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Fabrication d’un collabo – le cas Joseph Laporte (1892-1944)

par | Les collabos : par delà le bien et le mal, N°6 Histoire Magazine

Le 9 août 1946, deux gendarmes de la brigade de Montclar dans l’Aveyron se rendent dans la commune voisine de Plaisance, « à l’effet d’entendre » un certain capitaine Laporte, ayant appartenu à la LVF. L’individu en question est absent, son logement inoccupé. Et pour cause, le capitaine Laporte a été condamné à mort et fusillé deux ans auparavant. A son domicile, les deux gendarmes collectent consciencieusement tous les papiers personnels du défunt et les expédient à Montpellier où ils seront archivés. Les documents de toute une vie, photographies de paysages exotiques, de scènes de chasse africaine, d’hommes revêtus de l’uniforme nazi, carnets, pièces notariales, vont permettre à Philippe Secondy de reconstituer avec précision le parcours
de l’individu, militant fanatique façonné et fasciné par la violence. Entretien avec Philippe SECONDY

Article publié dans Histoire Magazine N°6

Le capitaine Joseph Laporte est condamné à mort le 4 octobre 1944, et fusillé. Le Commissaire du gouvernement lui dira au moment du verdict : « Vous avez cinq fois mérité la mort ». Qu’avait-il fait ?

Philippe Secondy : Durant l’année 1944, le capitaineLaporte est le délégué départemental de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme dans le Tarn. Il épaule la Gestapo et le Feldgendarmerie qui cherchent à démanteler les maquis du Tarn. Laporte parade dans les rues avec les nazis, fournit des renseignements précis sur l’organisation territoriale de la résistance, signale des convois de FFI, livre des « patriotes » et combat aux côtés des Allemands notamment lors de la libération de Carmaux.

Pour tous ces faits, le tribunal militaire du Tarn l’inculpe de trahison et d’intelligence avec l’ennemi.
Vous vous êtes penché sur le parcours de ce « collabo » qui va épouser de manière obsessionnelle et paroxystique les idéaux des dirigeants du Troisième Reich. Un parcours qui commence avec la Première Guerre mondiale …

Philippe Secondy : Né en 1892 à Montpellier, Joseph Laporte est un modeste cultivateur installé dans l’Aveyron. Agé de 21 ans quand la guerre éclate, il est sous les drapeaux à Nice au sein du 163ème régiment d’infanterie et part immédiatement sur le front. Le simple poilu gravit en quelques mois l’échelle hiérarchique. En mars 1915, Laporte accède au grade de sous-lieutenant. Cet élan sera stoppé quatre mois plus tard lors de la bataille d’Argonne. Capturé par l’ennemi, le jeune héraultais est placé dans un camp de prisonnier près d’Hanovre jusqu’en décembre 1918.

Joseph Laporte va par la suite s’engager dans « la Coloniale ». Quelle en est alors sa motivation ?       

Philippe Secondy : Peu de temps après la fin de la « boucherie de 14-18 », celui qui vient de se marier décide de signer un contrat d’engagement dans l’infanterie coloniale.
Alors que la très grande majorité des poilus qui ont échappé à la mort dans ce séisme mondial se réjouissent de s’éloigner de la fureur du front, Laporte souhaite très vite renouer des liens avec l’institution militaire et découvrir un nouveau théâtre d’opération. Comme je l’explique dans l’ouvrage, nous sommes face à un individu qui a le goût de la guerre. Sa vocation naît en première ligne et ne le quittera plus. Ernst Jünger a bien montré dans La guerre comme expérience intérieure que les conditions de vie extrêmes suscitent une forme de griserie chez certains combattants. Joseph Laporte se rattache à cette catégorie méconnue.

Vous évoquez cette période comme étant celle d’un « ensauvagement » …                                               

Philippe Secondy : Joseph Laporte rejoint l’Afrique équatoriale française. Plus précisément, il occupe des fonctions au sein de l’armée en Oubangui-Chari jusqu’en 1933. Durant cette période, il va notamment devenir chef de la subdivision de Baïbokoum, un vaste territoire situé dans le nord-ouest du pays. Très peu d’Européens y sont présents et l’autorité coloniale rencontre des difficultés pour asseoir sa légitimité.
Nous le voyons en particulier durant un épisode méconnu de notre histoire contemporaine que l’on appelle la guerre du kongo-wara. Elle touche le Moyen-Congo, le Cameroun et l’Oubangui-Chari. On estime qu’environ 50 000 « indigènes » contestent l’ordre politique en place de 1928 à 1931. Dans les archives privées de Joseph Laporte, nous observons la stratégie répressive mise en place. Le lieutenant de l’infanterie coloniale érigé en « phénomène » par sa hiérarchie se livre à de véritables expéditions punitives. Au-delà de la période de la guerre du kongo-wara, le Languedocien se conduit en despote dans son royaume de Baïbokoum.
Totalement indiscipliné, il est écarté par l’armée.

Laporte voit avec l’avènement du nazisme en Allemagne et du fascisme en Italie une sorte de « révolution anthropologique ». Que voulez-vous dire ?

Philippe Secondy : En 1933, Laporte déçu par une armée qui ne comprend pas « son œuvre » construite en Afrique, c’est ainsi qu’il s’exprime dans ses écrits, fait valoir ses droits à la retraite. Dès son retour, il s’engage en politique et suit attentivement les expériences totalitaires en Italie et en Allemagne visant à réhabiliter un ordre naturel. En son sein, les espèces et les races s’entretuent pour maîtriser l’espace vital. La loi du plus fort y domine. Les vertus guerrières sont louées. Hitler prône une organisation sociale et politique fondée sur la communauté de combat. Ce qui enchante celui qui embrasse la carrière militaire après s’être épanoui dans les tranchées.

Le capitaine Laporte s’engage dans la LVF et recherche avant tout l’affrontement physique…

Philippe Secondy : En 1941, Hitler jette son armée à l’assaut de l’URSS. En France, la Légion des volontaires
français contre le bolchevisme (LVF) regroupe des militants de l’ultra-collaboration autour de Jacques Doriot, disposés à épauler la Wehrmacht. Une importante campagne de propagande s’organise pour attirer de nombreux français dans cette aventure guerrière. Joseph Laporte répond immédiatement à l’invitation au combat contre le « péril communiste » qui l’obsède. Après quelques semaines d’instruction en Pologne,
le néo-aveyronnais participe aux opérations aux portes de Moscou dans un froid polaire où il gagne ses galons de capitaine. Alors que les nazis raillent souvent les légionnaires, peu aptes au combat, certains tirent leur épingle du jeu. Ce fut le cas de notre objet d’étude.

Pourquoi est-il écarté du front russe ?

Philippe Secondy : Après les combats de l’hiver 1941, la LVF connaît des restructurations et de nouvelles périodes d’instructions. Au cours de cette période, Joseph Laporte se serait blessé. Il aurait été, selon lui, aussi l’objet de règlements de comptes au sein de la nébuleuse collaborationniste.

Au mois de mai 1942, il regagne la France en étant profondément écœuré d’abandonner ses camarades. Revenu en France, Laporte affiche ouvertement un fanatisme exacerbé …                                               

Philippe Secondy : C’est ce qui frappe constamment en parcourant ses écrits personnels. Lorsqu’il remplit une fiche administrative demandée par la LVF, Laporte ne se contente pas de répondre au questionnaire proposé. Il rajoute ces quelques mots afin de prouver à sa hiérarchie qu’il se range ouvertement dans la catégorie des fanatiques : « A toujours milité activement contre la maçonnerie, la juiverie internationale et tous les gouvernements français qui en ont été les émanations ». Au-delà des mots, il n’aspire qu’à une chose : retrouver le front russe. Laporte inonde de lettres tous les organismes collaborationnistes et les exhorte à l’envoyer combattre. « Ma vie ne compte pas », écrit-il.

Combien le département du Tarn où est basé Laporte compte-t-il de militants ?

Philippe Secondy : Dans cet espace géographique, les effectifs des mouvements favorables à la collaboration
correspondent en gros à ceux observés dans l’Aveyron, l’autre département dans lequel sévit Laporte. Les études liminaires évaluent le nombre de militants à 693, répartis ainsi : SOL (221), Milice (290 dont 28 femmes), PPF (84 dont 8 femmes), Groupe Collaboration (42 dont 5 femmes), LVF (36) et divers (20). Sur une population totale de 300 000 habitants, on dénombre 2,3 « collabos » pour 1000 habitants.

Dans sa traque des maquisards, Laporte renoue avec son goût pour la chasse et se montre sans pitié …

Philippe Secondy : Le goût invétéré pour la chasse a été peaufiné par Laporte en Afrique à la fois sur les animaux et sur les êtres humains. De retour sur un territoire qui l’a vu grandir, entre l’Aveyron, l’Hérault et le Tarn, le soldat politique se lance dans la traque des maquisards en bénéficiant de l’appui de l’Etat milicien, des « collabos » locaux et du soutien logistique de la Feldgendarmerie. Il scrute, caché dans la Montagne noire, les maquis en construction, épie les mouvements des convois clandestins et rédige des rapports destinés à éclairer les nazis. Laporte participera ensuite aux opérations de démantèlement lancées avec l’appui de la
Gestapo de Toulouse qui visent ce qu’il appelle les « bandes terroristes ». Celui qui n’hésite pas à porter l’uniforme des nazis aura dans la région une réputation sulfureuse. Ce qui amène, comme nous l’avons vu, le commissaire du gouvernement a lui adressé cette phrase cinglante lors de son procès : « vous avez cinq fois mérité la mort »…

Philippe SECONDY : Docteur en science politique, Philippe Secondy travaille sur l’histoire du Languedoc, la naissance des partis politiques et la Seconde Guerre mondiale.
Il a notamment publié La persistance du Midi blanc. L’Hérault (1789-1962), Presses universitaires de Perpignan, 2006 et Fabrication d’un collabo. Le cas Joseph Laporte (1892-1944), CNRS Editions, 2019.

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