<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La part du fils
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C’était un secret de famille. « Dans ce pays de vents et de landes, on ne parle pas du malheur. » Et ce malheur était survenu un jour de septembre 1943, lorsque Paol est arrêté par la Gestapo, conduit à la prison de Brest, puis déporté dans les camps nazis pour un voyage sans retour. Jean-Luc Coatalem ne connaîtra jamais cet homme, son grand-père, sur les traces duquel il s’est lancé, pour découvrir qui il était et ce qui s’était passé, entre 1943 et sa mort survenue en mai 1944. L’ouvrage de Jean-Luc Coatalem était finaliste des prix Goncourt et Renaudot, et vient d’être couronné du prestigieux prix Giono 2019, c’est dire tout le talent de l’écrivain déjà récompensé par le passé de plusieurs prix littéraires parmi les plus prestigieux.
Entretien avec Jean-Luc COATALEM

Article publié dans Histoire Magazine N°6

Pourquoi cette histoire familiale est-elle restée cachée ?
Jean-Luc Coatalem : C’était un secret de famille, une histoire dont on ne parlait jamais. Je n’ai jamais connu mon grand-père paternel. Ses deux fils, mon père et mon oncle, par douleur ou par pudeur, ont gardé autour de cette histoire un silence pesant, presque hostile, parce qu’ils estimaient que c’était du malheur, notre malheur familial. Je savais très peu de cette histoire, sinon que Paol Coatalem (de son vrai prénom Camille) avait été arrêté en 1943 dans des circonstances restées énigmatiques. Les premiers documents que j’ai trouvés indiquaient «motif d’arrestation inconnu ».
La Gestapo l’avait ensuite amené à la prison de Pontaniou à Brest, et ensuite il fut déporté, d’abord à Compiègne, puis, Buchenwald, Dora, et enfin Bergen-Belsen où il trouva la mort. La légende courait qu’il avait été résistant en Bretagne.
Peu de preuves, en fait. Je ne trouvais rien d’effectif à ce sujet. Son fils Ronan, mon oncle (René de son vrai prénom), avait rejoint en 1943 les Forces françaises libres à Londres, sous le commandement de De Gaulle. Il était alors rentré en 1944 dans le contre-espionnage et on le retrouve ensuite en Afrique du Nord. Officier comme mon père l’est devenu également par la suite. J’étais confronté à trois images paternelles, mon grand-père, dont je ne savais rien ou presque, et ses deux fils peu enclins à se raconter. Armée de Terre, armée du Taire! Avançant en âge, il fallait que je creuse, que je soulève le voile.

Vous avez donc entrepris de mener votre propre enquête …
Jean-Luc Coatalem : J’ai d’abord mené des recherches en amateur, en fouillant les archives départementales, et en interrogeant les amicales de déportés, en assistant à des conférences, en essayant de rencontrer d’anciens déportés. Plus je creusais, plus je trouvais des éléments sur son parcours carcéral, Compiègne, Buchenwald, Dora où il est employé dans les usines souterraines de construction des V2 qui étaient ces armes révolutionnaires, puis sa fin à Bergen-Belsen. Je suis parvenu à contacter divers centres d’archives, des historiens français et allemands qui travaillaient sur Dora. J’ai retrouvé de rares déportés qui étaient à Dora à la même période que lui, ce qui m’a permis de reconstituer le parcours de ce grand-père. A la suite d’une interview dan un journal breton, j’ai été contacté par un monsieur de 83 ans qui, lui, avait des informations. Sa mère était présente le jour même de l’arrestation. Elle était la secrétaire de mon grand-père, et elle avait maintes fois raconté à son fils l’épisode tragique de l’arrestation tant elle en avait été choquée.

Quels ont été les fruits de vos investigations ?
Jean-Luc Coatalem : Ma famille était originaire de Brest et elle avait dû quitter la ville en raison des bombardements. Mon grand-père avait trouvé un travail à Plomodiern, dans une entreprise de BTP, où il était chef- comptable, près de Douarnenez, à l’orée de la presqu’île de Crozon. Depuis
mars 43, il appartenait à la Résistance (Libération Nord) et fabriquait des faux papiers pour les réfractaires du STO.
J’ai pu mettre la main sur trois attestations de service, FFI et Résistance intérieure. Mais il n’était qu’un petit rouage de la Résistance locale comme d’autres à cette époque. Il n’empêche qu’il fallait du courage pour s’engager ainsi et il le paiera de sa vie. Finalement, j’ai découvert que mon
grand-père avait été dénoncé, à la suite d’une vengeance, et j’ai même retrouvé l’auteur de la lettre à la Gestapo. Un Alsacien. Interprète de la Todt qui, pour les chantiers, travaillait avec lui. Je ne révèle pas son identité. Mais j’ai son nom et son adresse.

Histoire familiale ou roman historique ?
Jean-Luc Coatalem : Etant romancier, je ne voulais pas m’en tenir à un récit uniquement biographique. Je voulais « réinventer » ce grand-père, ne pas en faire qu’une victime de la bureaucratie et de l’engrenage nazi, lui donner de l’ampleur, à lui et aux personnages autour de lui. Leur accorder une respiration. De l’air ! Mais, chaque fois que j’ai extrapolé, je le dis clairement dans mon récit pour ne pas tromper mon lecteur, ni faire passer ce grand-père pour un super-héros. Il avait été dans l’infanterie coloniale en Indochine, j’avais quelques photos sépias de lui à Saïgon, ou sur les bords du Mékong, et j’ai voulu à partir de là réenchanter ce que je savais, tout en apportant ma part d’invention, de romanesque. Parfois, la fiction m’a paru être la meilleure arme pour attraper le réel. C’est ma liberté à moi d’écrivain, de créateur.
Certes, cette histoire familiale se situe dans une geste historique qui débute en 1914 lorsque ce grand-père est mobilisé, puis continue durant la Seconde Guerre mondiale où il est mobilisé puis démobilisé. Enfin, il dans la Résistance et est dénoncé. Son fils aîné est parti clandestinement trois semaines avant rejoindre les Forces françaises libres, et mon père, qui a douze ans, est devenu malgré lui l’héritier de cette histoire lourde. Le grand-père ne reviendra jamais. Le fils aîné ne cessera de prendre la fuite… Chaque fils doit porter une part de l’histoire familiale, qu’elle soit malheureuse ou glorieuse.

La Seconde Guerre est encore présente, c’est l’histoire de nos pères et de nos grands-pères, une histoire très proche de nous. William Faulkner disait : « le passé ne passe jamais ».

Le passé est plus ou moins là autour de nous, et je l’ai vu de manière flagrante tout d’un coup en rencontrant ce vieux monsieur qui avait déporté à Dora et me racontait ce qu’il avait vécu ou cet enfant qui avait entendu le récit de sa mère. Oui, le passé est là. Toujours. Il y a une co-présence des temps.

La part du fils de Jean-Luc Coatalem
Editions Stock Août 2019
270 pages – 19 €

Jean-Luc Coatalem, écrivain et rédacteur en chef adjoint à Géo, a publié notamment Je suis dans les mers du Sud ( Grasset, 2001, prix des Deux-Magots), Le gouverneur d’Antipodia ( Le Dilettante, 2012, prix Nimier), Nouilles froides à Pyongyang (Grasset, 2013) et chez Stock, Fortunes de mer (2015) et Mes pas vont ailleurs (2017, prix Femina Essai)

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