Article publié dans HISTOIRE Magazine N°1
La reine est à Trianon, lorsque le 5 octobre 1789, les révolutionnaires investissent le palais. Marie-Antoinette quitte, pour ne plus jamais y revenir, son monde rêvé, son havre de paix loin des contraintes de l’étiquette que représentait « le Hameau de la Reine ». C’est dès lors pour elle une longue descente aux enfers qui s’achèvera sur l’échafaud, le 16 octobre 1793, à l’issue d’un procès de trois jours. À partir d’archives inédites, Emmanuel de Waresquiel relate, dans son ouvrage « Juger la reine » aux éditions Tallandier, ce procès qui voit s’affronter deux mondes irréconciliables, « qui ne peuvent trouver leur salut que dans l’élimination de l’autre ». C’est aussi le procès d’une femme, d’une mère et d’une étrangère…
Alors que l’on vient ce printemps d’inaugurer la restauration du Hameau de la Reine, domaine réservé de Marie-Antoinette, au cœur de Versailles, cet espace « privé » en quelque sorte qu’elle s’était fait construire a focalisé toutes les attentions malveillantes et contribué à plus d’un titre à ternir l’image de la Reine …
Emmanuel de Waresquiel : C’est précisément l’existence de cet espace privé à Trianon dans lequel n’étaient admis que les familiers de la reine qui a suscité tant de jalousies au sein même de la cour avant d’être le prétexte à tous les fantasmes révolutionnaires. Dans la tradition de l’étiquette de Versailles, la vie de la reine aurait dû rester publique, de son lever à son coucher. Marie-Antoinette refuse de s’y soumettre entièrement pour plusieurs raisons. D’abord parce que dans son enfance à la cour de Vienne, cette distinction entre vie privée et vie publique existait, ensuite par goût et par tempérament. Le malaise qu’elle éprouve dans les premières années de son règne à paraître et à s’exprimer en public, son manque de confiance en elle et comme par compensation ce besoin d’amitié tendre qu’elle a très vite ressenti, tout la conduit au Petit Trianon que le roi lui donne dès 1774 et à la faire entrer dans le monde rassurant, protégé et merveilleux du « cercle de la reine ». La froideur de Louis XVI, la non consommation de son mariage jusqu’en 1777 ont tout autant contribué à cela. Le secret est à double tranchant. Il peut être dangereux. On y suppose des turpitudes cachées et des orgies. Les dépenses et les fêtes de Trianon suffiront à faire croire au pire.
Qu’incarne-t-elle aux yeux des révolutionnaires ? Quels sont les griefs à son encontre alors même qu’elle ne joue pas véritablement de rôle politique ?
Emmanuel de Waresquiel : Marie Antoinette personnifie à elle seule le pire de ce que peuvent imaginer les révolutionnaires. Elle est à la fois étrangère, reine et femme. Malgré le renversement des alliances de 1756 dont elle est un peu l’héritière et la caution, on ne lui pardonnera jamais ses origines autrichiennes et son pays de naissance restera encore longtemps dans l’opinion, l’ennemi héréditaire de la France. Par l’influence politique qu’on lui prêtait déjà (à tort) avant la révolution, elle participe également de l’inversion malsaine (du point de vue de la Révolution) des rapports de pouvoirs entre les hommes et les femmes. Pour les révolutionnaires, le roi ne gouverne pas et n’a pas de maîtresse tandis que la reine règne et a des amants. Il existe un lien secret et malfaisant entre les déviations ou les débordements sexuels que l’on prête à Marie-Antoinette (ses innombrables amants, ses amantes aussi) et ses empiètements de pouvoir et d’influence sur les décisions politiques prises par son mari, au profit de son frère Joseph II et de l’Autriche. Cette méfiance du pouvoir manipulateur des femmes remonte à Montesquieu et à Rousseau. Dans ses Lettres persanes, Montesquieu associait déjà l’institution du harem au pouvoir despotique du sultan. La Révolution, c’est la revanche du pouvoir des hommes sur celui des femmes, au nom de la liberté. Souvenons-nous de ce que dit Elisabeth Vigée-Lebrun, la peintre préférée de Marie-Antoinette à propos des dernières années de l’Ancien Régime : « Les femmes régnaient alors. La Révolution les a détrônées ».
Quel regard porte-t-elle sur les évènements, dès 1789, sur la Révolution ?
Emmanuel de Waresquiel : Je ne pense pas que Marie-Antoinette ait jamais compris ce que représentait la révolution, sinon un danger pour la souveraineté du roi. Probablement n’a-t-elle jamais pu admettre, ni comprendre ce renversement de souveraineté de juin 1789 de la personne du roi à celle de la nation. A ses yeux la révolution est le fruit d’un complot conduit par quelques factieux : La Fayette, le duc d’Orléans, Mirabeau et Barnave avec qui elle finira pourtant par parler en 1790 et 1791 mais sans jamais adhérer à leurs idées constitutionnelles. Avec le temps et le durcissement de la révolution, les factieux deviendront des « assassins ».
Marie-Antoinette se montre très solidaire de son époux et refuse à plusieurs reprises de l’abandonner alors qu’elle en avait l’opportunité …
Emmanuel de Waresquiel : La révolution est sans doute ce qui rapproche ces deux êtres par ailleurs si différents. Elle est aussi ce qui va projeter la reine sur le devant de la scène politique, ce qu’elle avait soigneusement éviter de faire jusqu’alors par peur et par dégoût. Marie-Antoinette entre pour la première fois au conseil du roi en 1788. Personne ne conteste le rôle de premier plan qu’elle a joué à Paris pendant les trois dernières années du règne chancelant de son mari. Jusqu’alors, elle parlait de Louis XVI comme de « la personne qui est au-dessus de moi ». Désormais, le roi est « à côté » ou « auprès de moi » Marie-Antoinette considère dès lors que sa présence est nécessaire à la défense de ce qu’elle appelle « la dignité » de la couronne. A ses yeux, la famille royale ne peut se séparer au risque de s’affaiblir encore. C’est pour cela qu’elle refuse de quitter son mari comme on le lui a proposé à plusieurs reprises et comme elle en aurait eu la possibilité, à Versailles, en juillet et octobre 1789, et sans doute à nouveau plus tard aux Tuileries.
En quoi diffèrent-ils lorsque la Révolution éclate ?
Emmanuel de Waresquiel : Leur différence ne tient sans doute pas à la façon dont ils conçoivent les droits et les pouvoirs du roi, mais plutôt à une question de tempérament, plus impulsif et « chevaleresque » du côté de la reine. Louis XVI est un être d’attente et de composition. Il a besoin de temps et de conseils avant de prendre une décision. Marie-Antoinette est plus intransigeante. Elle soutient sans ambiguïté les projets de réaction contre l’assemblée nationale qui, début juillet 1789, conduiront finalement à l’insurrection parisienne et à la prise de la Bastille. C’est encore elle qui plaide pour la défense des Tuileries le 10 août 1792 et qui tente de s’opposer à la décision prise par son mari de se réfugier dans la salle du Manège au sein de la représentation parlementaire, avec les conséquences que l’on sait. En cela elle ne manque pas de courage, à défaut d’avoir été toujours lucide. Mais pouvait-elle l’être, enfermée qu’elle était, par son éducation et par sa position même, dans le principe de l’absolutisme royal ?
En 1793, la République n’a qu’un an. Elle est encore fragile. Quel est le climat, tandis qu’on s’apprête à juger la Reine ?
Emmanuel de Waresquiel : Le procès de Marie-Antoinette, en octobre 1793, aurait très bien pu ne pas avoir lieu, si les circonstances ne s’y étaient prêtées. En effet, la République est encore toute jeune et elle est confrontée à une situation catastrophique. Elle est attaquée à ses frontières par une coalition de presque tous les monarques de l’Europe. Elle est divisée en son sein même et doit affronter à la fois l’insurrection vendéenne de mars et les résistances girondines de juin et juillet, à Caen, à Lyon et dans le Midi. Il lui faut trouver un bouc émissaire. Le complot intérieur et la trahison extérieure sont la seule explication ou justification qu’elle peut donner à ses échecs. Le reine déchue, veuve depuis le mois de janvier, enfermée au Temple et bientôt séparée de son fils, est la coupable idéale. Les activistes sans-culottes de la Commune et des sections parisiennes la réclament. La Convention montagnarde finira par la leur céder. On est en plein climat de « chasse aux sorcières ». N’oublions pas que la loi dite des « suspects » est votée par la Convention en septembre 1793, un mois avant le procès.
Dans quel état d’esprit Marie-Antoinette appréhende-t-elle son procès ?
Emmanuel de Waresquiel : Elle n’est plus la reine « frivole » (si elle ne l’a jamais été) de la douceur de vivre de la fin des années 1780 et des fêtes de Trianon. Le malheur l’a réunie au roi et ramenée à sa position comme à ses devoirs. Elle le dit à plusieurs reprises dans ses lettres : « Jamais je ne consentirai rien d’indigne de moi ; c’est dans le malheur qu’on sent d’avantage ce qu’on est. » L’exemple de sa mère, l’impératrice Marie-Thérèse, devait certainement la hanter. « Mon sang coule dans les veines de mon fils, et j’espère qu’un jour, il se montrera le digne petit-fils de Marie-Thérèse. » Elle se sait dans une position dramatique, enfermée au Temple, puis à la Conciergerie, isolée, affaiblie et malade, et pourtant, je suis persuadée que jusqu’au dernier jour de son procès et jusqu’au verdict, elle ne perd pas espoir. Le courage, le sens du devoir et de sa dignité, l’orgueil de sa naissance la dominent. Elle veut vivre pour ses enfants, en particulier pour les droits de son fils. Elle veut vivre parce qu’elle est la reine.
Comment Marie-Antoinette se comporte-t-elle face à ses accusateurs ?
Emmanuel de Waresquiel : A la différence de son mari et du propre procès de ce dernier devant la Convention nationale en décembre 1793, elle ne transige pas. Elle se bat pied à pied, élude quand il le faut, répond avec mesure et souvent avec beaucoup de présence d’esprit. Sa défense et ses réponses aux questions que lui posent les juges et les jurés du tribunal révolutionnaire sont très politiques. Elle ne perd pas de vue ses droits et ceux de la couronne. Par exemple lorsque le président Hermann l’attaque sur la fuite de la famille royale à Varennes et insinue que par là, le couple royal cherchait à remonter sur le trône, elle lui répond du tac au tac : « Nous ne cherchions pas à remonter sur le trône puisque nous y étions. » A une seule reprise, elle répond en femme et surtout en mère, lorsqu’à bout d’arguments, Hébert, l’un des témoins principaux de son procès, l’accuse d’inceste avec son fils. « Si je n’ai pas répondu, c’est que la nature se refuse à répondre à une pareille accusation faite à une mère. J’en appelle à toutes celles qui peuvent se trouver ici. »
Dans ce procès « en noir et blanc » pour reprendre votre expression, ce sont « deux mondes » qui s’opposent et se haïssent, le monde de la Révolution représenté par les juges face à Marie-Antoinette, incarnant le monde de la monarchie …
Emmanuel de Waresquiel : Oui, c’est en cela que ce procès dit presque tout de la Révolution qui est aussi une guerre civile franco-française. Deux mondes s’affrontent en effet : la souveraineté du roi et celle de la nation, les ordres et l’égalité, les grands et les petits, mais aussi le monde des « traitres » et celui des patriotes, celui des femmes et celui des hommes. Toute la Révolution, de 1789 à la Terreur, est contenue dans ce procès de trois jours qui conduira finalement Marie-Antoinette à l’échafaud. •
Emmanuel de Waresquiel est un ancien élève de l’école normale supérieure, docteur en histoire, professeur à l’école pratique des Hautes études, auteur de biographies de référence, Emmanuel de Waresquiel est « L’historien et biographe le plus lu de sa génération ». Juger la reine et Fouché, dossiers secrets, Sept jours éditions Tallandier, sont ses derniers ouvrages.