Article publié dans Histoire Magazine N°1
Demander à quelques amis historiens et écrivains de raconter leur église préférée est assurément une nouvelle idée de génie de Clémentine Portier-Kaltenbach, abonnée aux succès éditoriaux. Et le résultat est à la hauteur des espérances. Car ces treize auteurs savent écrire et conter ! Adrien Goetz, Franck Ferrand, Emmanuel de Waresquiel, Fabrice d’Almeida, etc. Treize églises, treize lieux chargés d’histoire, à découvrir ou à redécouvrir.
Clémentine Portier-Kaltenbach, dans cet ouvrage, vous avez invité 12 historiens et écrivains (tels Jésus et les apôtres ?) à évoquer leur église préférée..
Clémentine Portier-Kaltenbach : Le choix de limiter le nombre d’auteurs à treize est en effet un clin d’œil à la communauté d’amis que constituaient Jésus et ses douze apôtres. De fait, des liens amicaux existent entre les auteurs de ce livre et j’espère que la joie que nous avons eue à nous retrouver autour de ce projet sera perçue par les lecteurs. Ce livre n’est donc pas un livre d’histoire, mais la déclaration d’amour d’une bande d’amis historiens à leurs églises parisiennes préférées.
Vous semblez penser que chacun d’entre nous, croyants ou non croyants, entretenons un rapport particulier avec ces édifices religieux ?
Clémentine Portier-Kaltenbach : Que l’on croit au ciel ou pas, on n’entre pas dans un lieu sacré comme dans un musée. Chacun de nous sent bien qu’un lieu de prière, quelle que soit la confession à laquelle il se rattache, exige de nous une attitude respectueuse. Les églises, mosquées, synagogues et temples sont présents dans nos vies que nous le voulions ou non et nous sommes forcément amenés à les côtoyer, à les fréquenter même, que ce soit à la faveur d’obsèques ou de mariages chez nos proches. Nous pouvons ne pas avoir de paroisse, mais nous avons tous une église préférée.
Vous avez délibérément réuni des auteurs aux personnalités diverses, catholique, libre-penseur, protestant, juif, en leur donnant carte blanche, et cela donne lieu à des approches originales voire surprenantes parfois…
Clémentine Portier-Kaltenbach : Oui, c’est un ouvrage très œcuménique ! Ainsi, dans un texte inénarrable et à la fois plein de tendresse, Christophe Bourseiller raconte comment, fréquentant assidument les meetings gauchistes de la Mutualité, il a découvert Saint-Nicolas du Chardonnet qui passe pour la paroisse la plus conservatrice de l’Hexagone. Pour lui, ce fut un voyage sur la Lune ! Bruno Fuligni libre penseur, évoque le Panthéon, ancienne église de venue temple de nos gloires nationales. Jean Yves Patte fréquentait la chapelle de la médaille Miraculeuse, car sa tante nonne avait appartenu au même ordre que Catherine Labouré qui y aurait vu la Vierge à plusieurs reprises, et quand Jean-Louis Bachelet évoque la mère de l’empereur Constantin à Saint-Leu, Fabrice d’Almeida évoque les Femen à Notre Dame…Thierry Lentz en tient pour Saint-Louis des Invalides et Franck Ferrand se toque de Saint-Gervais pour une œuvre d’art qu’elle recèle…. Les voies du seigneur sont impénétrables. Quant à moi, je suis protestante réformée, mais Saint-Sulpice était l’église du quartier de mon enfance, un édifice bien plus attrayant que ne le sont les temples protestants qui brillent surtout par leur austérité.
Ces églises ont été les témoins muets des heures les plus glorieuses ou les plus sombres de notre histoire, écrivez vous, est-ce aussi à un voyage dans le temps que vous nous conviez ?
Clémentine Portier-Kaltenbach : Naturellement, car à l’exception de Loic Finaz, actuel Directeur de l’école de Guerre, écrivain de marine, lequel évoque dans un texte sublime la chapelle de l’Ecole militaire, tous les contributeurs sont historiens : historiens d’art comme Adrien Goetz et Serge Legat ou spécialistes de différentes époques ou encore anthropologue comme Philippe Charlier qui, on le sait, a consacré d’importantes recherches aux restes mortels d’immenses figures de notre histoire telles Agnès Sorel, Henri IV et plus récemment Saint-Louis. Chaque auteur raconte de manière plus ou moins détaillée l’histoire de l’église qu’il a choisie, et c’est un pur bonheur ! Dans les églises parisiennes, il suffit de tirer un fil pour que l’histoire de France se tricote sous vos yeux ; c’est évidemment le cas de Notre-Dame, implantée sur un lieu où les hommes ont prié depuis la nuit des temps. Mais pour prendre l’exemple de Saint-Sulpice que je présente dans ce livre, on peut y croiser Bossuet, Louis XIV, Robespierre, Sade, Bonaparte, Victor Hugo, Baudelaire, Louise Michel…Mastroianni et Mireille Darc.
Clémentine Portier-Kaltenbach, vous vous êtes vous-même soumise à cet exercice et avez re- tenu l’église de Saint-Sulpice à Paris. Cet édifice est intimement lié à des souvenirs d’enfance …
Clémentine Portier-Kaltenbach : Ma famille a emménagé rue Monsieur le Prince en 1970. A chaque fois que ma mère allait faire ses courses au Bon Marché, nous passions devant Saint-Sulpice. Lorsque j’étais petite, je détestais cette église que je trouvais sombre et inhospitalière. Mais les goûters dominicaux organisés par ma grand-mère se tenaient rue Saint-Sulpice, tandis que l’une de mes meilleures amies de lycée habitait rue Palatine. Je n’ai donc guère eu le choix que de m’accoutumer à ce sombre vaisseau ! Enfant, cette colonnade massive m’intimidait beaucoup ; désormais, non seulement je la trouve majestueuse, mais aucune église parisienne ne me semble dégager une telle impression d’équilibre, d’élévation et d’harmonie.
Saint-Sulpice est, pour reprendre votre ex- pression, « condamnée aux travaux à perpétuité » depuis sa fondation …
Clémentine Portier-Kaltenbach : Dans le quartier, on dit volontiers d’elle qu’elle est un chantier perpétuel avec ses deux tours jamais terminées. Et il est vrai qu’elle n’a jamais cessé d’être en travaux depuis la pose de sa première pierre par Anne d’Autriche en 1646. Voyez vous, Sulpicius est le saint patron des vocations contrariées ; un saint patron qui convient comme un gant à cette église dont la construction ne cessa jamais d’être contrariée ! Songez que les travaux furent interrompus une première fois durant quarante ans, (de 1678 à 1719) puis à nouveau vingt années durant. Et puis, elle ne compta pas moins de 7 architectes au nombre desquels, Gamard et Louis Le Vau, mais surtout Gittard (1628-1686) contemporain de Louis XIV, auteur des plans de l’édifice. Saint-Sulpice est un peu la grande inconnue : songez qu’elle est plus grande que Notre- Dame. Qui le sait ? Elle est tellement engoncée, encaquée dans les petites rues qui l’entourent, qu’on ne la dirait jamais si grande.
La façade de l’édifice criblée de trous nous ramène à un épisode de la guerre de 1870 que vous relatez …
Clémentine Portier-Kaltenbach : Pendant la guerre de 1870, les deux tours furent en effet la cible de l’artillerie prussienne qui tentait de détruire les télégraphes Chappe dont elles étaient alors surmontées. Cet appareil permettait de transmettre un message de Lyon à Paris en huit minutes par temps clair. Chargés de manipuler ces sémaphores, les employés du télégraphe, que l’on appelait alors les «stationnaires», logeaient dans les hauteurs de Saint-Sulpice de même que le sonneur de cloches.
Saint-Sulpice étonne par sa clarté …
Clémentine Portier-Kaltenbach : Et ce, grâce à Gittard qui était obsédé par la recherche de lumière ! C’est à lui que l’on doit les immenses fenêtres en verre blanc, du second étage de la nef. Le verre de couleur était plus onéreux et son faible éclat aurait maintenu les lieux dans la pénombre. Saint-Sulpice n’en possède pas moins la plus importante collection de vitraux réalisés sous le règne de Louis XIV.
Cette église de Saint-Sulpice est un régal pour les amateurs d’histoire de l’art. Elle recèle de nombreuses œuvres remarquables…
Clémentine Portier-Kaltenbach : La première chose que l’on voit en entrant, ce sont les deux magnifiques bénitiers offerts à François Ier par la République de Venise. Leurs socles en marbre blanc ont été sculptés par Jean-Baptiste Pigalle (1714-1785). Ensuite, depuis l’entrée de l’église, on aperçoit la chaire, gracile, semblant comme suspendue dans les airs… dessinée par Charles de Wailly, qui fut aussi l’architecte du théâtre de l’Odéon ; elle est surmontée d’un beau groupe sculpté : « la Charité entourée d’enfants ». On vient également à Saint- Sulpice pour son gnomon, instrument astrologique de marbre blanc, la Chapelle des Saint Anges de Delacroix et la célèbre Vierge de Pigalle entourée des plus anciennes et des plus belles colonnes de marbre que l’on puisse trouver à Paris puisqu’elles proviennent de Leptis Magna la cité de l’empereur romain Septime Sévère.
Parmi ces œuvres, celle de Drolling, La conversion de saint Paul, pour laquelle, dit on, on aurait fait usage d’une macabre mixture, destinée à noircir les tableaux et dont la composition, pour le moins surprenante, avait été élaborée par le père de Drolling,peintre également …
Clémentine Portier-Kaltenbach : D’après l’historien Gosselin Lenotre, Drolling père aurait utilisé les cœurs royaux pillés au Val-de-Grâce sous la Révolution, pour confectionner de la mumie, préparation rare et coûteuse, obtenue par broyage de viscères desséchés macérés dans l’alcool avec certaines huiles. C’est une sorte de glacis brunâtre absolument unique ombrant les toiles qui en sont enduites d’une tonalité incomparable. Selon
Jacques Hillairet, auteur du célèbre Dictionnaire historique des rues de Paris, tous les Drolling de la Chapelle Saint-Paul contiendraient de ce macabre glacis.
Vous concluez votre avant-propos et votre chapitre consacré à Saint-Sulpice par les mots « amour » et « aiment ». Cet ouvrage résonne comme une déclaration d’amour à Paris et ses magnifiques édifices et à l’Histoire …
Clémentine Portier-Kaltenbach : Que répondre à cela sinon un grand « Amen ! »