renaissance était en marche et culminera dans la seconde moitié du XIXème siècle.
Jules Michelet fera de lui le « frère italien de Faust », un génie dont les talents ne pouvaient s’expliquer que par un pacte avec le Diable !