Article publié dans Histoire Magazine N°2
Auteur d’une biographie sur Marie-Louise de Hasbourg-Lorraine, Charles-Éloi Vial revient pour HISTOIRE MAGAZINE sur sa relation avec Napoléon, à partir de son mariage en 1810, symbole d’une paix fragile entre la France et l’Autriche, jusqu’à la chute de l’Empire.
Comment une jeune archiduchesse de 18 ans se retrouve-t-elle mariée à l’empereur des Français ?
Charles-Éloi Vial : En se séparant de Joséphine en décembre 1809, Napoléon cherche à avoir un héritier, mais aussi à asseoir son système européen en fondant une alliance forte avec un autre Empire. Il aurait souhaité épouser la sœur du tsar afin de renforcer ses liens avec la Russie, mais doit se contenter de l’Autriche, deux fois vaincue par la France, en 1805 et 1809. Il entrevoit malgré tout l’intérêt de créer un nouvel axe Paris-Vienne, comparable à celui qui avait existé avec le renversement des alliances voulu par Louis XV en 1756. Ces considéra tions diplomatiques mises à part, l’empereur comprend qu’il entre ainsi dans une des familles les plus anciennes d’Europe, ajoutant de ce fait Louis XVI et son épouse dans son arbre généalogique. Il en tire un surcroit de légitimité et une immense fierté. Marie-Louise arrive en France en mars 1810, terrifiée à l’idée de régner sur le peuple qui avait décapité sa tante Marie-Antoinette et persuadée de tomber dans les bras d’un tyran intransigeant et autoritaire. A sa grande surprise, la cour impériale est aussi fastueuse que celle d’Autriche, les Français lui font bon accueil et les splendides fêtes du mariage le 1er avril 1810 lui font entrevoir un avenir plutôt heureux au côté de Napoléon.
Que peut-on dire sur le couple qu’ils forment ?
Charles-Éloi Vial : Bien qu’il s’agisse d’un mariage politique, Marie-Louise et Napoléon s’entendent très bien. Il se montre attentionné à son égard et s’efforce d’être le meilleur mari pour elle. Elle n’a que 19 ans à son arrivée en France et elle est encore immature et inexpérimentée. Pendant ses premières semaines, elle ressent une profonde solitude, sa famille lui manque, elle ne connait personne et les mœurs françaises lui sont complètement
étrangères. Elle doit aussi s’habituer à son nouveau mari, et faire sa conquête. Si Napoléon est d’emblée séduit par cette jeune fille blonde aux yeux bleus, l’empereur plaît aussi à Marie-Louise, malgré leur différence d’âge. Quarantenaire, Napoléon a pris soin de lui, perdu un peu de poids et fait l’effort de dompter son mauvais caractère. Elle se rend malgré tout rapidement compte que l’empereur peut s’énerver, contre ses domestiques comme contre ses ministres, et même contre elle : après avoir essayé une fois de s’introduire dans le cabinet de l’empereur alors qu’il y travaille, elle essuie un tel esclandre qu’elle ne s’y risquera plus jamais ! En revanche,
Napoléon va l’encourager à prendre de l’assurance : il l’incite à prendre des leçons de peinture et de musique, lui permettant de développer sa fibre artistique.
Elle apprend même à monter à cheval et chasse à courre avec lui, chose peu courante pour les femmes de l’époque. Après un bref temps d’adaptation, à la surprise de l’Europe entière et tout particulièrement de l’empereur François
Ier d’Autriche, qui était persuadé de marier sa fille à un «monstre », Marie-Louise s’avoue parfaitement heureuse en France. Elle va s’y faire des amies, comme la duchesse de Montebello, veuve du maréchal Lannes, et se plaire dans les demeures impériales, y compris le Petit Trianon de Marie-Antoinette. Preuve de la réussite de ce mariage, elle tombe enceinte au bout de quelques semaines de mariage seulement.
Comment Napoléon et Marie-Louise vivent ils au quotidien ?
Charles-Éloi Vial : Les deux souverains vivent une véritable lune de miel, qui débute à leur mariage le 1er avril 1810, et ne s’achève qu’en juin 1812, quand Napoléon part pour la campagne de Russie. Les deux époux sont inséparables, jouent aux quilles, aux cartes, font des promenades à cheval et des petits dîners en amoureux. L’Empire est en paix, et les deux époux en profitent pleinement. Napoléon a d’ailleurs besoin de prendre un peu de repos après des années de guerre incessantes et pour lui, fonder une famille et profiter de la douceur du foyer est un véritable rêve qui se réalise. La naissance du roi de Rome le 20 mars 1811 les rapproche encore : contrairement aux ragots, Marie-Louise est une mère attentionnée, tandis que Napoléon, tout à la joie d’avoir un héritier, est un véritable papa-poule. Un très beau tableau d’Alexandre Menjaud, qui date de 1811, montre Napoléon, Marie-Louise et leur fils à table, entouré de quelques serviteurs. L’empereur tient son fils dans les bras et son épouse les regarde avec tendresse. Ils viennent de déjeuner ensemble et Napoléon s’apprête à repartir s’enfermer quelques heures dans son bureau, mais tout respire la sérénité et le bonheur dans cette peinture. Il en va de même des nombreuses scènes les représentant en promenade en calèche ou à pied dans les jardins du château de Saint-Cloud. Dans l’intimité de leur salon, ne l’appellet-il pas « mio dolce amore » ?
Finalement, la chute de l’Empire ne vient elle pas gâcher leur histoire d’amour?
Charles-Éloi Vial :
Pour Marie-Louise, la catastrophique campagne de Russie marque finalement la fin de l’insouciance.
Son mari perd son armée dans les plaines de Russie en 1812 et toute l’Europe se ligue peu à peu contre lui. Elle a à peine le temps de profiter de quelques dernières semaines avec Napoléon au printemps puis à l’hiver 1813. Nommé régente de l’Empire, Marie-Louise va même devoir gouverner à la place de l’Empereur pendant presque une année. S’il lui manque terriblement, elle va aussi prendre goût au pouvoir. Au grand étonnement des ministres qui l’entourent, elle préside tous les conseils, travaille en tête à tête avec les ministres et signe des centaines de décrets, jusqu’à la chute de Napoléon en avril 1814. Elle est à ce moment déprimée, abattue, et ne rêve que de le rejoindre à l’île d’Elbe. C’est Napoléon qui insiste pour qu’elle parte se reposer dans sa famille en Autriche. Prêtant l’oreille aux mauvaises langues de la cour des Habsbourg, et recevant aussi les confidences de son entourage français, elle y apprend les infidélités de l’empereur, avec Marie Walewska et d’autres femmes encore. Déçue, elle se laisse séduire par le général Neipperg et finit par tomber sincèrement amoureuse de lui. Follement épris d’elle, il deviendra d’ailleurs en 1821 son second époux. A l’automne 1814, Marie-Louise comprend peu à peu que tout avenir avec Napoléon, mis au ban de l’Europe, est désormais impossible. Définitivement séparée de son mari qui terrorise à nouveau tout le continent avec l’épisode des Cent-Jours, elle reporte toute son affection sur son fils, obtenant de le faire élever à la cour de Vienne. Elle obtient, quelques jours avant Waterloo, la souveraineté sur le duché de Parme où elle règne jusqu’à sa mort en 1847, appliquant les leçons de gouvernement prodiguées par Napoléon à la fin de l’Empire. Elle aurait rêvé que son fils lui succède, mais l’héritier de l’Empereur fait peur à l’Europe, et il meurt en 1832, trop jeune
pour qu’elle puisse favoriser sa carrière. Si Marie-Louise n’a pas pardonné à Napoléon ses infidélités, elle n’a pas oublié non plus les quelques années de bonheur à ses côtés : son palais de Parme est rempli de tableaux et de bustes évoquant son souvenir, et ses lettres d’amour sont rangées dans le tiroir de sa table de nuit. A la veille de sa mort, elle devait encore regretter cette funeste campagne de Russie, et rêver à ce que sa vie aurait pu être, si elle avait vécu paisiblement aux côtés de Napoléon…
BIOGRAPHIE: Archiviste paléographe, docteur en histoire de l’université Paris Sorbonne, Charles-Éloi Vial est conservateur à la Bibliothèque nationale de France, au département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France. Il est notamment l’auteur, chez Perrin, d’un très remarqué Les Derniers Feux de la monarchie paru en 2016, La famille royale au Temple, sorti en août dernier et publie cet automne «Napoléon à Sainte-Hélène» aux éditions Perrin.