
Ecrivain, essayiste, membre de l’académie Goncourt, Pascal Bruckner s’est fait connaître comme « nouveau philosophe » dès les années 70 puis par une trentaine de titres traitant des problèmes de notre temps, comme « Une brève éternité » (Grasset, 2019) touchant à l’allongement de la durée de la vie. On a surtout en tête le fameux « Sanglot de l’homme blanc : Tiers-Monde, culpabilité, haine de soi », paru aux éditions du Seuil dès 1983 et mettant à jour les paradoxes, pour ne pas dire certaines aberrations du discours « dé-colonialiste ».
Son plus récent ouvrage « Un coupable presque parfait, la construction du bouc émissaire blanc » (Grasset, 2020) rend compte des évolutions de la pensée dominante « à gauche », avec son triptyque : race, genre, identité. Entretien…
Depuis les années 1980, l’évolution est sensible, on est passé de quelques discours sans grands échos au déboulonnage matériel de statues de Victor Schloecher, de Faidherbe, et — on ne peut que le constater — un climat d’agressivité, revendiquée, affichée, à l’encontre des valeurs qui semblaient, depuis 1945, universelles. Depuis la publication de votre ouvrage « Le sanglot de l’homme blanc. Tiers-monde, culpabilité, haine de soi » en 1983, que s’est-il passé ?
Pascal Bruckner : Les choses se sont clairement aggravées depuis 1990. Au discours tiers-mondiste « classique », qui visait une libération des peuples, un accès à la dignité de chacun, a succédé la réduction de la pensée au biologique. Sur un plan chronologique, historique, la chute du mur de Berlin (1989) a désagrégé les gauches occidentales. Des valeurs qu’on pensait acquises depuis 1945 — progrès, liberté, et surtout universalisme — ont cédé la place à des standards importés des États-Unis : le genre (masculin/féminin), l’identité (culturelle, nationale…) et la race (blanc/noir).
Il est paradoxal, à vous entendre, que cette « seconde américanisation », peu niable depuis la fin des années 1980, provienne des États-Unis, le pays pourtant à l’origine de la Libération de 1945 et terre d’accueil de l’ONU…
Pascal Bruckner : Ce retournement, cette haine de soi trouve son origine dans la lutte pour les droits civiques où les États-Unis échappent de peu à l’apartheid. À partir de là, deux voies s’ouvrent : celle de Martin Luther King qui veut réconcilier les Américains indépendamment de leur couleur de peau et celle des différentialistes qui divisent la société en minorités ethniques, sexuelles, religieuses juste unies par leur opposition aux Wasp, les Anglo-saxons protestants et blancs qui ont dominé le pays pendant des siècles. Aujourd’hui, à gauche du moins, cette idéologie triomphe. Le Blanc est celui qui doit demander pardon d’exister face à tous les autres citoyens. On a réinventé pour lui le péché originel.
Mais en quoi ce débat racialiste qui a effectivement animé les Démocrates américains — on se rappelle certaines « envolées » de Mac Govern dès 1972, comme celles du « métis » Barack Obama (2009-2017) — concerne-t-il la France ?
Pascal Bruckner : Le débat a été clairement importé, au même titre que les premiers Mac Do ou les premiers ordinateurs. N’oubliez pas ces universitaires français qui n’ont eu de cesse de passer de Vincennes à Harvard/Berkeley pour réimporter ensuite les valeurs dominantes. Cette idéologie à l’origine vient des universités françaises, surtout Vincennes et Normale Sup après 68 où de «brillants penseurs», tels Derrida (1930-2004) inventeur du « phallologocentrisme », Deleuze (1925-1995), Guattari (1930-1992) élaborent des concepts qu’ils vont exporter outre-Atlantique et surtout le fameux « phallologocentrisme»de Derrida censé condamner le monde occidental à jamais. Une triade dénonçant les phallocrates blancs possesseurs de richesses, machistes et racistes. Il fallait déconstruire la société… pour édifier une autre pyramide. Car derrière la pensée et l’action militante, demeure l’enjeu de …. (s’abonner pour lire la suite – 0€ le premier mois puis 3,50 €/mois version papier livrée à domicile et version numérique)