Emeutes raciales aux Etats-Unis : La guerre de Sécession a-t-elle été écrite par les vaincus ?

11 juin 2020 | À la une

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Emeutes raciales aux Etats-Unis : La guerre de Sécession a-t-elle été écrite par les vaincus ?

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Tandis que les émeutes raciales aux Etats-Unis  suscitent des réactions de par le monde, tant au Canada qu’en Europe, nous avons rencontré l’historien québecois Pascal cyr qui travaille actuellement à la rédaction d’une nouvelle histoire de la guerre de Sécession. Entretien…

Pascal Cyr est docteur en Histoire de l’université de Montréal (Canada). Spécialiste de l’histoire napoléonienne et militaire.

Propos recueillis par Sylvie Dutot, rédacteur en chef.

Les émeutes sur le sol américain, après le meurtre de George Floyd démontrent une fois de plus que la question raciale n’est pas résolue aux États-Unis, du moins pour une partie de la population… La guerre de Sécession a-t-elle été écrite par les vaincus, à savoir les Confédérés comme certains le prétendent ?

 Pascal Cyr : Les historiens ayant travaillé sur le sujet étaient autant du Nord que du Sud. Par contre, ceux venant du Sud ont défendu la thèse que l’esclavage n’était pas en cause. Qu’il s’agissait d’obtenir leur indépendance. Pour nombre d’entre eux, l’esclavage est devenu une question accessoire qui fut utilisée par Lincoln à des fins militaires. Ils en ont pour preuve la déclaration d’émancipation qui, en effet, libérait les esclaves dans les États que l’Union ne contrôlait pas. Les États frontières, fidèles à l’Union, mais esclavagistes, tel le Kentucky, le Missouri et le Maryland n’ont pas été compris dans l’émancipation. Ce n’est qu’avec le 13e amendement, voté en 1865, que l’abolition a été effective dans l’ensemble des États-Unis. Dans les faits, l’esclavage a toujours été le point central de cette guerre. Mais pour ne pas froisser ses électeurs, Lincoln a affirmé jusqu’en 1862 que les objectifs de cette guerre consistaient à ramener les États rebelles dans le giron de l’Union. Mais les causes sont plus profondes. Ce sont deux modèles socio-économiques qui ne peuvent coexister. D’un côté, il y a les industriels du Nord qui sont protectionnistes parce qu’ils souhaitent se protéger de la concurrence européenne et de l’autre, les planteurs sudistes qui vendent leur coton à bas prix sur le continent européen. Aujourd’hui, les thèses défendues par les historiens sudistes du début du 20e siècle ne sont plus admises.

En 1865, les états du Nord avaient gagné la guerre. Des droits étaient accordés aux anciens esclaves. Tout paraissait clair alors… Quelques années après, à la fin des années 1880, on assiste à un retour en arrière. Que s’est-il passé ?

Pascal Cyr : À la fin de la reconstruction, les sudistes du parti démocrate ont repris le pouvoir dans l’ensemble des législatures des anciens États confédérés. Les dernières troupes ayant été retirées en 1877, ils avaient maintenant le champ libre afin de promulguer des lois ségrégationnistes, les fameuses lois Jim Crow. D’abord, il s’agit de contrôler les élections. Pour éviter que des juges, des shérifs ou des politiciens puissent être élus, des mesures visant à établir un vote censitaire sont établies. Ainsi, chaque citoyen doit payer un minimum de taxe et avoir le niveau d’éducation requis afin de voter et se présenter à une élection. Au tournant du 19e et du 20e siècle, la presque totalité des États sudistes a déjà promulgué ce genre de lois. Paradoxalement, bon nombre de blancs pauvres se sont retrouvés exclus eux aussi de la vie publique. Afin de maintenir les noirs dans la pauvreté, les écoles, qui avaient été construites pendant la reconstruction (1865-1877), se retrouvent pratiquement sans financement. Il en est de même pour leurs bibliothèques. Après la guerre, bien qu’on leur avait promis 50 acres et une mule, les anciens esclaves sont retournés chez leurs anciens maîtres comme métayers. La ségrégation raciale prend racine à partir des années 1890. Dans les trains, il y a des places réservées aux noirs, ils ne peuvent partager le même wagon. À l’intérieur des restaurants, lorsqu’ils sont admis, ils sont envoyés au fond de la salle. Un noir ne peut s’asseoir au comptoir. Il y a des buvettes d’eau pour les noirs et d’autres pour les blancs. Ce n’est qu’en 1964, avec la promulgation des Droits civiques par le président Lyndon B. Johnson, que l’ensemble des lois Jim Crow sont abolies.

L’exclusion des Noirs n’avait pas comme seul fondement l’idéologie suprémaciste. La ségrégation et la violence raciste ont persisté jusqu’au milieu des années soixante. Que pensez-vous de la décision de certains États américains comme la Caroline du Sud de se débarrasser de plusieurs monuments confédérés ? Le président Donald Trump assimile le déboulonnage de statues à la volonté de « modifier l’histoire » ou « changer de culture ». Qu’en pensez-vous ?

Pascal Cyr : Il y a des statues qui, à mon sens, doivent être déboulonnées. Je pense en particulier à celle de Nathan Bedford Forrest. Avant la guerre, l’homme s’est enrichi comme marchand d’esclaves et pendant la guerre, il s’est rendu coupable du massacre de Fort Pillow ou 221 soldats noirs ont été assassinés après s’être rendus. Par la suite, il est devenu grand sorcier du Klu Klux Klan. Il a démissionné par la suite parce qu’il estimait ce mouvement indiscipliné et trop violent. En ce qui concerne les statues du général Lee, je suis plus réservé. Lee était raciste comme l’ensemble de ses concitoyens. Mais ce n’était pas un forcené. Contre l’esclavage avant la guerre, il préconisait une abolition progressive afin de ne pas provoquer de secousses sociales dans le Sud. Mais pendant la guerre, il a toujours refusé d’échanger des prisonniers noirs contre des blancs. Il ne pouvait accepter que les deux races soient mises sur un même pied d’égalité. Dans le Sud, Lee a longtemps été considéré comme un saint. On disait : « il y a Jésus et ensuite le général Lee. » Il semble que cette image d’Épinal soit en train de se froisser. Par contre, je suis en désaccord que l’on déboulonne les statues dédiées aux simples soldats. Sur ce point, je suis en accord avec Trump. L’histoire ne s’efface pas. Il y a plus de 600 000 sudistes qui furent mobilisés tout au long de cette guerre.  C’est un crime de vouloir faire l’impasse sur eux sans oublier que la très grande majorité n’avait pas d’esclave. Il s’agissait de gens pauvres jetés dans cette fournaise par le biais de la conscription. Maintenant, ce sont les sudistes qui doivent vivres avec leur histoire et décider ce qu’ils doivent faire.

Des associations militantes essayent d’exporter le « débat » américain. Quelle est la situation au Québec ? Certains évoquent un racisme systémique au Canada. On a vu le Premier ministre Justin Trudeau se mettre à genoux en hommage à George Floyd lors d’une manifestation antiraciste à Ottawa. Que pensez-vous de cette prise de position ?

 Pascal Cyr : S’il y a des racistes au Québec et au Canada, il n’y a pas certainement pas de racisme systémique. Cependant, la xénophobie est très présente. Beaucoup de gens ont des préjugés à l’encontre des immigrants. Or, il n’a jamais été question de leur enlever des droits. Contrairement à nos voisins du Sud, les gens qui immigrent au Canada, qu’ils soient noirs, magrébins, etc., ont accès à l’éducation ainsi qu’à l’ensemble des programmes sociaux. Contrairement à nous, les Américains se distinguent par l’absence de filet social, ce qui maintient les noirs dans la pauvreté la plus complète. Il ne faut pas s’étonner qu’une situation engendre des frustrations qui s’expriment par la violence et le crime. Victor Hugo disait : « Quand on ouvre des écoles, on ferme des prisons. » Cette assertion n’aura jamais été aussi vraie qu’aux États-Unis. Donc, comparer la situation des États-Unis avec celle du Canada et du Québec est des plus exagérés, pour ne pas dire totalement inexacte. S’il y a encore du profilage racial, en particulier dans les grandes villes, la violence policière n’est en rien comparable à ce qui s’est passé à Minneapolis. Avant d’être policiers, nos aspirants doivent subir une formation de trois ans en technique policière. Celle-ci est prodiguée dans les Cégeps, ce sont des institutions qui sont à mi-chemin entre le niveau secondaire, le Bac chez vous et la licence à l’université. Une fois cette formation terminée, ils doivent entrer à l’école de Police pour une durée de huit semaines. Aux États-Unis, dépendant de chaque État, la formation policière n’est que de quelques mois.  Alors, lorsque Trudeau met un genou en terre, surtout pour faire oublier l’épisode fâcheux du Black Face, il se retrouve en porte-à-faux avec les valeurs canadiennes et québécoises. Le Canada n’est pas parfait, loin de là. Mais s’il reste des germes de racisme, les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral continuent de faire des efforts afin de faciliter l’intégration.

Pascal Cyr est docteur en Histoire
de l’université de Montréal (Canada)
Spécialiste de l’histoire napoléonienne et militaire.

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Pascal Cyr est docteur en Histoire de l’université de Montréal (Canada). Spécialiste de l’histoire napoléonienne et militaire.
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