<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Entretien avec Didier Masseau. Fêtes et folies en France à la fin de l’Ancien Régime.
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Photo : Michel Barthélémy Ollivier, 1766. Fête donnée par le prince Louis François de Conti en l’honneur de Charles Guillaume Ferdinand, prince héréditaire de Brunswick-Luneberg à L’Isle-Adam. Musée du château de Versailles.
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Entretien avec Didier Masseau. Fêtes et folies en France à la fin de l’Ancien Régime.

par | Entretiens, N°1 Histoire Magazine, XVIIIème siècle

Article publié dans HISTOIRE Magazine N°1

Tandis que plane l’ombre des changements qui s’annoncent, les dernières années de l’Ancien Régime en France voient la multiplication des fêtes publiques et privées, de plus en plus extravagantes, et spectaculaires. Didier Masseau évoque dans son ouvrage « Fêtes et folies en France » ces fêtes mémorables, derniers feux de l’Ancien Régime, et nous dévoile ce qu’elles révèlent de la société française à la veille de la Révolution…

En tout temps en France on s’est adonné aux plaisirs de la fête, dans toutes les couches de la société. En quoi est-ce différent en cette fin du XVIIIème siècle ?
Didier Masseau : Il n’y a aucune rupture en France entre les fêtes du XVIIe siècle, celles de la première moitié du XVIIIe siècle et celles de la fin de l’Ancien Régime, mais on assiste dans cette dernière période à un extraordinaire phénomène de surenchère : les amusements traditionnels qui pimentent les fêtes privées données par les nobles dans les châteaux ou dans les folies deviennent de plus en plus sophistiquées. Le persiflage qui consiste à se moquer d’une personne naïve, peu sûre d’elle-même ou maîtrisant mal les usages mondains, avec la complicité d’une assistance choisie, est de plus en plus pratiqué. Mais surtout, phénomène trop peu étudié, le persiflage fait place à des pratiques plus scabreuses : la mystification et la manipulation. L’affaire du collier de la reine est une entreprise de manipulation qui a empoisonné les dernières années du règne de Louis XVI. La rencontre à Versailles, sous les yeux ébahis du cardinal de Rohan, entre une prostituée déguisée en Marie-Antoinette ( elle-même manipulée, puisqu’elle ne connaît pas la finalité de la scène qu’on lui fait jouer) et un comparse présenté comme un valet de chambre de la reine, est tout à fait comparable aux scènes de travestissement qui se jouent dans les fêtes débridées. La nouveauté réside enfin dans la dérision généralisée qui triomphe dans des cercles qu’on a appelés les sociétés badines. Les amuseurs, si appréciés dans ces milieux, sont un peu les ancêtres des « guignols de l’info ». Ils finissent par avoir un succès supérieur à celui des gens de lettres dotés d’une reconnaissance officielle.

Cela concerne autant « l’éphémère festif » que des projets colossaux …  
Didier Masseau : Pour des fêtes, par nature éphémères, les organisateurs déploient une impressionnante énergie. Des projets, souvent colossaux et non réalisés, se multiplient. Pour les wauxhalls, ces lieux de divertissement populaires, comparables à nos parcs de loisir, le colossal est à la mode. En 1769, à Paris, près des Champs-Elysées commence la construction d’un immense édifice, appelé Le Colisée, comportant une vaste rotonde, réservée à la danse ! On trouve aussi dans le même emplacement un cirque et des cafés. Le gigantisme et le spectaculaire séduisent les foules.

Cette frénésie festive va de pair avec une aspiration de la société à des changements profonds, des transformations radicales.
Didier Masseau : Les courants réformistes se multiplient. Ce point est bien connu. On assiste aussi à des tentatives réelles de réforme : le plan d’un impôt unique, « la subvention territoriale », est proposé par Calonne en 1786. En novembre 1787, Louis XVI accepte l’édit de tolérance civile : la religion catholique demeure la religion d’état, mais les protestants s’ils sont toujours condamnés par l’Eglise ne peuvent plus être poursuivis par le pouvoir d’état. Mais de multiples blocages demeurent. Or la marquise de La Tour du Pin note dans son journal, qu’au printemps 1789, et après un hiver particulièrement cruel pour les pauvres, « jamais on ne s’était montré aussi disposé à s’amuser, sans s’embarrasser autrement de la misère publique ».

Illumination du Belvédère et du rocher. Claude-Louis Châtelet. Pour son frère Joseph II, la Reine donne une fête le 1er août 1781. Après un opéra de Glück « Iphigénie en Tauride» Marie-Antoinette se promène dans les jardins illuminés.

Les loges de franc-maçonnerie semblent ne plus avoir pour seule activité que l’organisation de fêtes, de concerts, auxquels la Reine assiste assez régulièrement …
Didier Masseau : Cela semble ainsi, en effet, mais il me faut rester prudent sur ce point. Il faudrait une recherche plus ample pour acquérir des certitudes.

« L’extravagance festive » est à la mode. La reine Marie-Antoinette est elle-même très sensible à cette tendance ?  
Didier Masseau : La reine Marie-Antoinette s’enivre de fêtes et de divertissements divers. Elle est le parfait reflet des modes du jour. Il lui arrive de s’attarder dans une fête, à laquelle elle a été conviée, ce qui déplait parfois à son royal époux, conscient qu’une telle conduite pourrait nuire à l’image de la reine et conséquemment au pouvoir royal.

Toutes les inventions techniques sont aussi le prétexte à de grandes cérémonies festives auxquelles s’associe le couple royal …
Didier Masseau : La fin de l’Ancien Régime est une période de grande invention technique, dont les retombées améliorèrent la mise en scène des fêtes. Des artificiers comme les frères Ruggieri ou Torré firent valoir leurs talents en ajoutant de nouvelles figures aux programmes des feux. Ils rivalisaient entre eux pour offrir à la foule assemblée lors d’une fête officielle le feu d’artifice le plus spectaculaire possible.

La fête a aussi pour but de détourner l’attention du public sur des difficultés financières, ou faire taire les critiques …
Didier Masseau : La fête royale est, bien sûr, un instrument de pouvoir indispensable, consubstantiel à la monarchie, qu’elle ne saurait limiter. Les divertissements publics préoccupent beaucoup les pouvoirs publics à la fin du siècle, soucieux d’offrir aux Parisiens un lot de jeux organisés: joutes de bateliers sur la Seine, mais aussi carrousels, ascension du mât de cocagne. Ce qui crée une situation difficile, car les philosophes des Lumières, toute tendance confondue, critiquent l’excès festif, l’exubérance débridée au nom de l’utilitarisme, de l’économie, de la nécessaire bienfaisance et de la lutte contre les vieilles « superstitions » relevant du passé. Paradoxalement, les mêmes qui déplorent le déploiement festif sont souvent d’une grande exigence sur les fêtes officielles dont ils ne cessent de déplorer les manques et les ratés !

Il y a à Versailles une tradition de fêtes royales grandioses … 
Didier Masseau : La fête la plus grandiose, restée dans la mémoire de tous les esprits, est celle des Plaisirs de l’Ile enchantée donnée par Louis XIV en 1664. Elle a fait appel aux plus grands musiciens, chorégraphes et dramaturges du temps, pour un spectacle qui a duré presque une semaine. Pendant tout le XVIIIe siècle, les différents souverains tenteront d’être plus ou moins fidèles à ce faste, en dépit des difficultés financières qui s’accumulaient.

Le 30 mai 1770, une fête donnée par Louis XV pour le mariage du dauphin et de Marie-Antoinette tourne au cauchemar, avec un bilan terrible …
Didier Masseau : Cent-trente-deux morts officiellement, entre mille et mille cinq cents blessés, sur le lieu même où les deux souverains seront quelques années plus tard guillotinés…Ce qui devait constituer l’apothéose du siècle, s’inverse en une catastrophe qui semblera préfigurer tous les échecs de la monarchie. Le symbole sera fort, pour les mémorialistes qui reviendront sur ces événements.

La mode des villages rustiques bat son plein dans les années 1780. Cela inspire à la reine la construction de son domaine privé, un lieu qui sera également dédié à la fête…
Didier Masseau : Le jardin du Petit-Trianon offre un décor qui se prête merveilleusement aux fêtes nocturnes. Les illustrateurs s’en donneront à cœur joie pour suggérer la magie festive de la nuit. Claude-Louis Châtelet fera revivre l’illumination du Belvédère et du rocher, dans un magnifique tableau qu’on peut contempler au musée du Château de Versailles.

Toutes ces distractions à la mode données à Trianon monopolisent l’attention, éclipsent les grandes fêtes traditionnelles royales et bouleversent le système de la Cour, non sans conséquences…
Didier Masseau : Pour la première fois dans l’histoire, ce sont les fêtes privées qui inspirent la mise en scène des festivités et des divertissements donnés par une souveraine, Marie-Antoinette au Petit Trianon. De plus la reine aime à inverser sa fonction, et conformément à la mode en vigueur dans les milieux aristocratiques, se déguiser en jardinière ou en marchande. Le mime de la rusticité acquiert un relief sans précédent au Petit-Trianon…

La sophistication extrême de ces fêtes aristocratiques atteint son apogée à la veille de la Révolution. Après, plus rien ne sera pareil …
Didier Masseau : Aux XXe et XXIe siècles, la fête aristocratique a continué à exercer un pouvoir de fascination. Le marquis de Cuevas, dans les années cinquante, a défrayé longtemps la chronique ; d’autres fêtes suivirent, mais ce fut toujours des reconstitutions dans un contexte qui n’était plus le même. Quant aux fêtes « people », elles sont souvent aujourd’hui un médiocre pastiche de celles du XVIIIe siècle. •

Didier Masseau est professeur des Universités, spécialiste du XVIIIe siècle et historien des pratiques culturelles. Il a publié également Les ennemis des philosophes chez Albin Michel, Une histoire du bon goût, chez Perrin et Souvenirs 1755-1842 : les femmes régnaient alors, la Révolution les a détrônées. Commentaires des souvenirs d’Elisabeth Vigée-Lebrun.

Représentation d’une fête de nuit dans les jardins du Petit Trianon par Claude-Louis Châtelet .

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Didier Masseau est professeur des Universités, spécialiste du XVIIIe siècle et historien des pratiques culturelles. Il a publié également Les ennemis des philosophes chez Albin Michel, Une histoire du bon goût, chez Perrin et Souvenirs 1755-1842 : les femmes régnaient alors, la Révolution les a détrônées. Commentaires des souvenirs d’Elisabeth Vigée-Lebrun.
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