<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Entretien avec Alexandre Maral. Les  derniers jours  de  Versailles

18 juillet 2018 | Entretiens, N°1 Histoire Magazine

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Entretien avec Alexandre Maral. Les derniers jours de Versailles

par | Entretiens, N°1 Histoire Magazine

Article publié dans HISTOIRE Magazine N°1

Au temps de la cour, immuable, ritualisé succède un temps imprévisible, innovant. 1789 est la dernière année de Versailles comme lieu de pouvoir. Alexandre Maral retrace les principales étapes de cette destruction plus ou moins inéluctable, qui permet de comprendre au-delà des erreurs et des occasions manquées, les processus mis en œuvre contenant en germes la proclamation de la République et la condamnation à mort du souverain. Alexandre Maral nous livre un récit inédit de ces derniers jours de Versailles. Captivant…

Dans votre ouvrage « Les derniers jours de Versailles », vous retracez par le menu le déroulement de l’année 1789 à Versailles, non sans rappeler, en préliminaire, le contexte et les évènements qui mènent à la Révolution…
Alexandre Maral : En écrivant ce livre, mon but a été d’explorer la grande histoire de l’année 1789 – année fondatrice à bien des égards – en adoptant le point de vue de ceux qui l’ont vécue à Versailles. Non pas de la petite histoire, mais de la micro-histoire, qui cherche à mieux comprendre les grands événements en détaillant leur contexte et les intentions de leurs acteurs.

Fin 1788, le pouvoir royal peut se montrer satisfait dans une certaine mesure …
Alexandre Maral : Fin 1788, le pouvoir royal est déjà bien ébranlé, les années 1787 et 1788 ont été le théâtre d’un courant d’opposition sans précédent par sa radicalité politique. Pour autant, en annonçant le principe du doublement du nombre de députés du tiers état aux futurs états généraux, le pouvoir royal semble prendre le parti du peuple contre les privilégiés de tous bords, qui se sont déchaînés contre lui. Cette annonce peut se comprendre dans la continuité de ce que les historiens ont appelé la révolution royale, menée à l’initiative du pouvoir royal pour moderniser le pays et mettre fin à certains abus et privilèges.

Que penser du choix de Versailles pour les états généraux ?
Alexandre Maral : Le choix de Versailles est lié au fait que les deux assemblées des notables de 1787 et 1788 s’y sont déjà tenues. Versailles est le siège du pouvoir. Versailles offre un espace susceptible d’accueillir 1200 députés : c’est la salle des Menus-Plaisirs (aujourd’hui le centre de musique baroque de Versailles, au 22, avenue de Paris). La ville de Versailles est aussi en mesure d’accueillir les députés, car les Versaillais peuvent les loger chez eux. Enfin, Versailles est une ville plus tranquille que Paris.

Depuis l’automne 1787, la France est frappée par une crise 

agricole terrible. Les tensions économiques et sociales sont fortes. Des émeutes se multiplient au printemps 1789 …
Alexandre Maral : Le 14 juillet 1788, un violent orage compromet la récolte en Île-de-France. L’hiver 1788-1789 est très froid, surtout en janvier. Une violente émeute, violemment réprimée aussi, se déroule à Paris en avril 1789. Tout ce contexte est propice à une radicalisation de la situation.

La vie à Versailles, en ce début d’année 1789, semble immuable…
Alexandre Maral : Les rituels de cour se maintiennent, comme si de rien n’était : cérémonies de l’ordre du Saint-Esprit, présentations, serments de prélats (y compris le 14 juillet !), repas des souverains au Grand Couvert, etc.
Pour le roi et les courtisans, c’est comme si le temps de Versailles, fondé sur la répétition immuable des mêmes gestes, ne devait jamais cesser. Ce temps de la cour est en fait assez vite balayé par le temps de l’Histoire, écrit par les députés et le peuple de Paris. Le basculement s’opère une première fois en juillet, puis définitivement en octobre, lorsque le château est envahi.

Louis XVI ne semble pas avoir pris la mesure de ce qui s’est joué le 17 juin 1789…Alexandre Maral : Le 17 juin est sans doute la date la plus importante de l’année 1789. En se proclamant Assemblée nationale, les députés du Tiers état, rejoints par une poignée de ceux du clergé, opèrent un transfert de souveraineté. Le roi n’est plus souverain, et on peut dire que de cette décision découle tout le reste, y compris le procès et l’exécution de Louis XVI. Ce dernier est loin de s’imaginer la gravité de la situation, mais il n’est pas le seul. Pour la plupart, les députés sont également inconscients de ce que représente cette mesure.

Les événements des 5 et 6 octobre 1789 sont lourds de conséquences, ils ont raison du système de Versailles …
Alexandre Maral : Le 5 octobre, les femmes de Paris viennent à Versailles réclamer du pain. Elles sont suivies par les gardes nationaux de Paris, qui restent sur place le soir. Au matin du 6 octobre, le palais est envahi, la reine manque de peu d’être assassinée, le roi est contraint d’annoncer qu’il se transporte avec sa famille et sa cour à Paris. Versailles cesse d’être résidence du pouvoir. Le monarque a perdu son indépendance, il est comme prisonnier des Parisiens.

Portrait de Marie-Antoinette, dauphine au moment de son mariage le 16 mai 1770. Par François-Hubert Drouais (1727-1775). Musée Condé.

Ils marquent aussi l’irruption de la violence et de la peur …
Alexandre Maral : La violence a commencé en fait dès le 24 juin, avec l’attentat perpétré contre l’archevêque de Paris, ce qui a beaucoup impressionné le roi. En octobre, cette violence se manifeste lors de l’invasion du palais : des portes sont brisées, des gardes du corps sont décapités à la hache, leurs têtes sont brandies au bout de piques. Tout cela ne s’était jamais vu jusque-là dans l’univers policé de la cour.

Que penser du choix de ce repli sur Paris et d’installer la cour aux Tuileries ?
Alexandre Maral : Il ne s’agit pas vraiment d’un choix : le roi est contraint de paraître au balcon de la cour de Marbre, où la foule réclame son installation à Paris. On se dit, avec raison, que si le roi est à Paris, la ville sera mieux ravitaillée. Le palais des Tuileries est le seul à pouvoir être habité dans l’immédiat – le Louvre étant alors en plein réaménagement pour devenir musée.

Fruit d’un trop grand isolement auquel le condamne depuis l’enfance le système de Versailles, écrivez-vous, il ne perçoit pas l’ampleur de cette révolution …
Alexandre Maral : Versailles a été pensé par Louis XIV comme un palais destiné à mettre en scène la monarchie, sa splendeur, sa capacité à répandre ses bienfaits. C’est en quelque sorte une vitrine du pouvoir, largement accessible. Au XVIIIe siècle, le système est victime de son succès. Face à une demande accrue de visibilité et d’accessibilité, le souverain tend à se replier, à s’isoler. Il en perd le lien essentiel entre le roi et son peuple, pour qui Versailles est de plus en plus difficile d’accès.

Jacques-Louis DAVID (1748-1825) Le Serment du Jeu de Paume, le 20 juin 1789. Les députés du tiers état réunis en Assemblée nationale autour de Bailly, dans la salle du jeu de paume à Versailles, jurèrent de ne pas se séparer avant d’avoir donné une constitution au royaume. Musée Carnavalet à Paris.

Louis XVI dans une lettre à son cousin le roi d’Espagne Charles IV dénonce tous les actes contraires à l’autorité royale « qui lui ont été arrachés par la force après le 15 juillet », mais ne revient pas sur la reconnaissance de l’Assemblée nationale le 27 juin. Comment l’analysez-vous ?
Alexandre Maral : Cette lettre est très importante, car elle révèle sans doute la mentalité profonde du souverain, qui s’est volontairement tenu à l’écart des délibérations des états généraux pour se garder de les influencer, qui en a accepté l’évolution – et même la mutation en Assemblée nationale –, mais qui refuse de céder à la force et à la violence. Après le 15 juillet, on lui arrache, sous la contrainte des événements, son adhésion sans réserve au préambule et aux premiers articles de la Constitution, malgré les remarques, souvent de bon sens, qu’il a formulées.

Mirabeau remet en octobre 1789 un rapport secret à destination du roi sur la nécessité de quitter Paris pour la Normandie et de lancer un appel à la nation. Mais Louis XVI choisit de ne rien faire…
Alexandre Maral : En octobre 1789, Louis XVI est encore très méfiant à l’encontre de Mirabeau, qui s’est publiquement désolidarisé du roi et du gouvernement au matin du 6 octobre, à un moment où il aurait été nécessaire, plus que jamais, que l’Assemblée nationale vienne en aide au roi. L’idée de l’appel à la nation depuis une province du royaume va mettre du temps à se concrétiser : c’est seulement en juin 1791 que le roi s’y résout, avec le résultat que l’on sait.

Honoré-Gabriel Riqueti, comte de Mirabeau (1749-1791). Par Joseph Boze.

Quelle est l’influence de Marie-Antoinette et comment l’exerce-t-elle en cette année 1789 ?
Alexandre Maral : En 1789, Marie-Antoinette se montre telle qu’elle a toujours été : une reine capricieuse et fantasque, qui n’hésite pas à loger Fersen dans ses propres cabinets, et impérieuse, qui prend part à différentes cabales visant à obtenir le départ de Necker. Elle ne se rend pas compte qu’elle est de plus en plus impopulaire : en février paraissent les mémoires de la pseudo-comtesse de La Motte-Valois, qui revient sur la sulfureuse affaire du Collier, et, à partir de juillet, les pamphlets se multiplient, certains d’entre eux appelant même au meurtre de la reine.

Elle fait montre d’un certain courage physique, et de détermination …
Alexandre Maral : Elle se révèle vraiment au matin du 6 octobre, quand il lui faut comparaître au balcon de la cour de Marbre. Elle s’y rend avec ses enfants, la foule réclame qu’elle paraisse seule, elle affronte alors cette foule haineuse et s’attend à être tuée d’un coup de fusil. Pendant deux minutes – c’est très long, deux minutes –, elle regarde la foule soudainement silencieuse, sans bouger. Puis elle est sauvée par un « Vive la reine ! », repris en chœur. Ce jour-là, elle a été d’un courage héroïque. Celui-là même dont elle fera preuve au cours de son procès politique et de son exécution en octobre 1793. •

Archiviste-paléographe, docteur es-lettres, ancien pensionnaire de l’Académie de France à Rome, Alexandre Maral est conservateur général au château de Versailles, où il est chargé des collections de sculpture et directeur du centre de recherche. Il est auteur chez PERRIN de Le Roi-Soleil et Dieu. Essai sur la religion de Louis XIV (préface de Marc Fumaroli), Le Roi, la Cour et Versailles. Le coup d’état permanent, 1682-1789, Les derniers jours de Louis XIV et Femmes de Versailles.

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Archiviste-paléographe, docteur es-lettres, ancien pensionnaire de l’Académie de France à Rome, Alexandre Maral est conservateur général au château de Versailles, où il est chargé des collections de sculpture et directeur du centre de recherche. Il est auteur chez PERRIN de Le Roi-Soleil et Dieu. Essai sur la religion de Louis XIV (préface de Marc Fumaroli), Le Roi, la Cour et Versailles. Le coup d’état permanent, 1682-1789, Les derniers jours de Louis XIV et Femmes de Versailles.
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