Coups de Choeur pour … La chapelle  commémorative  de Louis XVI  et Marie-Antoinette
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Photo : L’intérieur de la chapelle avec ses coupoles et sur la droite une statue de marbre blanc représentant Louis XVI revêtu d’un manteau d’hermine et décoré du collier de l’ordre de Saint-Louis. Photo la sourisglobetrotteuse.
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Coups de Choeur pour … La chapelle commémorative de Louis XVI et Marie-Antoinette

par | Chronique, N°1 Histoire Magazine, Patrimoine

Article publié dans Histoire Magazine N°1

Entretien avec Emmanuel de WARESQUIEL Professeur à l’Ecole pratique des Hautes Etudes. Historien, essayiste.

Emmanunuel de Waresquiel, dans l’ouvrage « Coup de chœur », vous évoquez une chapelle qui, avant d’être un lieu de culte, est un lieu qui appartient à l’histoire. Elle a été édifiée sur un site particulier…
Emmanuel de Waresquiel : On passe là du procès et de la mort du roi et de la reine à l’histoire de leur mémoire. Tous les deux ont été inhumés dans deux fosses au cimetière de la Madeleine qui avait l’avantage de ne pas être trop éloigné du lieu de leur exécution place de la Révolution (de la Concorde aujourd’hui). C’était d’abord un cimetière paroissial. Dès le mois d’août 1792, les autorités municipales cherchèrent un lieu commode qui puisse servir de sépulture aux condamnés à mort du tribunal révolutionnaire. Dès après la prise des Tuileries, le 10 août 1792, les gardes suisses y furent enterrés, puis environ 1300 à 1400 condamnés, de la fin août 1793 à mars 1794. Certains presque aussi célèbres que le roi et la reine : Charlotte Corday, le général de Custine, la comtesse du Barry, Olympe de Gouges, Madame Roland, Barnave, le duc d’Orléans, puis les révolutionnaires eux-mêmes, les 21 girondins de la fournée d’octobre 1793, Danton et ses amis, les hébertistes, etc.

Le cimetière de la Madeleine est acheté par Pierre-Louis-Olivier Descloseaux, un personnage qui aura su tirer son épingle du jeu, à toute époque …
Emmanuel de Waresquiel : Personne ne s’est vraiment intéressé à ce Descloseaux. Il est pourtant remarquable car il personnifie à lui tout seul ce qu’on pourrait appeler l’art de la survie par temps d’orage. Il est issu d’une famille originaire de Chartres qui au XVIIIe siècle occupait en ville nombre de charges d’officiers du roi : procureurs, conseillers, contrôleurs des greniers à sel, etc. Né en 1732 sous le règne de Louis XV, il fait ses études à Paris avant d’être reçu avocat au parlement. Plus tard sous la Restauration, il se fera passer pour un royaliste de stricte obédience, mais son parcours révolutionnaire est sans doute un peu plus contrasté. Il est électeur du district de Saint Roch à l’ouverture des Etats-Généraux en 1789 et siège au conseil général de la Commune de Paris en 1791. Son frère cadet Guillaume Olivier de Corancez était sous la Révolution le propriétaire gérant du Journal de Paris qu’il finira par vendre en 1799. Le journal ne sera jamais supprimé sous la Révolution, ce qui est un signe. Corancez avait été proche d’Helvétius et de Jean-Jacques Rousseau dont il publia l’éloge. Il passait pour « irréligieux » et accueillit la Révolution avec enthousiasme. Sous la Terreur, on les tenait, lui et sa femme, pour de « chauds démocrates » et des « républicains convaincus ». On ne sait rien des relations qui ont pût exister entre les deux frères, mais toujours est-il que l’aîné, Pierre-Louis, survit à la Révolution et s’y enrichit, si l’on en juge par ses acquisitions, en particulier le beau domaine et l’ancien château d’Eaubonne, près de Paris, construit par Ledoux pour le commissaire ordonnateur des guerres du roi Joseph Le Normand de Mézières, guillotiné en 1793. C’est ce même Descloseaux qui achète l’ancien cimetière de la Madeleine en 1802. Il en fait un jardin privé, le plante de cyprès et de saules et
commence à l’ouvrir aux anciens royalistes qui s’y rendent comme en pèlerinage. Il avait le nez fin. Au retour des Bourbons en 1814, cela lui vaudra fortune et honneurs.

Dès le retour sur le trône du frère cadet de Louis XVI, Louis XVIII, ainsi que l’avait pressenti Chateaubriand, la question de la mort de Louis XVI devient centrale …
Emmanuel de Waresquiel : Chateaubriand tenait la mort du roi et de la famille royale pour « le véritable crime de la Révolution ». Il en a fait en effet, avec beaucoup d’autres, la question centrale du régime de la Restauration. Comment Louis XVIII pouvait-il se réclamer des droits dynastiques et héréditaires de l’ancienne monarchie, tout en acceptant la condamnation à mort de son frère aîné ? Cela l’aurait amené à nier ses droits légitimes à régner. Il lui fallait donc, comme il le fera écrire dans le préambule de sa Charte constitutionnelle de juin 1814, « renouer la chaîne du temps », et pour cela faire comme si la Révolution n’avait jamais existé, tout en conduisant une politique de réparation de ses « crimes » les plus visibles, ce qui, soit dit en passant ne manquait pas de paradoxe. Cette politique du « pardon » et de « l’oubli » est centrale en 1814 et encore plus en 1815 après les Cent Jours. Mais pardonner, c’est obliger celui à qui l’on pardonne à la repentance et à la contrition, c’est donc faire revivre les vieux démons de la Révolution. Paul Ricoeur s’est déjà penché sur cette question. Pardonner ce n’est pas oublier, c’est se souvenir de ce pourquoi l’on pardonne.

La chapelle, voulue par Louis XVIII, sera finalement le seul monument destiné à « laver le sang de Paris » qui sera achevé.

Emmanuel de Waresquiel : La chapelle commémorative voulue par Louis XVIII à l’emplacement supposé des anciennes sépultures « royales » devait s’inscrire dans un ensemble « expiatoire » au cœur révolutionnaire de Paris. On avait également prévu de transformer la nouvelle église de la Madeleine en Temple du souvenir et d’ériger au centre de l’ancienne place de la Révolution, rebaptisée place Louis XVI, un monument à la mémoire du « roi martyr». Mais les aléas de l’histoire et la révolution de 1830 qui chasse définitivement la branche aînée des Bourbons du trône en décideront autrement.

Comment expliquez-vous que cette « chapelle commémorative » ait survécu à toutes les révolutions du XIXe siècle d’autant que les occasions de détruire le monument n’ont pas manqué…
Emmanuel de Waresquiel : En effet, la révolution de 1830, puis celle de 1848, puis la Commune en 1871, puis la république laïque et radicale à la fin du XIXe siècle auraient pu avoir raison de ce monument « royaliste ». Les occasions n’ont pas manqué. Le monument a survécu pour deux raisons, l’une qui tient aux intentions de son « inventeur », le roi Louis XVIII, l’autre qui lui est extérieure. Lorsqu’il commande cette chapelle, en 1815, à l’architecte Pierre-François Fontaine, Louis XVIII veut en faire non seulement un lieu discret et clos, comme l’était l’ancien cimetière, mais aussi une sorte de chapelle de famille. Vous noterez en effet que ce vaste cénotaphe de pierres est dédié exclusivement à la mémoire du roi et de la reine, à l’exclusion de toutes les autres victimes de la Révolution inhumées au même endroit. On y placera par la suite les effigies en marbre blanc de Louis XVI et de Marie-Antoinette, dues aux sculpteurs Bosio et Cortot et initialement destinées à l’église la Madeleine. On prendra soin d’y placer le texte de leurs testaments dans lesquels tous les deux pardonnent à leurs « bourreaux », on y dira quotidiennement une messe, mais discrètement, jusqu’en 1884. Malgré tout cela, il en faudra d’un cheveu et à plusieurs reprises, surtout sous la Commune en 1871, pour que l’édifice « contre-révolutionnaire » ne soit détruit. Il l’aurait probablement été en effet s’il n’avait pas eu un « ange gardien » en la personne d’un juif converti au catholicisme, Lorrain d’origine, riche et ardent royaliste : Jacques-Augustin Libman. C’est lui qui, en mai 1871, sauve le monument promis à la destruction en se faisant passer pour Américain et en négociant l’achat sous prétexte de le faire reconstruire pierre à pierre aux Etats-Unis. La chute de la Commune, quelques semaines plus tard, lui donnera raison. Depuis, le temps a passé et la chapelle survivante est maintenant la propriété de l’État. On peut y entrer et la prendre pour ce qu’elle était à l’origine, un lieu de prières et de mémoire. On peut tout autant la considérer comme l’un des plus beaux exemples parisiens de l’architecture néoclassique des débuts du XIXe siècle.

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